Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRCE a fait le choix de débattre ici de l’aménagement numérique des territoires. Nous voulons montrer, à travers cet exemple, combien des territoires entiers de notre pays ont été oubliés du fait d’un désengagement de l’État, et ce depuis plusieurs années.
Encore très récemment, la mise aux enchères des fréquences de la 5G a été une belle illustration de ce laisser-faire coupable. L’attribution de ces fréquences, qui s’est faite au plus offrant et a rapporté 2, 7 milliards d’euros, n’avait pour seul but que de faire entrer de l’argent frais dans les caisses de l’État. Avouez, mes chers collègues, que c’est curieux en termes de politique publique, d’autant que les opérateurs eux-mêmes avaient alerté le Gouvernement sur le caractère non urgent de ces enchères au regard des retards existants concernant la 4G. Cette démarche est d’autant plus curieuse que le passage à la 5G devrait également priver d’accès près de 4 000 foyers dans quarante départements particulièrement enclavés.
Ce nouvel épisode confirme ainsi les schémas existants d’intervention publique et privée structurés autour d’une socialisation des pertes et d’une privatisation des profits. Au-delà du modèle économique, ces éléments nous interrogent également en matière de stratégie industrielle nationale et de démocratie.
Je prendrai encore une fois l’exemple de la 5G. Cette technologie, par ses performances en termes de connectivité, est une innovation d’importance. Concrètement, elle pourrait constituer une solution de remplacement sérieuse à la fibre optique dans les territoires très enclavés. Toutefois, les questions qui se posent aujourd’hui concernant son développement ne relèvent pas de ces enjeux industriels ou d’aménagement ; le seul prisme est celui de la rentabilité. Nous allons donc continuer de multiplier les infrastructures et les pylônes en zone dense pour attirer les consommateurs et favoriser la compétitivité.
Nous le voyons bien, le problème, au fond, ce n’est pas cette technologie innovante, mais ce que l’on en fait et à qui elle est destinée. Si l’objectif est de permettre aux banques et autres assureurs de spéculer plus vite en gagnant quelques secondes de réactivité, quel est l’intérêt pour nos concitoyens ?
Surtout, qui en décide ? Car, mes chers collègues, c’est aussi une question démocratique ! Il apparaît nécessaire que le Parlement se dote enfin réellement d’un plan stratégique de développement numérique adossé à la création d’un véritable service public permettant de garantir le droit au très haut débit pour tous. Ce plan doit être présenté et voté au Parlement. Il devrait fixer des objectifs non seulement de connectivité et de couverture du territoire, mais également industriels, liés au développement de ces technologies, adossés à des outils publics et à des études fiables, ce qui manque aujourd’hui et nourrit toutes les défiances.
Il nous faut reconstruire un pôle public des télécommunications responsable de ce service public. La privatisation de France Télécom a été une folie économique et sociale. Alors que la rente du cuivre aurait permis de financer la fibre sur tout le territoire, l’État a préféré brader ce fleuron industriel. Or nous avons besoin d’une stratégie industrielle nationale dans le secteur du numérique, c’est une évidence.
Les enjeux sociaux sont aussi importants et rendent nécessaire un renforcement de la prise en charge de l’accès des plus fragiles, car il s’agit bien d’un service essentiel, nous l’avons vu durant le confinement.
Enfin, un tel plan doit fixer des objectifs environnementaux de sobriété. Cette exigence, qui s’exprime de plus en plus fortement, doit être prise en compte.
Pourtant, aujourd’hui, le développement numérique reste un angle mort démocratique, le Parlement étant simplement appelé à constater ou non le respect par les opérateurs privés de leurs engagements peu contraignants dans le cadre du plan France Très haut débit et du contrôle de l’Arcep. De même, alors que les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont exigé un moratoire sur le développement de ces technologies, l’exécutif leur a répondu par le dédain en les qualifiant d’« amish », traduisant un mépris tout jupitérien.
Nous pensons que l’utilité publique de ces usages justifie des débats avec la Convention citoyenne, mais aussi avec les associations, les élus et le Parlement.
Tels sont, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais vous soumettre, en complément de la présentation de notre proposition de résolution par Marie-Claude Varaillas.