Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que deuxième cosignataire de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français, déposée par notre ancien collègue Michel Vaspart et de nombreux collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste, il me revient d’ouvrir aujourd’hui nos débats.
Avant toute chose, je souhaite saluer le travail de Michel Vaspart, son engagement et ses compétences reconnues sur les enjeux maritimes et portuaires, qui ont permis à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable d’approfondir ce sujet et de formuler des propositions concrètes. À sa demande, nous avons constitué en novembre 2019 la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, dont il a été tout naturellement le rapporteur. Cette mission a été présidée par Martine Filleul, dont je salue également le travail et l’implication.
L’ensemble de la mission a effectué un travail de grande qualité qui a, comme très souvent dans notre assemblée, transcendé les clivages politiques. Le rapport a été adopté à l’unanimité le ler juillet dernier par la commission. Il est le fruit d’un important travail : une trentaine d’auditions et une dizaine de déplacements dans des ports maritimes, en France mais aussi à l’étranger, notamment à Anvers et Rotterdam, ont été organisés. Seule la situation sanitaire a empêché un déplacement à Gênes.
La mission a travaillé dans un contexte particulier, celui des grèves liées à la réforme des retraites, qui ont particulièrement touché nos ports, puis de la crise sanitaire. Toutefois, cette crise a mis en exergue le caractère stratégique des infrastructures portuaires et des chaînes logistiques pour l’approvisionnement de la Nation.
Ainsi, après une période difficile, les professionnels se sont mobilisés, et je salue leur engagement. Cette mobilisation a été prolongée par la signature de la charte d’engagement des acteurs des chaînes logistiques françaises, le 7 octobre dernier, sous l’égide du ministre des transports, que je salue, et de la ministre de la mer. Je tiens à mentionner l’implication des professionnels pour assurer un transport fiable et compétitif des marchandises et privilégier le passage des marchandises par les ports français, en encourageant le recours aux modes massifiés. Il faut maintenant que cela se traduise dans les faits.
Le travail de contrôle de la mission d’information a donné lieu au dépôt de deux propositions de loi : celle déposée par Michel Vaspart, que nous examinons aujourd’hui, et celle déposée par Martine Filleul et plusieurs collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces initiatives complémentaires démontrent l’importance du sujet et l’intérêt du travail mené. Grâce à ces initiatives législatives, nous pouvons débattre concrètement des solutions à mettre en œuvre pour nos ports.
La proposition de loi dont nous allons débattre traduit les dix propositions formulées dans le rapport de la mission et les quatre recommandations adressées au Gouvernement. En outre, le travail effectué en commission sur l’initiative du rapporteur Didier Mandelli, que je salue, et qui connaît bien ces sujets pour avoir été le rapporteur de la loi pour l’économie bleue et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) –, ainsi que le travail de Martine Filleul ont permis d’enrichir ce texte, qui contient des mesures importantes en faveur de l’attractivité de la place portuaire française et du nécessaire verdissement dans lequel notre économie s’engage.
Les dix-sept articles de la proposition de loi ont vocation à couvrir tous les enjeux auxquels nos ports sont confrontés. Ils doivent permettre d’avancer concrètement sur des questions essentielles et de répondre aux demandes formulées de longue date par de nombreux acteurs.
Je souhaiterais insister sur trois points, qui rejoignent les constats de la mission d’information.
Tout d’abord, nous manquons d’une stratégie de long terme et d’une définition claire de la vision de l’État sur nos ports maritimes.
Malgré le caractère stratégique de nos ports et la place de la France, deuxième puissance maritime mondiale, qui dispose de trois façades maritimes, nous attendons encore et toujours la stratégie nationale portuaire du Gouvernement, annoncée en novembre 2017. En février 2019, nous avions d’ailleurs publié avec Michel Vaspart un rapport intitulé La compétitivité des ports français à l ’ horizon 2020 : l ’ urgence d ’ une stratégie.
Dans ce rapport, nous nous inquiétions déjà des faibles performances des ports français, au regard des objectifs qui avaient présidé aux différentes réformes portuaires et en comparaison avec les autres ports européens. Près de deux ans plus tard, nous en sommes malheureusement au même point.
Dans son adresse aux Français prononcée le 14 juin dernier, le Président de la République a évoqué la nécessité « [d’accélérer] notre stratégie maritime, nous qui sommes la deuxième puissance océanique mondiale ». Malheureusement, si les annonces présidentielles et gouvernementales vont dans le bon sens, elles ne sont suivies d’aucun effet.
Il est donc grand temps, monsieur le ministre, que le Gouvernement dévoile sa stratégie et la mette en œuvre. Cela est d’autant plus nécessaire que les Chinois sont de plus en plus présents, dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Leurs participations dans les ports européens concernent désormais seize terminaux dans treize ports, et 10 % du volume des échanges. Je partage les inquiétudes de Michel Vaspart, qui nous a souvent alertés sur ce sujet et nous a appelés à faire preuve de plus de clairvoyance et de moins de naïveté.
Le second point sur lequel je souhaite insister porte sur la problématique du sous-investissement chronique des infrastructures d’accès aux grands ports maritimes. Michel Vaspart s’était alarmé de la situation d’un grand nombre de lignes capillaires fret : certaines voies empruntées pour l’acheminement des récoltes depuis les silos céréaliers sont dans un tel état qu’il est aujourd’hui envisagé d’abandonner le rail au profit de la route. Nous constatons d’ailleurs une baisse tendancielle de la part du transport ferroviaire dans le transport intérieur de céréales, qui est passée de 10 % pour la campagne 2012-2013 à 6 % pour la campagne 2017-2018.
À Rouen, premier port céréalier d’Europe de l’Ouest, la part modale du fer ne représente que 6, 8 %. Cette situation n’est pas acceptable. L’augmentation de la trajectoire de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), fixée par la LOM, est aujourd’hui indispensable pour enrayer cette tendance.
En tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget des transports, je continuerai à être vigilant sur le soutien apporté par l’État à ses grands ports maritimes.
Je constate que l’État, dans le projet de loi de finances pour 2021, a respecté ses engagements pour compenser l’intégralité des charges de dragage. Voilà qui constitue un signal positif, même s’il faudrait aller plus loin et parvenir à une prise en charge substantielle et pérenne de l’ensemble des dépenses non commerciales des grands ports maritimes. Tel est l’objet de l’article 7 de cette proposition de loi.
Par ailleurs, le rapport de la mission d’information a déjà produit des effets, puisque le Gouvernement a prévu un soutien au développement du fret ferroviaire, ainsi que des crédits spécifiques dédiés au verdissement des ports dans le cadre du plan de relance.
Toutefois, quand nous examinons dans le détail le plan de relance, les 175 millions d’euros prévus sur deux ans semblent insuffisants, d’autant plus qu’ils sont destinés à financer de très nombreuses mesures, comme le développement des infrastructures de report modal, l’électrification des quais et la création de points d’avitaillement. Certes, des cofinancements sont prévus, mais l’effort de l’État aurait pu être plus important pour donner un véritable avantage comparatif à nos ports en matière de transition écologique.
Une augmentation de l’aide à la pince est également prévue, mais elle reste insuffisante par rapport aux 80 millions d’euros proposés par la mission qui, seuls, pourront permettre de restaurer la compétitivité du transport combiné intérieur.
Le plan de relance n’est donc pas aussi ambitieux que les propositions de la mission d’information. Il constitue un premier pas positif, qui nécessite cependant d’aller plus loin.
Avant de conclure, je forme le vœu que la vie de cette proposition de loi se poursuive au-delà de son examen par le Sénat, et qu’elle puisse également être discutée à l’Assemblée nationale. Encore une fois, notre assemblée est force de proposition, et le Gouvernement serait bien inspiré de reprendre nos recommandations. J’attends d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous puissiez nous indiquer quand et comment vous comptez vous emparer des propositions de la mission d’information, qui seront formulées tout au long du débat de cet après-midi.