Intervention de Nadia Sollogoub

Réunion du 9 décembre 2020 à 15h00
Création d'un pôle public du médicament et des produits médicaux — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Nadia SollogoubNadia Sollogoub :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « tant qu’on a essayé de combattre la peste avec des mots latins, elle a tranquillement dévoré l’humanité » a écrit Barjavel. Nous sommes d’accord, face à la maladie, nul besoin de longs discours. Il faut des substances actives thérapeutiques. Dans un contexte de pandémie mondiale, ce constat prend une résonnance particulière.

Or, précisément, pour le patient en puissance qu’est chacun de nous, accéder à un traitement ne va plus de soi. Le risque est grand, parce que les médicaments sont des produits « ultra-essentiels », parfois vitaux, et parce que la nature a horreur du vide, de voir s’organiser des marchés parallèles plaçant les acheteurs dans une situation de vulnérabilité particulièrement préjudiciable.

Pour pallier ces difficultés, notre collègue Laurence Cohen et son groupe nous proposent aujourd’hui la création d’un « pôle public du médicament et des produits médicaux ».

De juillet à septembre 2018, nous avons participé, sous la présidence d’Yves Daudigny, à la mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins.

En 2019, Mme la ministre Agnès Buzyn rédigeait une feuille de route 2019-2022. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous faire connaître le niveau d’avancement des 28 actions programmées ?

Même si le contexte est exacerbé, le problème n’est pas nouveau. Les tensions d’approvisionnement se confirment, hélas, depuis quelques années, et les effets de ces pénuries sont de plus en plus pénalisants pour les patients. En fait, c’est toute la circulation mondiale des produits de santé qui est en cause, et la France en fait les frais.

Le non-accès du patient à un médicament ou sa non-délivrance par le pharmacien est une situation insupportable et inacceptable, tant pour le malade que pour le professionnel de santé. Ces situations, au-delà même du risque de perte de chance, sont anxiogènes et chronophages, dans un pays où, par ailleurs, l’on manque de temps médical. Une telle situation justifie l’intérêt de vos travaux.

Vous proposez à l’article 1er de créer un « programme public de production et de distribution des médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation ou des tensions d’approvisionnement ».

Il est important de le préciser, une « rupture d’approvisionnement de médicaments » est une situation précise, définie par les termes du décret du 28 septembre 2012, qui est caractérisée lorsqu’« une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur est dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures ».

Cette rupture d’approvisionnement peut être imputable, notamment, à une rupture de stock ou à une rupture dans la chaîne de distribution. Il est important d’avoir des définitions homogènes.

Nous touchons du doigt la complexité d’une chaîne qui agrège plusieurs acteurs, chacun des maillons se trouvant dépendant du maillon antérieur et chaque liaison constituant un potentiel point de rupture.

Une première difficulté réside dans l’absence de visibilité sur la durée du manque. En effet, au-delà de 72 heures, on peut se trouver dans un délai de réapprovisionnement de quelques jours, quelques semaines ou plusieurs mois, et la stratégie de rechange à mettre en place dépend directement de cette indispensable visibilité.

J’écarte le sujet des « microruptures » de moins de 72 heures, qui échappent aux comptages, mais polluent la vie des malades et soignants.

J’ai bien noté, aux articles 2 et 4, votre souhait de travailler à apporter plus de transparence.

Actuellement, les outils d’information sont améliorables. Il est d’ailleurs prévu dans la feuille de route 2019-2022 d’élargir la plateforme DP-Ruptures à toute la chaîne de distribution, incluant grossistes, répartiteurs et dépositaires, dans le cadre d’un outil partagé de signalement.

Le sujet est d’autant plus complexe que les causes de rupture d’approvisionnement sont nombreuses et multifactorielles.

Les difficultés sont d’abord liées à la production : capacité de production insuffisante, retard de production, incapacité de production par manque de matières premières, responsable de 17 % des ruptures, usine détruite, défaut de qualité des produits, responsable de 13 % des défaillances de production, mondialisation de la fabrication et de la demande. Ainsi, une seule usine peut fabriquer un produit pour l’ensemble des pays.

Ces ruptures peuvent également résulter d’une augmentation subite des ventes, à la suite de recommandations d’utilisation par un pays ou du report d’un médicament sur un autre. Sont également en cause la libre circulation des biens et la distribution vers des pays où les prix sont plus avantageux.

Je n’oublie pas non plus les évolutions du marché du médicament, avec l’éclatement des différentes étapes de fabrication pour optimiser les coûts – je pense aux lignes de production programmées par périodes –, la recherche d’une rentabilité à court terme, qui a notamment conduit à travailler à flux tendus, sans stocks et, enfin, le développement des marchés émergents.

En France, en cas de rupture d’approvisionnement anticipée ou constatée, qui fait quoi ?

La loi du 29 décembre 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, a renforcé les obligations pesant sur tous les acteurs de la chaîne du médicament.

L’industriel exploitant doit en particulier déclarer à l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les ruptures de stock et mettre en œuvre les solutions alternatives appropriées. Le grossiste répartiteur doit respecter ses obligations de service public sur son territoire. Le pharmacien d’officine ou hospitalier déclare la situation à I’ANSM et cherche des solutions de substitution en lien avec le médecin.

Le « nœud » du problème, c’est qu’une substance de guérison soit un produit commercial et que le soin soit indissociablement soumis aux contraintes de la loi du marché. Vous proposez de sortir les médicaments du marché, au moins partiellement. Est-ce possible ? Est-ce la solution ?

En relisant nos débats et les auditions de 2018, avant même la crise sanitaire, vous en faites d’ailleurs état vous-même, vous aviez déjà, chère collègue, l’idée d’un laboratoire public du médicament.

Voici la réponse que vous avait adressée l’une des sous-directrices de la direction générale de l’offre de soins : « L’intérêt de l’État est plutôt de renforcer son rôle de régulateur et de coordonnateur entre autorités compétentes que de développer un rôle d’industriel où il pourrait se retrouver en difficulté au sein d’un marché très concurrentiel. »

Vous avez mené un travail de fond considérable, mais je ne partage pas vos conclusions. En effet, un pôle public de production et de distribution de médicaments pourrait-il régler le problème de l’accès aux matières premières ?

Si ce pôle concentre son activité sur la production de médicaments devenus non rentables, alors l’État supportera la charge financière d’une production à perte. Y a-t-il un chiffrage à cet égard ? Quelles solutions envisager pour les problèmes de logistique et de stockage, car la fragilité n’est pas concentrée au niveau de la production ?

Enfin, l’article 5, qui vise à taxer l’industrie pharmaceutique, semble plutôt dissuasif et contraire à une dynamique de relocalisation.

Si l’intention de ce texte est louable, et si nous partageons l’objectif d’accès au médicament en tout temps, en tout lieu et pour tous, il ne nous semble pas être de nature à permettre d’éviter réellement les pénuries de médicaments.

Face à des difficultés qui deviennent structurelles, peut-être faudrait-il plutôt envisager une réforme de la politique des prix du médicament, qui sont devenus, au fil des PLFSS successifs, une variable d’ajustement, entraînant une fragmentation des processus industriels et des risques de rupture.

Il convient également de rendre financièrement possible l’accès aux médicaments « innovants », car il y a, là aussi, de nombreuses « pertes de chances » thérapeutiques.

Ne serait-il pas pertinent de travailler à la constitution de stocks suffisants pour répondre aux besoins des usagers, tout en veillant à ne pas engager une tendance mondiale au stockage, ce qui « assècherait » la ressource et constituerait un facteur de pénurie ? Pourquoi ne pas renforcer dans la loi et dans les faits les sanctions envers les laboratoires négligents dans l’approvisionnement du marché français ? Pourquoi ne pas travailler à des appels d’offres par segments spécialisés, avec plusieurs attributaires ?

La réflexion doit se poursuivre. Parallèlement, il est prudent d’attendre, afin d’évaluer les effets de la feuille de route 2019-2022 en cours et de mesurer l’impact des « plans de gestion des pénuries » engagés par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016.

Pour ces raisons, le groupe Union Centriste votera contre ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion