Intervention de Clément Beaune

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Clément Beaune  :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être devant vous aujourd’hui pour vous présenter les principaux résultats du dernier Conseil européen, qui s’est tenu les 10 et 11 décembre dernier. Vous le savez, son ordre du jour était particulièrement chargé, à la hauteur des enjeux et des crises auxquels nous sommes confrontés collectivement.

Plusieurs questions nécessitaient des prises de décisions urgentes et importantes. À ce titre, nous pouvons nous réjouir d’un grand nombre d’avancées notables.

Trois points de ce sommet sont particulièrement marquants : les décisions prises au sujet de la Turquie, l’ambition climatique ainsi que le plan de relance et le paquet budgétaire européen, qui nécessitaient un déblocage, ce que nous avons obtenu. J’ajoute un élément important en parallèle à ce Conseil : la conclusion, jeudi après-midi, des discussions entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sur le retrait des contenus terroristes en ligne. Il s’agit d’un sujet d’autant plus important qu’aujourd’hui même la Commission européenne présentera le nouveau texte législatif pour la régulation du monde numérique.

En premier lieu, ce Conseil européen a conclu un accord sur la conditionnalité financière, préalable à l’adoption du cadre financier pour les années 2021 à 2027 et du plan de relance. Ce paquet financier est absolument massif et inédit : plus de 1 800 milliards d’euros sur les sept prochaines années, dont 750 milliards d’euros de relance sur les trois prochaines années, en complément des moyens budgétaires ordinaires.

Le Conseil européen a donc permis, après plusieurs semaines de discussions intensives au cours desquelles la présidence allemande et la France se sont étroitement impliquées, d’obtenir un accord définitif sur ce paquet budgétaire. Permettez-moi d’être précis sur ce point, qui a pu donner lieu à un certain nombre d’interprétations, voire de malentendus.

Les conclusions du Conseil européen ont introduit des éléments de clarification sur ce qu’est et sur ce que n’est pas le mécanisme législatif lié au respect de l’État de droit. Est notamment mentionné le fait qu’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne est possible, formulation qui ne crée pas de droit mais l’explicite. Sans doute – il appartient à chacun des gouvernements concernés d’en décider –, la Pologne et la Hongrie utiliseront cette possibilité de saisine de la Cour de justice.

La Commission européenne a pris l’engagement politique de ne pas activer complètement le mécanisme de conditionnalité liée à l’État de droit tant qu’une procédure juridique devant la Cour de justice sera en cours. Quel délai cette procédure représente-t-elle ? C’est à elle, et à elle seule, de le déterminer. Nous pouvons toutefois imaginer, compte tenu des précédents, que le délai se situera autour d’un an. Cela n’empêchera pas la Commission européenne de commencer, si cela est avéré et nécessaire, un travail de recueil d’informations et d’investigation sur de possibles manquements à l’État de droit, dans le cadre de ce mécanisme.

Point très important à rappeler devant le Parlement – le Parlement européen le soulignera également – : le texte législatif lié à ce mécanisme relatif à l’État de droit n’est aucunement remis en cause, amoindri ou rediscuté par les conclusions de ce Conseil européen. Ce dispositif couvre certains aspects de possibles manquements à l’État de droit, par exemple en matière de corruption ou d’indépendance de la justice. Il constitue, je crois, une avancée majeure, en ce qu’il fait un lien, pour la première fois, entre la solidarité budgétaire légitime et le respect, absolument indispensable et incontournable, de nos valeurs politiques fondamentales. C’était précisément l’objet du débat et du blocage de ces dernières semaines.

Au total, cet accord permet à ce paquet budgétaire inédit d’être débloqué. Comme je l’avais indiqué dans nos précédents débats, nous n’avons renoncé ni à l’ambition de la relance et à l’ambition budgétaire européenne ni à celle que nous portons collectivement au respect strict de l’État de droit. Le règlement sur le cadre financier pluriannuel, le budget pour l’année 2021 ainsi que le plan de relance spécifiquement peuvent désormais avancer et être adoptés.

Comme vous le savez, il reste une étape démocratique fondamentale, pour chacun des États membres et des parlements concernés, à savoir l’adoption de la décision sur les ressources propres. Elle sera portée devant l’Assemblée nationale et le Sénat sans doute dans les premières semaines de l’année 2021, votre autorisation étant un préalable nécessaire à la ratification de cet acte juridique qui permettra de financer le budget européen et la dette relative au plan de relance.

Je voulais vous rendre compte avant toute chose de cette avancée majeure, puisque nous en avions longuement discuté à l’occasion de précédents échanges ces dernières semaines.

En deuxième lieu, les chefs d’État ou de gouvernement ont pris plusieurs engagements, soutenus par la France, pour renforcer leur coordination face à la crise sanitaire et à la pandémie de la covid-19.

Ils ont tout d’abord marqué leur satisfaction quant à la conclusion de contrats d’achats collectifs de doses de vaccins par la Commission européenne. Six contrats ont été conclus, pour un montant total de plus de 1, 5 milliard de doses, financé par le budget européen. Aujourd’hui même a été annoncé, par les autorités européennes, l’avancement du calendrier pour la validation sanitaire, sans doute avant Noël, du premier de ces vaccins. Je crois que cette coordination en matière vaccinale est une avancée européenne concrète, majeure et tangible. Elle a d’ailleurs été saluée et encouragée au cours de ce sommet.

Cette coordination en matière sanitaire, encore imparfaite, disons-le, doit se poursuivre, notamment en ce qui concerne les phases devant s’ouvrir les prochaines semaines – nous l’espérons – pour la levée progressive des restrictions.

Nous devons mieux coordonner nos efforts européens en matière de déplacement et de reconnaissance mutuelle des tests. Je pense, notamment, aux nouvelles formes de tests, les tests rapides, dits antigéniques, sur lesquels il n’y a pas encore de protocole européen agréé. Cela permettrait d’avoir les mêmes démarches, les mêmes méthodes et donc les mêmes critères d’ouverture ou de déplacement à travers l’Union européenne.

À cet égard, le Conseil européen a appelé la Commission à proposer une recommandation – c’est le terme juridiquement consacré – établissant un cadre commun, notamment pour la reconnaissance mutuelle de ces nouveaux tests.

À ce sujet également, je crois que nous avons tiré des premières leçons des difficultés, parfois des échecs, que nous avons connus au niveau européen, faute de compétences et de précédent face à la première phase de la pandémie.

Comme le retracent les conclusions du Conseil européen, voit progressivement le jour une union de la santé à travers le vaccin et des étapes concrètes de coordination, même si elles restent à parfaire. La Commission européenne a d’ailleurs appelé à mettre en place, à l’avenir, une agence de santé commune, qui facilitera et soutiendra les efforts de recherche, tout en nous aidant à mieux nous préparer face aux futurs risques sanitaires. Aujourd’hui même, le Parlement européen a adopté, définitivement, des règlements permettant de créer un programme sanitaire au sein du prochain budget européen.

En troisième lieu, des ambitions fortes, soutenues activement par la France, ont été actées – essentiellement au cours de la nuit du 10 au 11 décembre – pour lutter contre le changement climatique. À la veille du cinquième anniversaire de l’accord de Paris, l’Union européenne devait se montrer exemplaire ; elle l’a été.

Conformément aux attentes de notre pays et à plusieurs échanges que nous avions eus dans cet hémicycle, a été adopté l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Cela permettra de procéder au dépôt de la nouvelle contribution collective de l’Union européenne aux Nations unies, en vue de la prochaine COP organisée par l’Italie et le Royaume-Uni.

Plusieurs principes ont été définis dans ce cadre. Les conclusions du Conseil européen indiquent que l’Union européenne respectera les principes de coût-efficacité, d’équité et de solidarité dans la mise en place de cette transition vers une ambition climatique renforcée.

Pour accompagner cette transition, nous devrons mobiliser nos moyens financiers, renforcer le mandat de la Banque européenne d’investissement, comme nous avons commencé de le faire, et mobiliser, bien sûr, à la fois le plan de relance et le nouveau cadre financier pluriannuel. Plus de 30 % du plan de relance européen de 750 milliards d’euros sera consacré – c’est singulièrement le cas du plan de relance français – à la transition climatique et à la lutte contre le changement climatique.

Il a également été prévu, dans les conclusions du Conseil européen, de renforcer le système d’échanges de quotas d’émissions de l’Union européenne, notre outil de marché carbone, le système ETS.

Plus important encore – et certainement plus innovant – a été confirmée l’ambition commune de mettre en place à nos frontières, avant l’année 2023 et via des propositions législatives qui viendront au début de l’année 2021, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Comme vous le savez, sans celui-ci, la transition écologique ne peut être ni juste ni efficace. Nous avons besoin de ce mécanisme à nos frontières pour faire en sorte que notre exemplarité climatique soit partagée par d’autres acteurs internationaux. La France veillera à ce que cette proposition législative intervienne dans les meilleurs délais.

En quatrième lieu, ce Conseil européen a confirmé l’engagement des États membres à faire usage de tous les moyens disponibles pour renforcer la sécurité de l’Union face à la menace terroriste. Vous le savez, c’est un objectif que le Président de la République a réaffirmé avec plus de force encore après les tragiques attaques que notre pays comme d’autres pays européens tels que l’Autriche ont affronté ces dernières semaines.

Le Conseil européen a fixé des objectifs qui devront être précisés, mais que la France soutient très largement : la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste, sur la base du règlement, désormais agréé, et d’une nouvelle ambition portée par les propositions de la Commission européenne qui seront présentées dans l’après-midi ; la responsabilité des plateformes en ligne, dans le même esprit ; la lutte contre l’influence étrangère exercée sur les organisations civiles et religieuses nationales, au moyen de financements parfois non transparents ; la nécessité de faire avancer nos travaux concernant la conservation des données, essentielle à l’activité de nos services de renseignement en particulier ; la pleine exploitation et l’accélération de la mise en place des nouveaux mécanismes d’information européens déterminants pour le fonctionnement de l’espace Schengen ; le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures et, ainsi, du bon fonctionnement de l’espace Schengen.

Sur ce dernier point, la France continuera d’insister sur la nécessité d’une réforme, afin de pouvoir répondre avec plus de réactivité, de force et de cohérence aux défis et à la menace terroriste.

Je l’évoque brièvement, car les négociations se poursuivent – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir – : ce Conseil européen a été l’occasion pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de faire le point sur les discussions en cours avec le Royaume-Uni, puisque l’échéance du Brexit effectif est imminente : le 1er janvier prochain, soit dans un tout petit peu plus de deux semaines.

Le fait que le Conseil européen n’ait pas discuté de manière approfondie de la question de la relation future avec le Royaume-Uni ni des négociations en cours n’est pas une façon de minimiser l’enjeu. Loin de là, cela témoigne de notre unité et de notre fermeté collective. Aucun État membre n’a rouvert le débat ni remis en question la confiance dans notre mandat et dans notre négociateur, lequel poursuit ses efforts à l’heure où nous parlons pour aboutir à un accord respectant, bien entendu, nos priorités, nos intérêts et nos lignes rouges.

Vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité que nous accordons à la pêche et à la nécessité absolue de conditions de concurrence équitables pour acter un accord sur la relation future avec le Royaume-Uni.

Au cours du dîner du 10 décembre, comme il est de coutume, puis dans la matinée de vendredi, les chefs d’État et de gouvernement ont abordé différents points de politique étrangère.

Ils ont d’abord évoqué la relation avec la Turquie et la situation spécifique en Méditerranée orientale. À l’égard de la Turquie, la France a agi comme fer de lance et tenu un discours de fermeté, qui porte ses fruits – je veux y insister. En effet, nous avons adopté à l’unanimité de nouvelles sanctions en raison des actions « unilatérales » et « provocatrices » – je reprends les termes des conclusions du Conseil européen – menées et poursuivies par la Turquie en Méditerranée orientale. Nous avions indiqué au mois d’octobre dernier que nous laissions à la Turquie le choix entre retrouver le chemin du dialogue et poursuivre ses actions provocatrices. Elle a manifestement opté pour cette seconde voie. Il était nécessaire que nous réagissions. C’était un test de fermeté, d’unité et de crédibilité pour l’Union européenne.

En outre, une clause de rendez-vous a été fixée en mars prochain, soit dans moins de trois mois, en vue d’examiner le rapport demandé au Haut Représentant de l’Union européenne, M. Josep Borrell, afin d’envisager d’autres mesures – d’autres sanctions, le cas échéant –, au-delà des actions menées en Méditerranée orientale. L’unité a été difficile à construire et à tenir. La fermeté l’a parfois été plus encore. Néanmoins, sous l’action de la France et, je le crois, grâce à un large consensus politique, nous avons réussi à entraîner l’Europe vers cette position de fermeté, indispensable face au comportement de la Turquie.

Le Conseil européen s’est également penché rapidement sur la relation transatlantique. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a évoqué la nécessité d’identifier des thèmes pour une alliance ambitieuse avec les États-Unis. Nous partageons avec cet allié et ami des valeurs fondamentales. Nous souhaitons nouer avec lui encore davantage de partenariats. Nous devrons sans doute réinventer la relation existante avec la nouvelle administration américaine.

L’attention du Conseil européen s’est également portée, en matière de politique extérieure, sur le voisinage sud, répondant en cela à une demande forte de la France. Vingt-cinq ans après le lancement du processus de Barcelone, il est essentiel de relancer ce partenariat stratégique. Un nouveau programme pour la Méditerranée sera élaboré autour de priorités communes, dans des domaines désormais bien identifiés, tels que l’environnement, l’éducation, la culture ou la préservation des ressources naturelles.

Plusieurs autres sujets de relations extérieures ont été évoqués par le Conseil européen : la Libye, la centrale nucléaire biélorusse d’Ostrovets et le régime mondial de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme, qui constitue une nouveauté importante et qui avait été acté par les ministres des affaires étrangères préalablement, en début de semaine dernière.

Enfin, un sommet de la zone euro s’est tenu vendredi matin, en présence de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde. Il était important de préserver l’élan né des réformes importantes agréées par nos ministres des finances voilà quelques semaines à peine : la réforme du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est un mécanisme supplémentaire d’assistance financière en cas de crise, et une étape vers une véritable union bancaire et une union des marchés de capitaux, avec la mise en place d’un filet de sécurité qui permet de renforcer, via le MES, le soutien à nos banques et, in fine, aux épargnants en cas de difficultés financières au sein de notre zone monétaire commune.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil, la réunion du Conseil européen a été longue, et son ordre du jour chargé. Quelques heures encore avant sa tenue, certains parlaient encore de « test », de « risque de délitement » ou de « désunion ». Cependant, en cette période difficile, et au moins sur les trois points que j’ai mis en exergue – le rapport à la Turquie, la question budgétaire et celle de l’État de droit, qui lui est adossée, l’ambition climatique –, l’Europe a montré sa force et son unité. Je crois que le rôle de la France y a été central. Nous devrons continuer à l’exercer dans le cadre des réformes que j’ai évoquées, notamment sur la sécurité ou l’État de droit, lors des prochaines semaines.

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