Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le temps des tempêtes est toujours propice à la mise en lumière des carences, des faiblesses et des errements collectivement commis. La pandémie du coronavirus n’a pas échappé à ce phénomène et a révélé les errements du monde qui s’est construit sous nos yeux un peu coupables depuis plusieurs décennies.
Qui aurait pensé que nous manquerions de médicaments aussi basiques et nécessaires que le paracétamol ? Pénuries, absence de coordinations entre chaînes de productions et de distributions, asphyxie des services de santé : la liste est longue, et nous la connaissons tous.
Toutefois, il faut toujours une prise de conscience douloureuse pour se pencher sur certains enjeux jusque-là sous-estimés. L’indisponibilité des médicaments et des vaccins est aujourd’hui chronique. Elle concerne l’ensemble de ces produits.
Durant ces années de mondialisation incontrôlée, nous avons progressivement perdu notre souveraineté sanitaire, au profit de puissances étrangères non européennes. Les chaînes de production s’en sont retrouvées éclatées à l’autre bout du monde, alors que, dans le même temps, la forte hausse de la demande mondiale suscitait des concurrences délétères dans l’approvisionnement en médicaments.
La reconquête industrielle et sanitaire doit être un tournant : elle doit en effet nous conduire à changer le paradigme qui nous a menés dans l’impasse.
Comment accepter sans rien dire, au sortir de la crise de la covid, les déclarations de Paul Hudson, qui déclarait que Sanofi servirait « en premier » les États-Unis s’il trouvait un vaccin ? Doit-on considérer les produits de santé indéfiniment soumis à la loi du marché mondialisé ?
Il nous faut donc impérativement enclencher tous les leviers, qu’ils soient Français ou européens. Il convient en effet, premièrement, de relocaliser l’industrie pharmaceutique, deuxièmement, d’engager une démarche de clarté dans la gestion des stocks et des commercialisations par les groupes pharmaceutiques, et, troisièmement, de planifier et d’organiser, dans l’esprit interventionniste d’un État stratège, les politiques publiques de production, tarification et distribution de certains médicaments, en temps de crise comme en période plus calme.
Madame la rapporteure, votre proposition de loi a le mérite, je l’ai dit, de poser le grave problème de la souveraineté sanitaire. Elle mérite, j’en suis intimement convaincue, que nous en débattions et échangions en révisant certains logiciels et paradigmes idéologiques qui ont fait mal, ces dernières années, à la fois à notre système de santé et à notre tissu industriel.
Pour faire face à cette pénurie, vous proposez la création d’un pôle public du médicament.
Nous pensons que, depuis huit ans, les choix budgétaires des gouvernements visant à baisser le prix du médicament pour équilibrer les budgets n’incitent pas les industriels à investir sur le territoire national. Les différences de prix pèsent également sur les stratégies d’allocation des stocks par les laboratoires.
S’agissant de la création d’un pôle public du médicament, qui fait l’objet de l’article 2 de votre proposition de loi, l’idée peut être séduisante. Encore faudrait-il concevoir une structure opérationnelle, sur les plans tant de son financement que de son organisation.
En outre, je tiens à le rappeler, nous disposons déjà d’un arsenal législatif. Je pense à l’article 48 de la LFSS pour 2020, qui prévoit plusieurs mesures destinées à mieux prévenir et gérer les ruptures de stock de médicaments essentiels. Sans doute, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser l’état de la mise en application de ce texte ?
L’État stratège, c’est aussi un État qui crée une véritable stratégie industrielle nationale et européenne, pour engendrer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité. Nous pourrions envisager un panel d’incitations, en contrepartie d’engagements prévus dans un accord-cadre liant les industriels et l’État.
Le pôle public du médicament dont vous proposez la création pourrait alors se concentrer sur la production et la distribution de médicaments « de niche », régulièrement exposés à des tensions d’approvisionnement. C’est là que la pharmacie centrale des armées et l’Agence générale des équipements et produits de santé pourraient intervenir.
En revanche, en ce qui concerne la réquisition des laboratoires pharmaceutiques en temps de crise, il paraît selon nous difficile de rendre l’entreprise responsable d’une problématique qu’elle ne maîtrise pas complètement, à savoir le cycle production-commercialisation.
Madame la rapporteure, mes chers collègues, la pandémie a mis à mal certains clichés : depuis la crise, les termes de « souveraineté » et d’« indépendance » ne sont plus des gros mots, même dans les chapelles du nouveau monde – c’est peu dire !
La souveraineté, c’est notre capacité à déployer plusieurs solutions face à un problème multifactoriel. Il ne suffit pas, en effet, de décréter l’autonomie pour qu’elle se réalise. C’est en cela, madame la rapporteure, que je juge votre texte bien intentionné, mais non abouti. Nous ne pouvons le suivre.
Avant de vouloir densifier le système actuel en le dotant d’une institution supplémentaire, ne devrait-on pas apprendre de l’échec ayant marqué la gestion de la crise sanitaire ?
Il me semble qu’une telle mesure suppose un certain nombre de prérequis : tout d’abord, que le pôle public que vous appelez de vos vœux soit de taille suffisante et capable d’aller se fournir en principes actifs sur la place internationale ; ensuite, que l’État ait la capacité de monter une usine, compte tenu du coût – plusieurs centaines de millions d’euros – et des délais inhérents à un tel projet.
Un pôle public pourrait-il, par ailleurs, produire à des coûts compétitifs ? Serait-il capable de produire des médicaments matures, voire génériques, pour un coût inférieur, sachant que les prix de tels médicaments sont déjà très bas ?
Si, en effet, la logique d’un tel projet est de mieux alimenter le marché français, nous devons avant tout nous poser la question de l’efficacité de la mesure.
Mes chers collègues, cette proposition de loi a le mérite de poser, une nouvelle fois, la question de notre souveraineté sanitaire.