Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du 8 décembre 2020 à 14h30
Gouvernance et performance des ports maritimes français — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Jean-Baptiste Djebbari :

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! », tel était le commandement de Charles Baudelaire. Aujourd’hui, chérir la mer exige de chérir les portes qui nous y mènent.

Ces portes, ce sont nos ports. Notre ambition est de les rendre plus forts, tant en matière de gouvernance que de performance. Telle est l’ambition du Gouvernement. C’était hier celle du rédacteur de cette proposition de loi, Michel Vaspart, qui a longtemps siégé sur ces travées. C’est aujourd’hui la vôtre, madame la présidente de la mission d’information, monsieur le rapporteur et monsieur le premier signataire de fait, cher Hervé Maurey.

Je sais combien la puissance maritime de la France importe au Sénat. Je sais combien vous êtes attachés à ce que notre pays tire pleinement profit de ses grandes façades maritimes et de ses nombreux territoires ultramarins. Cet attachement, cette attention, ces égards qui sont les vôtres, je les retrouve dans le texte que nous allons examiner.

Toutefois, celui-ci a été rédigé dans un contexte bien différent. Depuis, la crise sanitaire a frappé le monde. Le Gouvernement a très rapidement pris des engagements, qui ont d’ores et déjà défini les jalons de notre stratégie maritime.

Dès cet été, le Président de la République en a présenté les grandes lignes. En septembre, avec le plan de relance, nous avons annoncé des investissements massifs, dont 400 millions d’euros dédiés aux secteurs maritime et fluvial – leur avenir doit en effet être pensé de pair –, et 1 milliard d’euros en faveur du fret ferroviaire qui permettra, notamment, la création d’autoroutes ferroviaires reliant plusieurs ports entre eux.

En octobre, nous avons signé la charte portuaire. Elle contient des engagements clairs et inédits de la part des acteurs de la filière logistique, des donneurs d’ordre et des partenaires sociaux.

En novembre, nous avons nommé un directeur général préfigurateur pour Haropa ports de Paris Seine Normandie, et les discussions se poursuivent pour approfondir ce projet portuaire majeur.

Nous avançons, mais nous n’allons pas nous arrêter là. Comme certains d’entre vous l’ont évoqué, la prochaine étape sera la présentation de la stratégie nationale portuaire, au début de l’année prochaine. Cette stratégie suit trois mots d’ordre : compétitivité, souveraineté et verdissement.

Le premier mot d’ordre est donc de renforcer la compétitivité de nos ports. Cela passe par un coût de passage portuaire optimisé. À cet effet, nous expérimentons le point de contact unique aux frontières, au Havre, à Marseille et à Dunkerque.

La compétitivité passe aussi par un dialogue social de qualité, pour prévenir les conflits et ainsi conférer à nos ports davantage de fiabilité. C’est tout l’objet de la charte portuaire signée en octobre par les acteurs des chaînes logistiques et des filières maritime, portuaire, fluviale et ferroviaire françaises.

La compétitivité passe également par la reconquête des parts de marché. Pour la mener à bien, nous devons faire de nos ports des maillons plus solides d’une chaîne logistique véritablement intermodale. Cela implique de renforcer l’intermodalité et d’accroître le report modal vers les transports massifiés, alors que, aujourd’hui, la part du fret vers ou depuis la France qui est manutentionnée dans les ports français est d’environ 60 %. Notre objectif est de la porter à 80 % d’ici à 2050.

Nous devons mettre nos ports au service de la relance des territoires. Il nous faut, pour cela, favoriser l’implantation de nouveaux industriels et logisticiens dans les zones industrialo-portuaires. Notre objectif, à l’horizon de 2050, est de doubler le nombre d’emplois directs et induits liés à l’activité portuaire.

Nous devons, en outre, rendre nos ports intelligents et connectés, en faire des moteurs de l’innovation. Les flux d’information liés au passage de la marchandise doivent être digitalisés. Ils le seront.

Cet objectif de reconquête sera au cœur de la stratégie nationale portuaire. Elle sera présentée au début de l’année prochaine, à l’occasion du comité interministériel de la mer (CIMer). J’en suivrai personnellement la mise en œuvre, en lien avec la ministre de la mer et les différentes parties prenantes.

Le deuxième mot d’ordre est de rétablir la souveraineté de nos ports. Les deux orateurs précédents ont évoqué cette question, à juste titre. Des outils de souveraineté ont été renforcés par le Gouvernement. Il faut les utiliser lorsque cela est nécessaire – je pense notamment au décret relatif aux investissements étrangers en France.

Notre souveraineté dépend aussi de la bonne coordination entre nos ports d’État et nos ports décentralisés, et entre nos ports maritimes et intérieurs. Face à des alliances maritimes très puissantes, elle est indispensable. Les travaux se poursuivent au sein des axes logistiques et portuaires pour renforcer cette souveraineté, et accroître l’hinterland des ports français le long des axes fluviaux et ferroviaires. Les enjeux d’intermodalité sont cruciaux en la matière.

La souveraineté donne aussi son sens à l’intégration des ports du Havre, de Rouen et de Paris, qui sera effective d’ici à l’été 2021. Avec Haropa, nous sommes en train de bâtir une porte d’entrée unifiée pour le premier ensemble portuaire français, un ensemble capable de rivaliser avec ses principaux concurrents européens. Si, au vu de son intérêt stratégique pour la Nation, il a vocation à demeurer sous contrôle de l’État, il associera fortement les collectivités qui seront parties prenantes à sa gouvernance. Un directeur général préfigurateur a été nommé en la personne de Stéphane Raison. Il a pour mission de mener à bien la finalisation du processus de fusion, en s’appuyant sur les travaux menés par Catherine Rivoallon. Une fois encore, nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail lors du CIMer, dans les prochaines semaines.

Le troisième mot d’ordre est d’accélérer le verdissement de nos ports. L’objectif est que nos grands ports maritimes atteignent la neutralité carbone en 2050. Pour cela, nous donnons la priorité à l’électrification des quais. Les investissements permis par la LOM y contribuent, tout comme le plan de relance, avec 175 millions d’euros sur deux ans qui iront aux grands ports maritimes de métropole et d’outre-mer, et aux ports autonomes de Paris et Strasbourg. Ils permettront, par exemple, d’accélérer la modernisation de l’écluse de Tancarville au Havre, ou encore l’électrification des quais croisière et ferries à Marseille.

Nous soutiendrons également les investissements des collectivités en faveur des ports décentralisés, via la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Nous en avons triplé le montant annuel en juin dernier, et les ports y sont éligibles.

Monsieur le rapporteur, vous pouvez le constater, le Gouvernement agit pour rendre nos ports plus forts, plus durables. Nous partageons de nombreuses idées contenues dans cette proposition de loi, à tel point que nous sommes déjà en train de les mettre en œuvre.

Cependant, ce vecteur législatif est-il adapté, alors que nombre de ces mesures sont de nature réglementaire, que certaines sont déjà en vigueur et que d’autres sont à approfondir en concertation avec les territoires et les partenaires sociaux ? Je ne le pense pas.

Pour autant, je tiens à ce que nous puissions travailler de concert, sur plusieurs sujets. Je pense, tout d’abord, à la meilleure inclusion des parlementaires dans nos comités de pilotage et de suivi, comme celui qui résultera de la mise en place de la stratégie nationale portuaire, plutôt qu’à la création de nouvelles instances.

Je pense aussi à l’opportunité de venir plus régulièrement rendre compte de notre action dans cet hémicycle, sans que cela soit inscrit dans la loi, lors d’une mise à jour de la stratégie tous les cinq ans. Tel est le sens de l’article 1er de la proposition de loi. Nous y répondrons en janvier.

Je pense, par ailleurs, à la mise en place de contrats pluriannuels d’objectifs et de performance (COP) entre l’État et les ports. Tel est le sens de l’article 7 de votre proposition de loi. Nous allons approfondir cette mesure avec mes services.

Le plan de relance nous permet d’investir davantage dans le verdissement du secteur. Nous approuvons ainsi en grande partie les articles 13 et 14. Trouvons ensemble les moyens d’une meilleure communication, afin que ces crédits permettent de soutenir des projets stratégiques pour nos ports.

Voilà les sujets sur lesquels je vous propose de travailler, à l’issue de nos débats et hors cadre législatif.

Néanmoins, nous ne sommes pas d’accord sur tout. Je souhaite m’arrêter sur trois sujets, sur lesquels des divergences sont à noter. Car l’enjeu pour nos ports est moins d’engager une nouvelle évolution de leur gouvernance ou une nouvelle étape de leur décentralisation, que de les aider à reconquérir des parts de marché.

Sur le sujet de leur gouvernance, le texte que nous examinons modifierait fortement les équilibres issus de la réforme portuaire de 2008 et de la loi pour l’économie bleue de 2016. Certaines mesures s’inscrivent même à rebours de l’esprit de la réforme de 2008, qui a pourtant montré son efficacité.

Dans le contexte d’une intense concurrence européenne et mondiale, il n’est pas certain que cette proposition de loi aille dans le sens d’une meilleure compétitivité, d’une bonne coordination nationale et d’une reconquête des parts de marché. Elle pourrait même constituer un facteur d’instabilité supplémentaire.

Sur le sujet de la décentralisation des ports, le texte ouvrirait cette possibilité aux régions qui en feraient la demande. Toutefois, aucune des régions avec lesquelles l’État a pu engager une réflexion ne le demande.

En outre, les grands ports maritimes qui, après les différentes étapes de la décentralisation, demeurent aujourd’hui sous contrôle de l’État, sont soit d’un intérêt stratégique pour la Nation, car ce sont des portes d’entrée sur notre territoire, soit des ports ultramarins, essentiels à la continuité territoriale. C’est pourquoi la conviction du Gouvernement est que l’État doit en garder la responsabilité, en lien étroit avec les collectivités.

J’entends néanmoins, de la part des présidents de région, que l’État doit pouvoir garantir un soutien sans faille aux trajectoires d’investissement de chaque grand port d’État. C’est bien l’ambition du Gouvernement, et cela va se traduire dans les négociations budgétaires en cours, pour les territoires concernés, dans le cadre de l’élaboration des nouveaux contrats de plan État-région (CPER).

Enfin, concernant les services portuaires, les dispositions que vous proposez pourraient conduire à imposer un service minimum. Leur application poserait des difficultés majeures, et tout d’abord des difficultés juridiques, car cela reviendrait à réquisitionner des personnels d’entreprises privées qui ne sont pas en charge de l’exécution d’un service public. Cela porterait vraisemblablement une atteinte disproportionnée au droit de grève et à la liberté d’entreprendre.

Ces dispositions poseraient des difficultés sociales, ensuite, car une telle évolution exigerait une concertation approfondie avec les partenaires sociaux du secteur, concertation qui, à ce jour, n’a pas eu lieu.

La signature de la charte portuaire a permis de poser les bases durables d’un climat social apaisé dans les ports français, indispensable à la continuité de leur activité. Nous souhaitons poursuivre dans cette voie, en fonctionnant en pack, comme au rugby, avec la communauté portuaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes conscients du besoin d’associer les élus à la politique portuaire. Nous sommes prêts à travailler en ce sens, avec vous. Toutefois, pour toutes les raisons que je viens d’exposer, cette proposition de loi ne nous semble pas être le bon moyen d’y parvenir. C’est pourquoi le Gouvernement ne soutient pas, en l’état, cette proposition de loi.

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