Intervention de Adrien Taquet

Réunion du 9 décembre 2020 à 15h00
Création d'un pôle public du médicament et des produits médicaux — Rejet d'une proposition de loi

Adrien Taquet :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet que nous allons aborder cette après-midi prend un sens tout particulier dans la période que nous connaissons, où il n’a jamais été autant question de l’accès aux médicaments.

La crise du covid-19 a révélé, ou plus exactement confirmé, les fragilités et les difficultés de la chaîne d’approvisionnement. Je dis bien « confirmé », parce que cela fait plusieurs années, malheureusement, que nos concitoyens et les professionnels de santé qui les soignent sont confrontés à des ruptures de médicaments.

Les chiffres sont là : les signalements de ruptures de stocks et de tensions d’approvisionnement ont été multipliés par vingt entre 2008 et 2018, quelque 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont fabriqués hors de l’Union européenne, principalement en Chine et en Inde, et 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union sont en provenance de pays tiers.

Ces chiffres, dont vous avez rappelé quelques-uns, madame la sénatrice, ne sont pas une fatalité, bien au contraire. Ils doivent constituer un levier pour avancer vers une plus grande autonomie stratégique au niveau européen. Comme le Président de la République l’a appelé de ses vœux, le 16 juin dernier, lors de son discours sur la souveraineté industrielle, et comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, nous devons faire de la France une nation de production.

La relocalisation de la production pharmaceutique au sein de l’Union européenne et l’innovation dans ce domaine, conformément aux objectifs du Green Deal, sont la condition et la garantie d’une autonomie stratégique européenne.

Avant la crise du covid, le Gouvernement avait déjà engagé cette réflexion, en publiant, le 8 juillet 2019, la feuille de route intitulée Pour mieux prévenir, gérer et informer les patients et les professionnels de santé, construite autour de vingt-huit actions regroupées en quatre axes, dont le renforcement de la coopération européenne.

Nous poursuivrons donc, dans les prochains mois, les actions entreprises, en soutenant notamment la mise en place de la stratégie pharmaceutique pour l’Europe, présentée le 26 novembre dernier, par la commissaire européenne à la santé Stella Kyriakides.

Cette stratégie devrait permettre à l’Union européenne de tendre vers davantage de souveraineté sanitaire et d’investir avec pertinence dans la recherche. Dans ce cadre, il est notamment prévu de créer une nouvelle instance pharmaceutique, l’Autorité européenne d’intervention en cas d’urgence sanitaire, pour faire face aux attentes médicales et urgences pharmaceutiques.

Il est également prévu de renforcer la présence de l’Union européenne à l’échelon mondial, en mettant en place des règles égales pour tous les acteurs du secteur et à toutes les étapes du médicament – de la recherche à l’autorisation, de la consommation à la fin de vie de ces produits.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes convaincus qu’une partie de la réponse de demain est européenne. Mais, sans attendre, ce sont bien des mesures nationales que nous avons prises pour soutenir la diversification de la chaîne d’approvisionnement et augmenter la capacité de production en France.

Dans ce contexte, nous avons adapté notre action avec le plan de relance, pour accélérer ces transitions et pour construire, dès aujourd’hui, notre souveraineté sanitaire et industrielle.

Nous mobilisons au total 100 milliards d’euros, dont près de 35 milliards d’euros pour l’industrie. Le volet industriel de ce plan repose sur quatre piliers : améliorer notre compétitivité pour localiser davantage d’activités en France ; faire de la transition écologique un avantage comparatif ; moderniser notre appareil de production ; innover pour nous positionner sur des marchés d’avenir.

Le secteur de l’industrie médicale va bien évidemment bénéficier du plan de relance : 6 milliards d’euros seront investis dans les infrastructures médicales et plus de 20 milliards d’euros dans la recherche et dans l’innovation.

En parallèle de ces actions en faveur de la réindustrialisation, nous nous sommes également dotés, sur le plan national, de mesures réglementaires pour résoudre le problème de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement. Il s’agit d’actions que vous connaissez pour les avoir examinées lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Je pense notamment à la création d’une obligation pour l’industrie pharmaceutique de constituer des stocks de médicaments destinés au marché national. Le projet de décret pris en application de la loi de financement de la sécurité sociale votée en 2019 a été transmis au Conseil d’État et se trouve en cours de notification à la Commission européenne.

Enfin, les sanctions financières ont également été renforcées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, ce qui permet à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de disposer de nouveaux motifs de sanctions financières en cas de non-respect des obligations incombant aux entreprises.

J’en viens, madame la rapporteure, à vos propositions en faveur d’un programme public de production de médicaments et de la création d’un « pôle public du médicament ».

Nous partageons certains de vos constats ; pas tous, vous vous en douterez. Nous partageons même l’idée selon laquelle la question d’un programme public de production pourrait faire sens. Nous avions d’ailleurs inscrit, dès 2019, au travers de l’action n° 20 de la feuille de route ministérielle que j’évoquais à l’instant, la nécessité d’expertiser la mise en place d’une solution publique pour organiser des approvisionnements en cas de pénurie.

Toutefois, les propositions que vous formulez ne nous semblent pas prendre en considération toutes les dimensions du problème.

Tout d’abord, plusieurs acteurs publics, dont Santé publique France, disposent déjà de prérogatives concernant l’importation, l’acquisition groupée ou la distribution de produits de santé, ce qui s’est traduit très concrètement dans le cadre de la prise en charge des patients covid-19, notamment lors de la régulation nationale pour deux hypnotiques et trois curares.

Ensuite, nous sommes convaincus que la diversité des acteurs, publics et privés, français et étrangers, est nécessaire pour assurer l’approvisionnement des populations en produits de santé, pour maintenir un haut niveau de qualité des produits et pour favoriser le développement de l’innovation.

C’est là où la création d’un programme public isolé du reste du paysage industriel atteindrait certaines limites opérationnelles. Quels seraient les médicaments concernés ? Pour quel marché ? Selon quel modèle économique ?

Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, et faire écho avec le début de mon propos, fonctionner selon une approche franco-française n’aurait pas vraiment de sens, et surtout ne permettrait pas de mettre en place un outil productif viable, seul à même de garantir la sécurité des patients dans le long terme.

C’est bien au niveau européen que la réflexion doit être menée sur l’opportunité de créer un ou plusieurs établissements d’intérêt public à but non lucratif, dont l’une des missions serait particulièrement adaptée à la production de médicaments matures, essentiels et indispensables pour certaines prises en charge.

Permettez-moi, madame la rapporteure, d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, afin de nous permettre de parler, ensemble, de la question du médicament.

La crise du covid a provoqué un déclic, et il n’est plus aujourd’hui avant-gardiste de parler de résilience industrielle européenne.

La France et ses industries doivent être les fers de lance de cette souveraineté, et nous devons porter des projets communs au plan européen. En effet, face à certains marchés dynamiques et historiques, nous ne ferons le poids que si nous construisons un écosystème industriel européen concret.

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