Intervention de André Gattolin

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

L’Union européenne est la source d’une part significative de la législation nationale que nous produisons, que nous transposons et que nous contrôlons annuellement. Mais trop souvent, dans pareil cas, quand la situation est d’importance, « nous regardons ailleurs », comme disait un ancien Président de la République.

Toutefois, ne gâchons pas notre plaisir. Et sans flagornerie aucune, c’est un bonheur de s’exprimer devant un membre du Gouvernement qui sait allier à la fois une très grande maîtrise technique de tous les dossiers européens, pourtant nombreux et très variés, avec un véritable sens politique qui lui permet d’éviter le fatal écueil du technicisme roboratif et déshumanisé qui pèse trop souvent sur ces sujets. §Mais, une fois dit cela, on a déjà tout dit et presque rien…

Ce type de débat, formellement consacré au retour sur un Conseil européen qui s’est déroulé voilà déjà plusieurs jours et dont les conclusions ont été très largement divulguées par les instances européennes, et parfois même commentées dans la presse, pourtant peu soucieuse d’information européenne, n’a généralement qu’un intérêt limité.

Les orateurs qui m’ont précédé ont beaucoup parlé du Brexit, un sujet particulièrement crucial qui n’était pas à l’ordre du jour officiel de ce Conseil. Cela montre bien que les questions européennes débordent largement de la petite fenêtre « hémicyclaire » qui nous est ici accordée.

J’en profite, monsieur le secrétaire d’État, pour vous rappeler combien mes collègues et moi-même sommes viscéralement attachés à la place à accorder aux parlementaires à l’occasion des débats qui s’ouvriront prochainement sur l’avenir de l’Europe et lors de la préparation de la future présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Je ne crois pas trahir la pensée de mes collègues en disant que nous n’avons guère été convaincus, la semaine dernière, par les réponses que nous ont apportées la secrétaire générale des affaires européennes et le secrétaire général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, lors de leur audition. Il faudrait être un peu plus précis…

Aussi, pour revenir au sujet qui nous réunit aujourd’hui et prendre un peu de champ, je voudrais parler de la présidence allemande qui s’achève et tenter d’en dresser un premier bilan.

Tout d’abord, fait exceptionnel, et qui a peu de chances de se reproduire dans le périmètre élargi de l’Union qui est le nôtre depuis deux décennies, c’est la première fois qu’un dirigeant européen, en l’occurrence Mme Angela Merkel, aura par deux fois assuré cette présidence tournante. Arrivée à la tête de l’Allemagne en novembre 2005, elle a déjà présidé le Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2007. Seul Viktor Orban, s’il parvenait à se maintenir à la tête de la Hongrie jusqu’au second semestre 2024, peut espérer faire aussi bien…

Pour revenir à Mme Merkel, son exploit européen prouve à lui seul la stabilité et la centralité de l’Allemagne moderne au sein de l’Europe. Depuis la préparation de cette présidence, marquée, en mai dernier, par la proposition franco-allemande d’un plan de relance européen pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, jusqu’à l’adoption, la semaine passée, dudit plan de relance et du prochain cadre financier pluriannuel, en dépit des oppositions longtemps manifestées par la Hongrie et la Pologne, tout – ou presque – accrédite l’idée d’une grande présidence allemande et d’un succès personnel de la chancelière, son « ultime victoire » comme on a pu le lire dans la presse. Il ne manquerait plus qu’un accord de dernière minute concernant la sortie du Royaume-Uni pour parachever l’affaire.

Pour réussir sa présidence, l’Allemagne aura procédé à de nombreux compromis et accepté de renier de nombreux dogmes auxquels elle était pourtant très attachée : levée des restrictions sur le déficit budgétaire, niveau des aides d’État autorisées, libre champ de s’endetter laissé à l’Union européenne pour financer le Fonds de relance et accord sur la mutualisation de cette dette nouvelle.

Pays morcelé et économiquement dévasté au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne fédérale – puis l’Allemagne réunifiée – a, plus qu’aucun autre État membre, fait sienne et intériorisé la double promesse fondatrice de la construction européenne de bâtir un espace de paix et de prospérité partagée.

Sa puissance commerciale et monétaire, ainsi que sa rigueur budgétaire, portée au rang de credo inamovible, sont à la base de sa prospérité et de son insolent succès économique.

Son souhait d’entretenir des relations pacifiées et non conflictuelles avec tous ses voisins, en particulier depuis la chute du Mur et l’adhésion de tous ces pays – à l’exception de la Suisse – à l’Union européenne fait que, depuis quinze ans, l’Allemagne vit en entente et en pleine harmonie avec l’ensemble des pays et des nations qui la jouxtent, pour la première fois depuis des siècles.

Mais cette harmonie semble avoir un prix. Et si le cadre financier pluriannuel et le plan de relance européen ont bel et bien été adoptés à l’unanimité, le mécanisme d’État de droit supposé accompagner ce dernier semble avoir été assorti de conditions de mise en œuvre qui le rendent peu opératoire, au moins jusqu’en 2023.

Il en va de même des fameuses sanctions ciblées, que M. le secrétaire d’État a évoquées, en cas de violations graves en matière de droits humains. Tous ces dispositifs inapplicables ne sont qu’un tigre de papier.

Aux États-Unis, 250 personnes ont été inscrites sur la liste Magnitski, 70 au Canada et 25 au Royaume-Uni, qui vient à peine d’adopter sa loi.

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