Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de report en report, nous abordons une phase extrêmement critique du Brexit. Certes, un accord, conclu le 8 décembre dernier, scelle le retour du Royaume-Uni au respect de la parole donnée : les dispositions controversées de son projet de loi sur le marché intérieur, qui contrevenaient à l’accord de retrait de 2019, seront retirées. Mais nous ne devons pas faiblir sur les principes que les 27 États membres, derrière Michel Barnier, se sont fixés dans la négociation : une concurrence équitable, un accès durable aux eaux britanniques pour la pêche et une gouvernance robuste.

Hélas ! Pour des considérations de politique interne au Royaume-Uni, les possibilités d’arriver à un accord avant le 1er janvier 2021 paraissent toujours ténues, même si, comme je le souhaite, l’Union européenne veut donner jusqu’au bout sa chance à la négociation.

Qu’adviendra-t-il alors à nos frontières, à nos entreprises ? Quel est notre degré de préparation ? On nous annonce une cohue indescriptible à Calais. D’ailleurs, les camions s’y pressent déjà, car les entreprises britanniques font des stocks de précaution… Mes chers collègues, le Brexit n’est pas qu’une affaire britannique : la France est en première ligne.

Par ailleurs, quid des mesures d’urgence annoncées par la Commission européenne en cas de no deal ? Je rappelle que celles-ci concernent le transport routier, le transport aérien et la pêche, sous réserve de « réciprocité » de la part du Royaume-Uni. Mais seront-elles suffisantes pour nos entreprises ? Au reste, le Royaume-Uni ne semble pas prêt à la « réciprocité » qui laisserait nos pêcheurs accéder à ses eaux : la mobilisation de la Royal Navy est un signal très inquiétant, du reste dénoncé par notre collègue Tobias Ellwood, président de la commission de la défense de la Chambre des communes.

À propos de la relation de défense franco-britannique, nous avons fêté les dix ans du traité de Lancaster House, qui est le cadre de notre coopération. Celle-ci a connu une récente avancée avec le programme de « guerre des mines », conduit par Thales. D’autres grands industriels, comme MBDA, développent des programmes avec la France et le Royaume-Uni.

Des craintes existent quant au Brexit, qui pourrait rajouter des lourdeurs et des coûts. Les Britanniques veulent une plus grande liberté d’action, mais ils n’en sont pas moins enclins à rechercher des coopérations. Je crois que le Royaume-Uni voudra rester étroitement associé à la défense de l’Europe si l’on sait l’y inviter, sans faire preuve de naïveté ni oublier les échecs du passé.

Il faut avoir en tête que l’armée britannique est, avec l’armée française, celle qui compte en Europe. Le Sénat jouera tout son rôle pour conforter, sur le plan parlementaire, cette coopération.

J’en viens à la conquête par l’Europe de son autonomie stratégique.

Sur ce plan, le dernier Conseil européen n’a pas envoyé de signaux très favorables.

Je ne reviendrai pas sur les agissements turcs en Méditerranée ni sur son action déstabilisatrice. Son rôle au Caucase est également inquiétant pour la sécurité régionale.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez abordé : il semble qu’une prise de conscience émerge au sein de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique, même si elle peut sembler un peu tardive.

La position de la Turquie et les annonces préalables à ce Conseil – nous en avions parlé à l’occasion de la précédente réunion – étaient en fait une manœuvre pour diviser les Européens avant que ne soit évoqué le sujet des sanctions. Le résultat nous paraît ambigu. Une vigoureuse condamnation verbale, c’est bien, mais, pour l’heure, on constate une simple extension de la « liste noire », sans remise en cause de l’union douanière avec la Turquie ni embargo sur les ventes d’armes, sur lesquelles l’Union européenne entend « se coordonner avec les États-Unis » – cela n’a pas empêché l’achat de S-400 à la Russie… –, et, bien sûr, un rapport.

La Turquie fait ainsi de la politique d’opportunité et s’affirme comme acteur régional face aux divisions de l’Union européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’OTAN. En outre, elle sait l’Europe liée par l’accord migratoire et toujours incapable de s’affirmer comme puissance.

Certes, la démarche dite de la « boussole stratégique », lancée par l’Union européenne en juin dernier est porteuse d’espoir. Fondée sur une analyse commune des menaces, elle devrait conduire à faire partager plus largement les convictions françaises quant à la nécessité de l’autonomie stratégique. Ce travail doit aboutir au premier semestre 2022, à savoir pour la présidence française de l’Union.

Monsieur le secrétaire d’État, veillons à ce que cette démarche soit elle-même autonome et à ce qu’elle ne se résume pas à une reprise du concept stratégique de l’OTAN. Aussi, il faudra intensifier le dialogue avec les pays d’Europe centrale, et pour les sensibiliser aux problématiques du flanc sud de l’Europe, et pour leur expliquer que l’attention que celle-ci doit y porter ne se fera jamais au détriment du flanc est ni de l’OTAN.

Tels sont les questions et les messages que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat souhaitait vous transmettre.

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