Intervention de Stéphane Demilly

Réunion du 8 décembre 2020 à 14h30
Gouvernance et performance des ports maritimes français — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Stéphane DemillyStéphane Demilly :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français. Ce texte vise à créer un cadre propice à la reconquête de parts de marché pour nos ports maritimes, en particulier les grands ports maritimes relevant de l’État, premières portes d’entrée du commerce extérieur français.

Il faut savoir que 90 % des échanges mondiaux se font par voie maritime. Autant dire que les ports français sont des acteurs stratégiques dans ce domaine, avec un impact économique considérable. La valeur ajoutée du fonctionnement du système portuaire français dépasse les 15 milliards d’euros et l’activité portuaire représente plus de 350 000 emplois directs et indirects.

La France possède de nombreux points forts, avec ses trois façades maritimes métropolitaines, son accès à tous les océans grâce à l’outre-mer, son deuxième plus grand domaine maritime au monde et son dense réseau de soixante-six ports de commerce.

Mais, malgré ces atouts, la performance de nos grands ports maritimes connaît un recul depuis 2008 et, comme l’a souligné le rapporteur, le trafic de l’ensemble des grands ports maritimes métropolitains est inférieur de plus de 40 % à celui du seul port de Rotterdam. J’ai eu du mal à le croire !

L’une des explications à ce constat est l’insuffisance de coordination entre les ports maritimes eux-mêmes, et entre les ports maritimes et les ports intérieurs. Pour le dire d’un point de vue macroéconomique, nous pêchons, si j’ose dire, par absence de stratégie nationale portuaire, une stratégie pourtant promise par le Gouvernement.

Nos ports maritimes sont aujourd’hui confrontés à une forte mutation du transport maritime : augmentation de la taille des navires, concentration économique, numérisation et reconfiguration du paysage géopolitique, avec notamment la mise en œuvre de la stratégie chinoise des nouvelles routes de la soie.

Certaines estimations traduisent ce retard de croissance des ports maritimes français en une perte d’emplois comprise entre 30 000 et 70 000 pour la filière des conteneurs. En 2020, plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent encore par des ports étrangers. Ce constat terrible, j’ai aussi dû le relire plusieurs fois !

De nouvelles stratégies de reconquête s’avèrent donc nécessaires pour valoriser ce domaine essentiel à l’économie française.

Les potentialités de croissance sont très importantes, y compris à court et moyen termes. Ces mesures pourraient représenter une hausse de 10 % de la part de marché des grands ports maritimes sur le trafic de conteneurs, associée à plus d’un milliard d’euros de valeur ajoutée, ainsi qu’à la création de 25 000 emplois directs et indirects.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui reprend les mesures proposées par la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes. Bien sûr, on est en droit de s’interroger sur la nature de ce véhicule législatif pour aborder des sujets aussi stratégiques.

Néanmoins, l’intention est là et cette proposition de loi tend à moderniser et améliorer la gouvernance des ports français, en instituant une stratégie nationale portuaire et en créant un Conseil national portuaire et logistique chargé du suivi de sa mise en œuvre. Ce CNPL renforcerait la représentation des collectivités territoriales et des acteurs économiques de la place portuaire au sein du conseil de surveillance de chaque grand port maritime.

Cette proposition de loi tend également à renforcer les pouvoirs du conseil de développement des grands ports maritimes, en leur permettant de rendre un avis conforme sur le projet stratégique de l’établissement. Elle comporte aussi des mesures visant à clarifier le fonctionnement des conseils de coordination interportuaire.

Ce texte vise également à renforcer l’attractivité et la compétitivité des grands ports maritimes, en favorisant leur développement, notamment grâce à des mesures relatives à l’exécution et à la régulation des services portuaires de pilotage et de remorquage.

Nous ne pouvons que soutenir l’ensemble de ces orientations, qui vont dans le bon sens, d’autant que le texte a été notablement amélioré par les travaux de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a assoupli les modalités de gouvernance et qui est parvenue à une meilleure représentation de l’ensemble des acteurs concernés.

La commission a aussi renforcé la compétitivité et le verdissement du secteur. Elle propose notamment d’instituer des zones de relance économique temporaires, avec un régime douanier et fiscal spécifique, et de définir un régime de suramortissement à hauteur de 30 % pour l’acquisition de certains équipements et technologies concourant à la fluidité du passage portuaire et de la chaîne logistique.

Accompagner la transition écologique de ce secteur a également été, je vous l’ai dit, une priorité de nos travaux en commission. Des outils incitatifs ont été mis en place pour que les acteurs du domaine portuaire s’engagent clairement et plus fortement à réduire leur impact environnemental. Le mécanisme de suramortissement que je viens de citer vise notamment l’acquisition d’équipements permettant une réduction d’au moins 25 % des émissions de CO2, de soufre ou de tout type de pollution.

La commission a également souhaité ouvrir la possibilité pour les grands ports maritimes volontaires d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’optimisation des coûts et, le cas échéant, de réduction du surcoût de manutention fluviale, afin de favoriser le report modal et le verdissement du transport de marchandises.

Ces différentes mesures doivent permettre une relance économique verte de nos ports maritimes français.

Un mot maintenant de la mesure sur laquelle vont sans doute se concentrer nos débats : le fameux article 6, qui ouvre la possibilité d’une décentralisation de la propriété, de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion des grands ports maritimes aux régions qui en feraient la demande, sous réserve de l’accord de l’État.

Pour ma part, autant la possibilité d’une telle décentralisation me semble a priori judicieuse pour la gestion des ports intérieurs, autant j’entends les arguments de ceux qui considèrent que cette décentralisation risquerait de mettre à mal la stratégie nationale. Les débats que nous aurons dans cet hémicycle nous permettront probablement d’obtenir des éclairages très intéressants.

Quoi qu’il en soit, la présente proposition de loi est de nature à créer un écosystème portuaire en phase avec nombre de priorités pour l’aménagement des territoires, comme la réalisation concomitante du barreau nord-est et du barreau sud-est pour le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, ou le triplement de l’aide à la pince afin de soutenir le report modal.

Je pense aussi, bien sûr, au développement de plateformes logistiques le long de l’attendu canal Seine-Nord Europe. Ce projet, que je connais bien pour en être l’ambassadeur depuis plus de vingt-cinq ans, d’abord à la région, puis à l’Assemblée nationale et dorénavant au Sénat, avec mon collègue Laurent Somon ici présent, est un projet majeur qui constituera un maillon central de la liaison fluviale européenne à grand gabarit Seine-Escaut.

En reliant les bassins de la Seine et de l’Oise aux 20 000 kilomètres de réseau fluvial nord-européen à grand gabarit, il permettra de faire voguer des bateaux de fret fluvial de 4 400 tonnes, soit l’équivalent de deux cent vingt camions. Ce report modal de la route vers la voie d’eau entraînera une diminution importante des émissions de CO2, décongestionnera les autoroutes de l’axe concerné et surtout créera des milliers d’emplois conjoncturels, le temps des travaux, et structurels grâce aux plateformes d’irrigation économique le long de son parcours.

C’était mon couplet picard ou plus exactement, madame la présidente, mon couplet haut-français…

Vous l’aurez compris, il nous semble urgent de donner un nouvel élan à nos ports maritimes français, de renforcer leur compétitivité et de soutenir leur verdissement.

Sceptique quant à la durée de vie de cette proposition de loi, le groupe Union Centriste votera néanmoins en faveur de ce texte, car de la performance de nos ports maritimes dépendent la santé de notre commerce international et de notre économie et le respect de nos engagements en faveur de la transition écologique.

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