Intervention de Laurence Harribey

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, clarifications, conclusion d’accords essentiels pour l’avenir de l’Union européenne : ce Conseil européen aura marqué la fin d’une séquence difficile, ayant duré près de deux ans, notamment pour le cadre financier pluriannuel. Il laisse aussi nombre de questions ouvertes, ainsi que l’ont montré les orateurs précédents.

Comme d’habitude, certains voient le verre à moitié plein et d’autres à moitié vide. Je pense qu’il faut plutôt voir l’Europe dans sa réalité : elle progresse souvent plus dans la gestion de crises que dans les incantations des grands soirs.

Pour notre part, attachés à une destinée européenne qui fasse de l’État de droit, de la démocratie et de la construction d’une Europe sociale ses moteurs, nous aimerions vous faire part, monsieur le secrétaire d’État, de quatre points qui nous interpellent sur l’avenir de l’Europe ainsi que sur la capacité de la France à peser, à peu de temps de la prochaine présidence française.

La première interrogation porte sur ce fameux compromis relatif à la conditionnalité de l’accès des fonds européens au respect de l’État de droit et sur les garanties qui ont été données à la Pologne et à la Hongrie. Ce compromis ouvre la voie à une Europe sur mesure pour qui sait jouer des faiblesses de l’Union.

Certes, la menace d’une coopération renforcée pour mettre en œuvre le cœur même de la solidarité européenne, à savoir son budget, est écartée, mais l’accord passé avec la Pologne et la Hongrie ne conforte pas vraiment l’État de droit : la suspension du mécanisme de conditionnalité pourrait donner le sentiment d’une possible impunité, quand bien même les sanctions seraient rétroactives. Il y a là une vraie question, que certains ont soulignée.

Ce compromis interroge aussi sur le respect du cadre juridique européen, puisqu’il autorise la Commission européenne à suspendre l’application du mécanisme en dehors de tout contrôle du Conseil et du Parlement européens. Cela pose un vrai problème démocratique.

On peut également s’interroger sur le principe de restitution rétroactive des financements versés au titre tant de la cohésion que du plan de relance européen.

Autant de questions qui mériteraient une réflexion sur les conséquences de compromis de ce type, montés sur un échafaudage juridique qui pourrait être fragile à terme… Alors que nous sommes dans la dernière ligne droite des négociations avec le Royaume-Uni, on ne peut s’empêcher de s’inquiéter de la tentation de compromis acrobatiques, qui, s’ils permettent de revendiquer un succès, recèlent, dans leur mise en œuvre, des impasses, des pièges ou même un détricotage des acquis communautaires.

Notre deuxième questionnement porte sur le plan de relance et sur le séquençage du déblocage des fonds européens.

Quid de la conditionnalité des prêts contractés dans le cadre du plan de relance à des réformes structurelles, principe que la France a combattu à juste raison, mais que les Pays-Bas ont réussi à faire acter ?

Sur ce point, nous suivons la position du Gouvernement, car le principe de conditionnalité nous semble anachronique au regard de la nécessité d’aider les États victimes d’une crise exogène. Et si le pacte de stabilité a été suspendu, les contraintes du semestre européen perdurent.

Quid aussi de l’articulation – et je rejoins ici les propos du rapporteur général de la commission des finances – entre enveloppes nationales et régionales ? Il semble qu’il y ait un vrai problème de coordination, en particulier en France, entre plan national de relance et enveloppe React-UE destinée aux régions. Pour nous, il est primordial d’associer les régions à la conception et à la mise en œuvre des plans de relance. Or on assiste plutôt à deux dynamiques parallèles et même à un risque de mise en concurrence des appels à projets, ce qui pourrait mettre la France globalement en difficulté en termes de consommation des crédits européens.

Notre troisième point concerne l’articulation entre transition écologique et plan de relance. L’accord intervenu sur la baisse de 55 % est la marque d’une volonté forte, mais le plus dur reste à faire : répartir cet objectif par pays – puisqu’il s’agit d’un objectif commun et non individualisé –, faire émerger de nouvelles ressources propres fléchées – si le principe est acquis, la réalisation semble un peu lointaine – et résoudre certaines contradictions, comme le rôle de la BCE dont 68 % des rachats d’obligations auraient bénéficié à des entreprises liées aux énergies fossiles – d’où un nécessaire recentrage de l’action de la banque centrale pour éviter toute contradiction entre son action et le plan de relance.

J’aimerais enfin évoquer la question du traité sur la Charte de l’énergie (TCE), qui vient contrevenir aux objectifs climatiques de l’Union européenne. Des négociations sont engagées pour faire évoluer le traité, mais la Commission semble très timide. Le Parlement européen l’a d’ailleurs alertée à plusieurs reprises.

Enfin, la quatrième interrogation que nous voudrions partager concerne la gestion européenne de la crise sanitaire.

L’Europe s’est distinguée par des stratégies nationales en ordre dispersé, ce qui peut s’entendre puisque la santé n’est qu’une compétence d’appui. Toutefois, l’Union aurait tort de ne pas être proactive au regard des enjeux de cette crise, et ce même au-delà du plan de relance, qui constitue déjà une sérieuse reconnaissance de la solidarité européenne.

Deux pistes méritent d’être soulignées.

La première concerne l’accès équitable et abordable aux vaccins pour tous, notamment à travers le mécanisme Covid-19 Vaccine Global Access (Covax). Mais le Conseil considère que c’est la vaccination qui est un bien public mondial et non le vaccin lui-même, ce qui n’ouvre pas la voie à une cession de la propriété intellectuelle. On voit que les enjeux économiques prédominent, alors même que les commandes publiques européennes et nationales auront largement contribué à l’obtention de ces vaccins.

La seconde piste, abordée au point n° 10 des conclusions, concerne la maîtrise des données relatives à la santé en Europe. Comme l’a souligné le président de la commission des affaires européennes du Sénat, notre commission a récemment rendu un avis politique sur cette question, car la pandémie a mis en lumière, de manière crue, la dépendance de l’Europe aux grands acteurs américains du numérique. En France, l’hébergement de la base nationale des données de santé, confiée à Microsoft au prétexte du déficit d’offre européenne, en est une traduction. Mais cela montre aussi à quel point le défi numérique conditionne la souveraineté économique et doit être au cœur des nouvelles politiques européennes.

Les avancées dessinées dans le « pack digital » que la Commission vient de présenter devront faire l’objet d’une très grande vigilance.

En conclusion, je voudrais revenir au début de mon propos et à ce que je soulignais en ce qui concerne l’État de droit : la crise pandémique, le Brexit, la crise de nos démocraties nationales ou encore la question de la Turquie, qui a aussi marqué ce Conseil européen, obligent à repenser la nature et les modes opératoires des politiques européennes.

À l’aube d’une proche présidence française de l’Union européenne, si nous voulons garder le cap d’une Europe citoyenne, porteuse d’un modèle de société articulant État de droit et développement économique, social et solidaire, il est incontournable de trouver de nouveaux modes de coopération entre parlementaires et gouvernements.

Pour notre part, nous serons particulièrement vigilants sur la convention sur le futur de l’Union européenne, sur laquelle nous n’avons encore que peu d’éléments, notamment sur la manière dont les parlements nationaux seront associés.

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