Intervention de Philippe Tabarot

Réunion du 8 décembre 2020 à 14h30
Gouvernance et performance des ports maritimes français — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Philippe TabarotPhilippe Tabarot :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux moi aussi profiter de cette occasion pour saluer le travail accompli par Michel Vaspart. Il a, je le sais, joué un rôle moteur pour que les affaires portuaires fassent l’objet d’une attention constante au Sénat, tout comme nos collègues Martine Filleul, Hervé Maurey et Didier Mandelli. Je veux pour preuve de cet engagement l’examen, aujourd’hui, de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français.

Si la crise sanitaire a montré la résilience de nos ports français, elle a également révélé que le modèle économique des grands ports maritimes était encore handicapé par des freins à la compétitivité. Nos portes d’entrée maritimes, qui sont bien plus que des connecteurs à l’économie mondialisée, sont devant la porte de leur propre vérité face à la concurrence : il s’agit aujourd’hui de relever les nouveaux défis de ce que doit être une grande Nation maritime.

Comité interministériel en 2018, Assises de la mer… Il est temps de passer des intentions aux actes ! Malgré vos annonces à l’instant, monsieur le ministre, beaucoup reste à faire.

En préambule, je souhaite rappeler un chiffre : plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent toujours par d’autres ports européens, principalement belges et néerlandais, et notamment Rotterdam dont a parlé Stéphane Demilly.

Cette édifiante donnée motive à elle seule mon intervention sur cette proposition de loi. Ce rappel doit nous permettre de garder à l’esprit que ce texte résulte non pas d’une conjonction d’opportunités politiques, mais bien d’une volonté de pallier une politique publique défaillante.

J’emploie à dessein l’adjectif « défaillant », car deux rapports dressent un panorama sans concession de la situation des ports français. Permettez-moi de citer l’un d’eux : « La performance de nos ports demeure insuffisante au regard des atouts maritimes de la France. »

Le rapport de juillet dernier rappelle, par ailleurs, que le projet chinois des nouvelles routes de la soie a mis en lumière le caractère stratégique des ports pour l’approvisionnement de la Nation en biens essentiels.

Un autre chiffre illustre cette situation : 80 % des pré- et post-acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier, quand 50 % du fret du port d’Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale.

La statistique la plus éloquente est pourtant à venir : songez un instant que les six principaux ports maritimes hexagonaux représentent un total de 294 millions de tonnes de transit, le seul port de Rotterdam atteignant, de son côté, 469 millions de tonnes, et Anvers 235 millions de tonnes.

Nous sommes donc face à un double défi : d’une part, nos ports manquent cruellement d’attractivité ; d’autre part, ils souffrent d’une intermodalité insuffisamment développée. Sur ce dernier point, j’ai eu l’occasion de mesurer notre retard, ayant examiné cette année en tant que rapporteur pour avis les crédits prévus dans le budget pour 2021 en faveur du transport ferroviaire, fluvial et maritime.

Nous sommes particulièrement sensibles au développement de solutions de transport intermodal diversifiées, qui dépassent d’ailleurs le strict cadre portuaire.

Le mode fluvial, pourtant fiable, capacitaire et capable de desservir le cœur des villes, représente seulement 2 % du transport intérieur de marchandises. La part du ferroviaire en France atteint difficilement les 9 %, alors qu’elle s’élève à 35 % en Autriche.

La massification des acheminements portuaires est nécessaire à double titre : dans une optique de réduction des nuisances liées au transport de marchandises mais aussi pour renforcer la compétitivité de nos ports.

En effet, comment envisager demain de gagner des parts de marché dans nos ports si, derrière, nous ne disposons pas des capacités de transport suffisantes pour absorber cette augmentation ? Comme le résume très bien la formule citée dans le rapport de la mission d’information, « à la massification maritime doit correspondre une massification terrestre ». Je salue donc les avancées prévues par la proposition de loi en la matière.

Il s’agit, d’abord, de la création du CNPL, qui va favoriser une meilleure prise en compte de la problématique du transport terrestre des marchandises. Les amendements adoptés en commission sur l’initiative du rapporteur Didier Mandelli et de nos collègues, et visant à élargir la composition de ce Conseil aux représentants des collectivités territoriales, des ports maritimes, de VNF, de SNCF Réseau, vont tous dans le sens du développement de solutions multimodales.

De fait, cette proposition de loi suit toujours sa ligne directrice : favoriser les solutions multimodales, comme nous le constatons avec la composition et le fonctionnement des conseils de surveillance des grands ports maritimes.

S’agissant du volet financier, l’augmentation de la trajectoire d’investissements de l’Afitf, fixée par la LOM, est un signal fort en faveur du fret ferroviaire et du fret fluvial.

Les besoins en matière de régénération sont énormes, compte tenu des années de sous-investissement. Cette évolution pourrait d’ailleurs s’inscrire dans la stratégie nationale pour le fret ferroviaire, qui devrait, comme vous venez de nous le dire, monsieur le ministre, être présentée prochainement.

Un mot, enfin, pour dire que la création d’une instance de discussion sur le surcoût de la manutention fluviale, qui serait chargée de mettre en œuvre un plan d’optimisation à cet égard, est malheureusement devenue nécessaire.

S’agissant du transport maritime, le prolongement du dispositif de suramortissement fiscal en faveur du verdissement des navires est particulièrement bienvenu, étant donnés les objectifs ambitieux, devenus impérieux en la matière, pour diminuer l’intensité carbone du transport international.

Pour conclure, si ce texte est avant tout une réponse à une politique publique que nous jugeons défaillante, je m’autorise, comme mes collègues, à demander au Gouvernement, une nouvelle fois, de présenter au plus vite sa stratégie nationale portuaire, annoncée depuis 2017.

Si la France de la mer et celle de la terre ne se tournent plus le dos, le réalisme de la situation n’interdit pas d’engager formellement et rapidement plus de convergence, plus d’ambition, plus d’intermodalité, dès lors que ces objectifs sont portés et partagés politiquement aux plans national et régional.

Compte tenu du contexte sanitaire, la situation des grands ports maritimes ne semble pas relever de l’urgence. Et pourtant, si nous continuons dans cette voie, nous risquons de franchir un point de non-retour. Alors, monsieur le ministre, ne repoussez pas cette proposition de loi et revenez sur votre avis initial. Aidons nos ports français à retrouver une place stratégique sur notre continent ! Ils n’ont que trop attendu. Ce texte quasi consensuel est de nature à y contribuer fortement.

Monsieur le ministre, ne passez pas à côté de cette nouvelle opportunité que vous offre la Haute Assemblée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion