Intervention de Corinne Imbert

Réunion du 9 décembre 2020 à 15h00
Création d'un pôle public du médicament et des produits médicaux — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux.

Tout d’abord, je partage pleinement les propos de ma collègue Christine Bonfanti-Dossat, les questions qu’elle soulève comme ses conclusions.

La question des ruptures de stock de médicaments est un problème récurrent depuis de trop nombreuses années ; elle touche de plus en plus de spécialités pharmaceutiques et suscite à la fois l’agacement des professionnels de santé et l’incompréhension des patients, surtout ceux à qui sont prescrits des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur.

Le Sénat, dans le cadre de sa mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins créée sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Decool, et dont Mme la rapporteure était l’une des vice-présidentes, a déjà eu l’occasion, en la matière, de faire des propositions – cela a été rappelé. Un rapport sur les pénuries de médicaments essentiels demandé par le Premier ministre à l’ancien président de l’École polytechnique, Jacques Biot, a bien été rendu public le 18 juin dernier, mais je ne suis pas sûre que ce document puisse sonner comme un appel décisif à lutter contre lesdites pénuries !

Les causes de ces pénuries sont diverses : problèmes d’approvisionnement – une grande partie des principes actifs sont produits à l’étranger, principalement en Asie –, demande plus importante à l’échelle mondiale, problèmes sur la chaîne de fabrication, quotas imposés aux industriels, arrêt de la fabrication de médicaments matures.

Il serait présomptueux de prétendre y remédier en totalité à l’échelle de notre pays. L’idée selon laquelle il serait primordial de relocaliser la production de médicaments en France et en Europe revient fréquemment et, me semble-t-il, est partagée sur l’ensemble de nos travées.

Le Sénat avait voté en ce sens, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, un amendement visant à prendre en compte le lieu de fabrication du médicament dans le processus de fixation de son prix, et, ainsi, à favoriser les entreprises dont les usines seraient situées dans l’Union européenne, en Suisse ou au Royaume-Uni.

Malheureusement, malgré la mobilisation des sénateurs et en dépit du bon sens attaché à cette mesure, l’exécutif et la majorité présidentielle n’ont pas jugé opportun de la maintenir dans le texte ; nous ne pouvons que le regretter.

Toutefois, malgré l’enthousiasme que provoque l’idée de relocaliser une partie de la production en France, n’oublions pas qu’une telle relocalisation nécessitera des investissements importants, donc du temps, et exigera que la population accepte de voir s’installer sur son territoire une industrie chimique, avec son cortège de risques.

Pour ces raisons, je pense qu’il serait préférable, dans un premier temps, d’optimiser la capacité de production des sites existants, la production des principes actifs, maillons essentiels de la chaîne du médicament, apparaissant bien sûr prioritaire pour retrouver une indépendance sanitaire.

Je formulerai une remarque sur l’article 2, qui porte création d’un pôle public du médicament : ce pôle se voit confier, outre une mission de production, une mission de distribution sur le territoire national.

Cette mission de distribution est, à ce jour, parfaitement assurée par les entreprises de la répartition pharmaceutique ; le maillage territorial tissé par les répartiteurs pharmaceutiques et l’obligation de service public qui leur incombe prouvent chaque jour leur efficacité et leur capacité à s’adapter aux nouveaux enjeux en matière de distribution.

Leur rôle important dans la distribution de masques de l’État au début de la pandémie de covid-19 en est un exemple récent ! Ils ont parfaitement assuré cette mission.

L’État a indéniablement un rôle à jouer dans la lutte contre la pénurie de médicaments. Depuis trente-cinq ans, tous les gouvernements réduisent les crédits alloués au médicament sous la forme de mesures d’économies figurant dans le PLFSS. Le médicament a été, avec l’hôpital, l’une des deux variables d’ajustement des PLFSS successifs, alors qu’il ne pèse que 16, 5 % du budget de la sécurité sociale.

En écartant de l’analyse le budget 2021, qui est complètement atypique, on note que le médicament contribuait, jusqu’à l’année dernière, à 50 % des économies réalisées au titre de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie.

Ainsi, depuis plus de dix ans, l’assurance maladie a mis en place des quotas. Ces quotas concernaient 400 références voilà dix ans, contre 720 références aujourd’hui ; le risque de rupture augmente donc mécaniquement.

Autre exemple du rôle de l’État, monsieur le secrétaire d’État : le cas particulier du vaccin contre la grippe. Depuis le mois de juin dernier, nous savions, vous saviez, que nous manquerions de 2 millions de doses. Preuve en est que le Gouvernement a, ces dernières semaines, acheté 2, 4 millions de doses de vaccin contre la grippe.

Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas joué son rôle en anticipant cette pénurie ? Comment allez-vous vous impliquer pour que la campagne 2021-2022 se passe mieux ? Quel message allez-vous faire passer aux industriels dès ce mois de décembre, ou au plus tard au début de janvier, pour qu’on ne revive pas la même situation l’an prochain ?

Des personnes âgées de plus de 65 ans ne sont toujours pas vaccinées à cette date ; plus jamais ça, monsieur le secrétaire d’État ! Néanmoins, sauf à ce qu’il possède un savoir-faire en matière de vaccins, un pôle public du médicament ne saurait être la bonne réponse.

Un programme public pour des médicaments qui sont en arrêt de commercialisation paraît facile à envisager. En revanche, comment aborder la question pour les médicaments qui sont en rupture d’approvisionnement ?

Comment anticiper ces ruptures ? Certes, les laboratoires ont l’obligation légale de déclarer les risques de rupture, mais comment un pôle public du médicament pourrait-il avoir la réactivité suffisante pour corriger ces risques ? Comment prendrait-il concrètement la main ? Réduirait-on le champ d’action de ce pôle public à des médicaments « matures » ?

Je m’interroge par ailleurs sur l’appréciation du coût d’un tel pôle public du médicament. La taxe que vous proposez, mes chers collègues, suffira-t-elle à en assurer le financement ?

L’examen de cette proposition de loi ne se réduit pas à un affrontement entre deux visions antagonistes de la politique du médicament : l’une du tout-État et de la planification vertueuse contre l’autre du tout libéral, qui laisserait un boulevard aux laboratoires et à leurs intérêts de court terme.

À titre personnel, je considère que l’équilibre se situe à la frontière entre ces deux sphères. La concurrence est vertueuse dans le sens où elle est source d’innovation et de progrès continu. Toutefois, l’État a effectivement un rôle de régulateur à jouer, en particulier sur un sujet qui concerne la santé de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, l’examen de cette proposition de loi permet d’engager un débat fondamental sur la question de l’indépendance sanitaire de notre pays et j’en remercie ses auteurs. Néanmoins, les solutions proposées, bien qu’elles soient intéressantes d’un point de vue théorique, souffriraient de lacunes si elles devaient être concrètement mises en œuvre.

Enfin, même si des travaux doivent avoir lieu entre le ministère et l’Ordre national des pharmaciens pour améliorer le système d’information via le DP-Ruptures, les tensions en matière d’approvisionnement restent un fléau et un véritable sujet de préoccupation.

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