Intervention de Martine Filleul

Réunion du 8 décembre 2020 à 14h30
Gouvernance et performance des ports maritimes français — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Martine FilleulMartine Filleul :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré plusieurs réformes, nos places portuaires accusent un retard par rapport à celles de nos voisins européens et sont sous-exploitées au regard de leurs potentialités, alors même que la France est la deuxième puissance maritime mondiale. Ce constat a été mis en évidence par les précédents orateurs. Il faut désormais franchir un nouveau cap.

Le texte que nous examinons est la traduction législative des recommandations de la mission d’information que j’ai présidée, et dont Michel Vaspart était rapporteur. Si nous partagions beaucoup, pour ne pas dire l’essentiel, des constats et des mesures à mettre en œuvre, nous avions quelques points de divergence, que j’ai souhaité présenter dans une proposition de loi à part, et dont certains font l’objet aujourd’hui d’amendements.

Tout d’abord, nous en sommes tous d’accord, il faut que l’État définisse une stratégie nationale cohérente et ambitieuse. À cet égard, nous soutenons les mesures qui tendent à définir ladite stratégie, ainsi que la création d’un Conseil national portuaire et logistique chargé de sa mise en œuvre et de son suivi.

C’est un besoin impérieux dans un contexte de relance économique : les ports constituent en effet des lieux privilégiés de réindustrialisation, des gisements potentiels d’emplois. La création de zones franches nous apparaît opportune pour encourager l’implantation d’entreprises.

Cependant, le développement de nos ports ne pourra se faire sans investissements importants dans les infrastructures. Or ceux qui sont prévus par la LOM restent insuffisants. Il est indispensable de les augmenter, et nous soutenons l’ensemble des mesures financières prévues à cet effet.

Une bonne gestion et une gouvernance efficace sont aussi nécessaires pour la compétitivité de nos ports : pour cela, toutes les parties prenantes doivent pouvoir participer aux décisions qui les concernent. Ainsi, les acteurs privés et les collectivités territoriales qui contribuent à leur financement et à leur fonctionnement doivent y être davantage associés. Nous saluons les mesures qui encouragent cette idée.

Au-delà de ces aspects, sur lesquels nous nous accordons, un point central nous sépare.

Nos ports constituent un outil de souveraineté nationale pour l’approvisionnement en toutes circonstances de notre pays. La crise sanitaire l’a bien montré. En effet, les ports ont fait preuve d’une réactivité remarquable en demeurant pleinement opérationnels, assurant ainsi l’acheminement de biens essentiels, de masques et de certains produits pharmaceutiques. À l’export, ils permettent la promotion de nos filières d’excellence.

Autour de cet enjeu stratégique, je dirai presque régalien, d’importants défis sont à relever dans un contexte de concurrence internationale féroce et d’urgence écologique. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à la possibilité ouverte de régionaliser les grands ports maritimes. L’État doit garder le contrôle de ces structures indispensables à notre indépendance et à notre économie.

Pour nous, l’enjeu se situe plutôt dans la nécessaire coordination entre nos différents ports. Ils doivent jouer collectif, affronter ensemble les défis, dans une logique de complémentarité, a fortiori dans le contexte du Brexit. C’est pourquoi nous attachons une importance particulière aux conseils de coordination interportuaire, dont l’article 5 améliore le fonctionnement. Nous avons souhaité que chaque façade maritime en soit systématiquement dotée.

Par ailleurs, la stratégie portuaire devra inévitablement respecter nos engagements de développement durable, tant sur la question environnementale que sur la question sociale.

Plus que jamais, l’économie doit se conjuguer avec les impératifs écologiques, en l’occurrence le verdissement du transport de marchandises, qui passe notamment par le fluvial.

La France est le théâtre d’un grand paradoxe de ce point de vue : c’est le pays qui dispose des voies navigables les plus longues d’Europe, mais dont le taux d’utilisation est le plus faible, 80 % des acheminements reposant encore sur le routier. Pourtant, avec quatre fois moins de CO2émis que la route et sa capacité de massification importante, le fluvial est l’un des modes de transport les plus vertueux.

Nos ports ont, par ailleurs, trop longtemps été perçus comme des culs-de-sac, des éléments isolés menant leurs propres activités, des structures limitées à leur propre zone d’exploitation. Or il est très réducteur de ne les envisager que sous l’angle de leur rapport avec la mer, car c’est celui avec la terre, c’est-à-dire l’hinterland, qui est défaillant et qui a freiné la constitution d’une chaîne logistique performante et écologique.

Les ports sont des espaces multimodaux qu’il faut envisager dans leur prolongement vers les réseaux ferrés et fluviaux. À l’instar de ce que font nos voisins, nous devons prioritairement renforcer le transport fluvial. La construction du canal Seine-Nord Europe sera une première étape, mais il faut d’autres mesures, y compris pour la régénération de l’ensemble du réseau de voies navigables.

L’établissement Voies navigables de France (VNF), tout comme SNCF Réseau, doit systématiquement être associé à la politique portuaire. Par ailleurs, pour rendre compétitif le transport fluvial face au routier, nous voulons supprimer la distorsion qu’il subit en généralisant la solution, retenue à Dunkerque, d’une mutualisation et d’une répartition uniforme des charges de manutention des conteneurs.

Vous l’aurez compris, le respect de l’environnement constitue une préoccupation majeure. C’est la raison pour laquelle, malgré la nouvelle rédaction adoptée par la commission, nous demanderons la suppression de l’alinéa 3 de l’article 7, qui permettrait à un port de déroger à ses obligations de compenser toute atteinte à la biodiversité.

Enfin, nos ports ne seraient rien sans les femmes et les hommes qui les font vivre, et participent indéniablement à leur essor. C’est pourquoi nous voulons que le personnel soit bien représenté au sein des conseils de surveillance.

Nous veillerons également à ne pas affaiblir le modèle social auquel les salariés et les dockers sont légitimement attachés. La mise en place d’un « nouveau service minimum », alors que des règles permettent déjà de maintenir un niveau de fonctionnement suffisant de nos ports, n’est, à nos yeux, pas acceptable.

Nous pensons que nous devons davantage nous préoccuper de donner aux salariés et aux dockers les moyens de s’adapter à la transformation numérique et de réfléchir, notamment, à leur formation.

Pour conclure, je dirai que la mer peut, dans la période difficile que nous vivons, devenir une de nos plus belles opportunités, si nous défendons ensemble une politique portuaire qui préserve nos intérêts, protège nos richesses et agisse comme un moteur pour le développement des territoires, pour la création de valeur et pour l’emploi, tout en favorisant la transition écologique.

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