Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a été déposée le 24 septembre dernier par notre ancien collègue Michel Vaspart et de nombreux autres sénateurs.
Les dix-sept articles de ce texte et son rapport annexé renvoient fidèlement aux propositions de la mission d’information présidée par Martine Filleul, que je salue, et dont le rapporteur était Michel Vaspart. Cette mission avait été mise en place par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable en novembre 2019.
Je souhaite, à mon tour, rendre un hommage particulier à notre ancien collègue et mon ami Michel Vaspart pour son implication et son travail sur ces sujets. Le rapport de la mission d’information a été adopté à l’unanimité en commission le 1er juillet dernier ; cette unanimité témoigne de l’importance du travail réalisé et de l’attention portée à ce sujet par tous les groupes politiques de notre assemblée.
Je ne reviendrai pas sur les constats, qui sont connus. Près de vingt rapports ont été écrits sur nos ports depuis dix ans, soit deux par an en moyenne, dont la plupart à la demande du Gouvernement.
Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? S’il est vrai que le secteur portuaire a fait l’objet de réformes de grande ampleur depuis le début des années 1990, qui ont permis à nos ports, en particulier aux grands ports maritimes relevant de l’État, de redresser leurs finances et leur compétitivité, leurs performances demeurent décevantes.
Les faits en attestent. Au total, en 2020, le trafic des sept grands ports maritimes métropolitains est inférieur de plus de 40 % à celui du seul port de Rotterdam, par lequel transite également un tonnage trois fois plus important de conteneurs. Plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent encore aujourd’hui par des ports étrangers. Le retard accumulé par la France est tel que nous estimons qu’entre 30 000 et 70 000 emplois seraient perdus.
Dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2021, le Gouvernement a révisé la prévision de part de marché des grands ports maritimes de 13 % à 12, 5 % pour 2020, par rapport aux trente-deux ports européens pris pour référence, avec une part de marché de la filière des conteneurs qui pourrait s’établir à 6, 1 % au lieu de 6, 5 % pour 2020.
La situation ne s’améliore pas, même si cette année est particulière, au regard des grèves liées à la réforme des retraites – Hervé Maurey l’a expliqué – et de la crise sanitaire. Nous connaissons nos faiblesses, qui résultent en particulier d’un sous-investissement dans les infrastructures de desserte de nos ports, au sens strict, et, plus largement, dans le transport massifié de marchandises, ainsi que d’une image de fiabilité encore écornée auprès des grands chargeurs et armateurs.
La proposition de loi prévoit d’ailleurs de dégager davantage de moyens en faveur de la massification des acheminements portuaires. Sans politique ambitieuse de massification du transport de marchandises, il est illusoire d’imaginer que nos ports gagnent durablement des parts de marché, alors que, dans le même temps, 50 % du fret en conteneurs du port d’Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale. Il s’agit non seulement d’un problème de compétitivité, mais aussi d’un problème environnemental.
Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des avancées en la matière, mais les montants paraissent insuffisants. Une augmentation conséquente de la trajectoire d’investissement de l’Afitf, fixée par la LOM, est indispensable pour parvenir véritablement à renforcer la compétitivité de nos ports.
À ces éléments de compétitivité hors prix s’ajoute le principal constat de notre commission, à savoir une absence de vision stratégique à long terme de l’État sur nos ports, à cette date. Vous nous indiquerez sans doute, monsieur le ministre, à quel moment sera présentée la stratégie nationale portuaire.
La création d’un Conseil national portuaire et logistique (CNPL) et l’inscription dans le code des transports de la stratégie nationale portuaire, prévues par l’article 1er de la proposition de loi, répondent à ce besoin qui a d’ailleurs été relevé par la quasi-totalité des acteurs que j’ai consultés, ainsi que par Michel Vaspart et la mission.
Certes, monsieur le ministre, un Comité France maritime (CFM) étoffé existe déjà, mais aucune des instances existantes ne présente un caractère transversal, permettant d’associer à la fois le côté mer et le côté terre, en prenant en compte l’ensemble des acteurs de la chaîne portuaire et logistique.
En outre, le CNPL n’a pas été conçu comme un arbre de plus dans la forêt des instances placées auprès du Gouvernement. Il a vocation à intégrer des structures existantes, dont certaines sont pour l’heure peu dynamiques, comme l’Observatoire des coûts de passage portuaire ou encore le comité interministériel de la logistique (Cilog), même si ce dernier s’est réuni hier avec des ambitions affichées. C’est une logique de rationalisation et non de complexification qui répond à cette volonté de création du CNPL.
Nos concurrents européens et internationaux sont mieux organisés que nous. La stratégie portuaire et logistique allemande fait l’objet d’un débat au Bundestag et figure dans le contrat de coalition du gouvernement actuel. Les Britanniques, malgré la privatisation de leurs ports en 1986, ont maintenu un travail de prospective. Surtout, la République populaire de Chine a lancé une initiative d’une ampleur peu commune, avec les nouvelles routes de la soie, qui incluent évidemment une dimension maritime.
Michel Vaspart était et reste particulièrement préoccupé par ce sujet, comme nous tous. Il a alerté plusieurs ministres depuis deux ans. Quand nous interrogeons les administrations de l’État sur les évolutions apportées pour la protection de nos actifs stratégiques et le contrôle des investissements étrangers, c’est tout juste si l’on ne nous répond qu’il n’y a pas de problème et que tout est sous contrôle. Les seuils de contrôle des investissements étrangers ont été temporairement abaissés jusqu’au 31 décembre 2020. Dont acte. Je doute que cela soit suffisant.
Vous nous parlerez sans doute des discussions que vous menez à l’échelle de l’Union européenne. Je constate que l’information du Parlement et des élus nationaux sur ces sujets est trop faible, alors que nous pourrions un jour être amenés à voter des dispositions en la matière si la situation évoluait défavorablement pour certaines de nos entreprises.
Le rapport de notre commission a également mis en lumière des frustrations et des incompréhensions issues des réformes de 2008 et 2016, qui ont conduit à l’exclusion des acteurs économiques des instances décisionnaires des ports, au nom de la prévention des conflits d’intérêts. Pourtant, des outils de prévention et de gestion des conflits d’intérêts existent, y compris dans le code des transports. Il serait bon de les utiliser de manière pragmatique, plutôt que de refuser par principe toute association ou implication du secteur privé.
Le Gouvernement souhaite disposer de « ports entrepreneurs ». Cet état d’esprit me semble être le bon pour relever le défi de la reconquête de parts de marché, et nous y souscrivons. Toutefois, pour aller au bout de cette logique, il est nécessaire d’accepter les règles du jeu de l’entreprise, et donc des instances de gouvernance fortes, représentatives de la diversité des parties prenantes et placées en situation d’exercer un réel contrôle de la direction de l’établissement.
Au-delà, l’avenir de nos ports est étroitement lié à celui du modèle économique du transport de marchandises, et plus largement à la structure de notre économie, fortement importatrice – nous pouvons évidemment le regretter.
Nos ports se retrouvent pris en étau entre la baisse de leurs recettes, liées en particulier au trafic d’hydrocarbures, et la hausse de leurs charges non commerciales et fiscales – Hervé Maurey l’a également évoqué. Je resterai donc attentif à la mise en œuvre des mesures votées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
Avant de conclure, je rappellerai les trois principaux axes de travail retenus en commission sur ce texte.
Le premier axe est de renforcer l’intégration des collectivités territoriales à la politique portuaire, pour favoriser la coordination entre l’ensemble des ports, associer avec discernement et mesure les acteurs privés à la gouvernance des établissements portuaires, et ainsi améliorer à la marge le cadre issu des lois de 2008 et 2016. J’ai mené le travail préparatoire à l’examen de cette proposition de loi dans le souci de préserver les propositions de Michel Vaspart, mais en y apportant des ajustements et des compléments sur des sujets ponctuels.
Certains points font l’objet de débats, ce qui est naturel. Cela est notamment le cas pour l’article 6 – je pourrais ajouter l’article 8 –, qui prévoit de décentraliser les grands ports maritimes à la demande des régions, et sous réserve de l’accord de l’État.
Le deuxième axe est d’améliorer l’attractivité et la compétitivité de nos grands ports maritimes et des ports des collectivités territoriales. La commission a notamment adopté deux amendements visant à créer des zones de relance économique temporaires et un dispositif de suramortissement, pour favoriser les investissements concourant à la fluidité du passage portuaire, avec une double conditionnalité sectorielle et environnementale.
Enfin, le troisième axe est de soutenir le verdissement de ce secteur, en offrant des outils supplémentaires aux acteurs pour les accompagner activement dans la transition écologique.
Vous le voyez, monsieur le ministre, nous sommes mobilisés pour soutenir nos ports et la relance de l’économie. Nous sommes prêts à y travailler avec vous et avec nos collègues députés.
Je terminerai par une question très simple, qui rejoint celle posée par Hervé Maurey en conclusion de son propos : le Gouvernement va-t-il se décider à saisir cette proposition que nous lui faisons ?