Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pandémie de la covid-19, qui a endeuillé notre pays, l’Europe et le monde, a fait ressurgir dans le débat public les difficultés et les faiblesses de la France et de toute l’Europe dans le secteur du médicament. C’est l’échec des stratégies de rationalisation qui sont choisies par les grands laboratoires pharmaceutiques et acceptées et subies par notre système de santé.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, cette situation n’est pas nouvelle, et je tiens à remercier Laurence Cohen et l’ensemble du groupe CRCE d’avoir, par cette proposition de loi, permis de revenir, dans cette assemblée, sur cette question majeure.
Nous partageons les constats dressés par Laurence Cohen dans sa proposition de loi, notamment la nécessité d’une solution publique de production.
Aujourd’hui, près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l’Union, contre 20 % seulement voilà trente ans. Les politiques ultralibérales et la course aux dividendes démontrent une fois encore leurs effets néfastes.
Cette délocalisation croissante est l’une des causes des pénuries de médicaments à intérêt thérapeutique majeur en France.
Encore marginal avant les années 2010, avec seulement 44 ruptures de stock en 2008, le nombre de pénuries de médicaments ne cesse de croître depuis le début de la décennie. En 2019, on en recensait 1 200, et l’ANSM envisage leur doublement en 2020. Ainsi, 2 400 médicaments devraient être touchés.
Le débat parlementaire dans le cadre de l’examen du PLFSS 2021 a d’ailleurs été largement marqué par la question des pénuries de médicaments.
Notre groupe avait pris toute sa part, avec des propositions fortes, telles que l’obligation d’un stock de sécurité de quatre mois, pour les médicaments à intérêt thérapeutique majeur. Bien qu’il ait été adopté par le Sénat, l’amendement en question a été supprimé par la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale, ce que nous ne pouvons que déplorer.
Autre constat partagé, le défaut de transparence dans le domaine du médicament. La crise du coronavirus a mis en lumière le rôle majeur joué depuis toujours par la puissance publique dans le financement de la recherche et développement dans le domaine de la santé.
Or les sommes investies par l’État ne sont jamais rendues publiques et ne sont pas prises en compte dans la négociation des prix des produits de santé avec les entreprises pharmaceutiques.
Nous ne pouvons que le constater, les pouvoirs publics règlent deux fois l’addition. Dans un premier temps, l’État finance les investissements de recherche et développement non seulement dans le public, mais aussi dans le privé, au travers notamment du crédit d’impôt recherche. Dans un second temps, l’assurance maladie supporte, sur le long terme, le coût de l’innovation, du fait des mécanismes de fixation des prix.
Le Comité économique des produits de santé, le CEPS, n’ayant pas connaissance des investissements publics ayant participé au développement d’un médicament, la question de la transparence se pose. Les négociations, vous le savez, sont secrètes.
Face à ces situations, force est de constater que les gouvernements n’ont fait que de la gestion de crise. Or c’est toute une politique en matière de souveraineté et de sécurité dans le domaine de la santé qui est à revoir.
Le manque de démocratie sanitaire et de transparence dans les prises de décisions politiques sanitaires est aussi à regretter et à condamner. La crise du covid-19 en est d’ailleurs un parfait exemple.
Ni les citoyens, ni les élus locaux, ni même les associations d’usagers du système de santé n’ont été pleinement associés à la gestion de la crise. Il convient donc, dès à présent, de renforcer notre démocratie sanitaire, notamment au moment où nous allons entrer dans une campagne de vaccination contre la covid-19.
Dans cette philosophie, nous soutenons la nécessité de renforcer l’implication citoyenne dans la surveillance des médicaments et des dispositifs médicaux après leur commercialisation par la création d’un observatoire citoyen. Nous défendrons un amendement sur ce point.
L’industrie pharmaceutique étant constituée essentiellement de laboratoires multinationaux, les Big Pharma, la France ne peut agir seule. Une coordination avec les États européens est indispensable. L’Union européenne est d’ailleurs en train de renforcer sa politique de la santé et du médicament.
Pour la première fois, l’Europe, qui ne dispose que d’une compétence d’appui centrée sur la coordination des actions des États membres, a été en mesure de passer des « commandes groupées » de futurs vaccins en cours d’expérimentation, pour ses pays membres.
Par ailleurs, dans le cadre d’une plus grande implication de l’échelon européen dans la stratégie de santé pour faire face à la crise sanitaire, le 11 novembre dernier, la Commission européenne a prévu d’accroître le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et de l’Agence européenne des médicaments. Elle envisage de la doter d’effectifs et de moyens supplémentaires, afin qu’elle puisse davantage surveiller les stocks de matériel médical et de médicaments et prévenir des risques de pénurie.
Une consultation publique pour élaborer une stratégie pharmaceutique visant à sortir de la dépendance aux matières premières doit également être lancée.
Enfin, la Commission européenne envisage la création d’une nouvelle autorité en 2023 pour une meilleure coordination face aux menaces sanitaires transfrontalières.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat partage l’ensemble des constats dressés par Laurence Cohen dans sa proposition de loi.
Nous pensons, nous aussi, qu’une reprise en main de la politique du médicament et de la santé par les pouvoirs publics est indispensable. La France doit retrouver sa souveraineté en matière de santé et faire passer les intérêts de ses concitoyens avant les intérêts particuliers des grands laboratoires pharmaceutiques.
Cela peut-il passer par la création d’un pôle public du médicament ? L’idée est intéressante. Toutefois, il semble que nous ayons avant tout besoin de simplifier un système déjà complexe et opaque, plutôt que de créer une nouvelle structure administrative.
Par ailleurs, la France dispose de moyens déjà existants pour produire les médicaments sujets aux défauts d’approvisionnement.
L’Agence générale des équipements et produits de santé, l’Ageps, et la pharmacie centrale des armées, deux laboratoires publics, sont susceptibles de pouvoir produire des médicaments. Ainsi, en 2009, lors de la crise de la grippe HIN1, la pharmacie centrale des armées avait produit 77 millions de comprimés de Tamiflu.
Le dispositif de la licence d’office existe également, au cas où l’intérêt de la santé publique serait menacé par un approvisionnement insuffisant de spécialités pharmaceutiques. Il permet de contraindre le titulaire du brevet d’un médicament à autoriser l’exploitation de son brevet par des tiers et de manière non exclusive.
Néanmoins, peut-être la volonté politique fait-elle défaut pour activer ces leviers. Leur exploitation est aujourd’hui insuffisante et mal adaptée aux enjeux. Il nous semble qu’une meilleure coordination avec les organismes existants permettrait de répondre plus efficacement et nationalement aux besoins de médicaments de nos concitoyens en période de crise et de pénurie.
Dans la continuité des travaux menés ces dernières années par notre assemblée – je pense notamment au rapport de MM. Decool et Daudigny de 2018 –, notre groupe a la volonté de repenser la globalité de la politique du médicament en France, de sa production à sa distribution. Pour ce faire, nous devrons construire un travail commun avec nos parlementaires européens.
En effet, la relocalisation de la production ne pourra s’envisager qu’à l’échelle européenne. Lors de son audition, les représentants du LEEM, Les Entreprises du médicament, ont confirmé que les industriels avaient évalué entre 15 % et 20 % le surcoût lié à une éventuelle relocalisation. Celle-ci leur paraît envisageable, moyennant bien sûr des contreparties fiscales.
Il y va non seulement de la réindustrialisation de notre pays, source d’emplois et de richesses pour nos territoires, mais aussi, et surtout, de notre souveraineté et de notre indépendance. Ce qui paraissait utopique et inimaginable il y a peu de temps paraît aujourd’hui réalisable.
Je sais que nous partageons tous cette même ambition, mes chers collègues. Il convient donc d’agir tous ensemble.