Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je lisais récemment, dans le journal Le Monde, un article concernant un campus de 45 hectares situé en Inde, pas très loin de Bombay, et abritant 5 200 salariés.
Le bâtiment ne paie pas de mine, mais un vaccin anti-covid y est fabriqué à raison de plus de 60 millions de doses par mois ! Il abrite le plus grand producteur au monde de vaccins : le Serum Institute of India.
Ces 60 millions de doses devraient permettre, selon les protocoles sélectionnés, de vacciner entre 25 et 32 millions de personnes. Le produit fabriqué est le vaccin mis au point par l’université d’Oxford et le laboratoire AstraZeneca. Ces flacons, qui a priori ne nous sont pas destinés, sont stockés en attendant toutes les autorisations sanitaires.
Je n’entrerai pas dans la polémique sur la course de vitesse engagée par les laboratoires, mais cet exemple illustre parfaitement le décrochage de l’industrie pharmaceutique française et européenne.
Les unités de fabrication de médicaments et de vaccins sont désormais quasiment le monopole de l’Asie. Nos sites se sont exilés. Selon l’Agence européenne du médicament, « près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l’Union. ».
En 1970, quelque 420 entreprises de l’industrie du médicament existaient en France. En 2017, la France ne disposait plus que de 138 sites de production de médicaments et de 92 sites de production de principes actifs… L’Inde et la Chine possèdent chacune plusieurs milliers de tels sites – mes chiffres sont ceux du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques !
La France, mais aussi l’Europe, a donc insensiblement, et pour des raisons variées – je ne néglige bien entendu pas la rentabilité –, exporté, transféré nos unités et nos savoir-faire en Asie, au détriment de notre autonomie.
Plus grave, nous sommes en train de perdre notre « indépendance sanitaire » ; peut-être l’avons-nous même déjà perdue.
Indépendance ? Selon l’article 5 de notre Constitution, le plus gaullien de ce texte fondateur, « Le Président de la République […] est le garant de l’indépendance nationale ». Il est temps pour nous, aujourd’hui, de prendre conscience que l’indépendance sanitaire est un élément essentiel de notre indépendance nationale, tout comme l’est l’indépendance énergétique.
Cette remise en cause liée à la crise du covid-19 révèle le caractère gravissime de la situation. C’est pourquoi il est légitime de se pencher sur nos activités nationales en la matière et de recenser les outils dont nous disposons déjà ; c’est nécessaire si nous voulons trouver des solutions rapides, lesquelles passeront très certainement par l’Europe.
Beaucoup ignorent que l’armée française joue, depuis la Révolution, un rôle en ce domaine, via la pharmacie centrale des armées. Cet établissement pharmaceutique, titulaire et exploitant d’une autorisation de mise sur le marché et reconnu comme fabricant, a su préserver sa souveraineté en matière de production.
Si d’aucuns peuvent penser qu’il n’entre pas dans les compétences des personnels militaires de fabriquer des vaccins, il reste que la pharmacie centrale des armées pourrait répondre à des besoins urgents de santé publique si le cadre réglementaire était assoupli.
Tout cela, nous l’avons découvert, bien sûr, à la suite de plusieurs semaines d’auditions menées par la mission d’information sur les pénuries de médicaments et de vaccins dont j’ai été l’instigateur et que j’ai eu l’honneur de conduire, en tant que rapporteur, aux côtés d’Yves Daudigny, président. C’était au cours du second semestre 2018, voilà plus de deux ans !
Parmi les propositions les plus audacieuses que nous avions formulées figurait l’instauration d’un « programme public de production et distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments régulièrement exposés à des tensions d’approvisionnement », qui serait confié à la pharmacie centrale des armées et à l’Agence générale des équipements et produits de santé, qu’il importe de conserver.
Or l’article 1er de votre proposition de loi, chers collègues du groupe communiste, reprend, au mot près, une partie de cette proposition : il s’agit de la proposition n° 8 ! Je me réjouis de cette communion d’esprit…
Néanmoins, comment expliquer, alors, que votre groupe ait été, parmi les groupes politiques du Sénat, le seul à refuser de voter ce rapport validé par toutes les autres formations de notre assemblée ?