Intervention de Clément Beaune

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Clément Beaune  :

Madame la présidente, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essayerai de donner le maximum de réponses aux différentes questions et remarques qui ont été formulées sur des points importants, en lien direct ou indirect avec le Conseil européen de la semaine dernière.

Monsieur Allizard, les préparatifs français par rapport au Brexit sont très avancés. Il nous sera possible de les affiner jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure. Je le dis sous le contrôle de Jean-François Rapin, j’ai accompagné récemment le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement dans les Hauts-de-France. Nous avons vérifié, notamment à Boulogne, à Calais, mais je l’avais fait aussi ailleurs précédemment, dans nos gares, dans nos aéroports et dans nos ports, l’état d’avancement des préparatifs.

Je rappellerai quelques éléments, qui témoignent de l’ampleur de l’effort qui doit maintenant être traduit opérationnellement. Nous avons recruté plus de 700 douaniers et plus de 300 vétérinaires supplémentaires. C’est un point important, car nous devrons, quoi qu’il arrive, procéder aux contrôles sanitaires et phytosanitaires des productions britanniques qui entreront sur le territoire français et de l’Union européenne.

Nous avons recruté également près de 300 policiers aux frontières supplémentaires. Comme vous le savez, sur ce plan aussi, les choses changeront le 1er janvier puisqu’il faudra désormais vérifier la durée de séjour des ressortissants britanniques qui entreront dans l’espace Schengen par la France ou par les autres pays de l’Union.

C’est un dispositif très lourd en termes de préparation que nous avons engagé avec les collectivités locales et les autorités portuaires ces derniers mois. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que nous sommes prêts. Mais, bien sûr, nous le vérifierons ensemble jusqu’à la dernière seconde, avant que nous ne passions à la nouvelle année.

Je tiens à insister devant votre assemblée sur un point : deal ou no deal, accord ou non-accord, des changements interviendront le 1er janvier, notamment en ce qui concerne les contrôles douaniers, les contrôles de passagers ou les contrôles sanitaires et phytosanitaires, lesquels seront effectués même en cas d’accord avec le Royaume-Uni.

Vous avez soulevé plusieurs questions sur l’avenir de la relation franco-britannique ou euro-britannique. C’est un sujet très important. Il est bien évident que dans les prochaines semaines et les prochains mois se poursuivra, dans un cadre que nous devrons adapter, ajuster et sans doute approfondir, une coopération en matière de sécurité militaire bilatérale et européenne avec le Royaume-Uni.

Un sommet bilatéral franco-britannique se tiendra sans doute au début de l’année 2021, en fonction des circonstances et du calendrier du Brexit. Il sera l’occasion de remettre sur les rails cette coopération absolument indispensable que, quoi qu’il arrive, le Brexit ne saurait remettre en cause.

Vous avez souligné, monsieur Allizard, comme plusieurs de vos collègues, que l’accord européen, dans sa partie concernant, la Turquie était parvenue à une forme d’équilibre. Vous avez relevé qu’il marquait des avancées, mais également qu’il comportait un certain nombre de faiblesses ou d’insuffisances. Je suis prêt à partager certaines de vos réserves : nous devrions, sans doute dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois, aller plus loin.

Désormais, la posture et l’action européenne ont changé à l’égard de la Turquie. Au-delà du Président de la République et du Gouvernement, l’action de la France, celle que traduit notre mobilisation collective, a changé. Notre regard sur la Turquie a changé, notre comportement à l’égard de la Turquie a changé. Les sanctions individuelles dans le cadre du régime existant lié à la Méditerranée orientale sont une étape importante. Un point de rendez-vous supplémentaire au mois de mars prochain nous permettra éventuellement, sur la base d’un rapport du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell et en fonction du comportement de la Turquie, d’adopter d’autres mesures, au-delà même du régime de sanctions contre les activités de forage en Méditerranée orientale.

Vous nous avez aussi alertés sur la nécessité de ne pas « copier-coller » le concept stratégique de l’OTAN, qui sera discuté dans les prochains mois. Telle n’est bien sûr pas notre intention. L’Union européenne, en parallèle et de manière autonome, discute d’un concept ou d’une orientation stratégique que l’on appelle, dans le jargon européen, la « boussole stratégique ». Ce projet aboutira, nous y travaillons, au moment de la présidence française de l’Union européenne en 2022. Nous aurons des liens avec l’OTAN, mais nous conduirons nos propres travaux et nous mènerons nos propres discussions.

Jean-François Longeot m’a questionné sur l’engagement climatique. Il a souligné que l’Europe était au rendez-vous, que le relèvement de nos ambitions à l’horizon de 2030 était un signal fort et qu’il était important que nos engagements ne soient pas remis en cause par la crise sanitaire. Je ne peux que partager cette reconnaissance de l’effort non seulement français, mais aussi européen.

Cette exemplarité européenne n’est pas une forme de naïveté ou d’isolement puisque nous entraînons, grâce à notre diplomatie climatique commune, un certain nombre d’autres grandes puissances, y compris la Chine, à engager ou à accélérer leur transition écologique.

La Chine, vous l’avez rappelé, a pris un engagement de neutralité carbone pour 2060. Peut-être pourrons-nous aller plus loin dans les prochains mois ? Quoi qu’il en soit, cette avancée est largement liée à l’effort européen que nous avons tenu, malgré les réticences ou les reculs américains des dernières années, dans les négociations climatiques internationales. Le fait que les Américains reviennent dans l’accord de Paris est une bonne nouvelle pour renforcer ce travail commun.

Je ferai, en réponse à Jean-François Husson, un certain nombre de rappels sur le plan de relance. Nous n’avons pas perdu six mois dans l’adoption finale de ce plan, depuis le Conseil de juillet : c’est la vie démocratique européenne et nationale normale !

Il y a eu certes des discussions entre les institutions européennes : ce n’est pas un scoop, car il est évident que la négociation d’un plan de relance n’est pas une mince affaire !

Ces discussions ont abouti à un accord des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement le 21 juillet dernier. Malgré l’importance d’un Conseil européen, des mesures d’une telle ampleur ne peuvent s’y décréter sans discussions préalables. Le 16 novembre, le Parlement européen a adopté des actes législatifs. Nous avons alors travaillé, entre cette date et le 10 novembre, à désamorcer la menace de veto brandie par la Hongrie et la Pologne et nous sommes parvenus en moins d’un mois à lever ce blocage intempestif. Nous nous sommes donc montrés relativement efficaces et je ne crois pas que nous ayons perdu du temps !

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur la suite du calendrier. Il faut distinguer entre budget ordinaire et plan de relance. Concrètement, un budget pour 2021 s’inscrira dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui débutera bien le 1er janvier prochain. C’est vrai pour la politique agricole commune, mais c’est vrai aussi pour la politique de cohésion et pour les fonds que nous donnons aux régions européennes. Toutes ces aides sont très importantes et seront au rendez-vous.

À côté de cela, viendra s’ajouter le plan de relance, qui mettra davantage de temps à se déployer pour une indispensable raison d’ordre démocratique : il importe en effet de ratifier au niveau national les ressources propres chargées d’abonder le plan de relance, fondé sur une dette commune.

Votre assemblée aura également à se prononcer. Je ne peux, en l’état, vous communiquer de date exacte, mais j’espère que nous pourrons poursuivre et achever la discussion parlementaire avant le début du mois de février. Le vote par l’Assemblée nationale et le Sénat des fonds dédiés au financement du plan de relance sera sans aucun doute un moment démocratique important.

Par ailleurs, nous préparons en parallèle d’autres actions puisque nous avons déposé à Bruxelles un plan national de relance et de résilience, soit le plan de relance déjà connu de votre assemblée. Ce plan sera déposé entre la fin du mois de janvier et le début du mois de février. Les premiers fonds européens arriveront au cours du printemps. Nous ferons très certainement appel à un dispositif de préfinancement afin de pouvoir disposer dès le printemps prochain d’une partie des quelque 40 milliards d’euros prévus, sans avoir à attendre encore des semaines et des mois.

Comme vous pouvez le constater, nous n’avons donc pas perdu de temps, y compris en ce qui concerne la mise en œuvre des prochaines étapes du plan de relance !

Vous m’avez interrogé également sur l’impact économique d’un non-accord ou no deal. Le ministre de l’économie l’a encore précisé hier matin, il est estimé à 0, 1 point de croissance pour 2021. C’est un impact certes modeste, mais il ne justifie pas une forme une légèreté ou de « romantisme » du non-accord : nous préférerions trouver un accord, non seulement pour notre situation macroéconomique, mais aussi pour certains secteurs particuliers, comme la pêche. Quoi qu’il en soit, nous n’accepterons pas un accord à des conditions dégradées.

Monsieur Rapin, vous avez évoqué la question sanitaire, notamment celle des vaccins. Je ne suis pas ministre de la santé et je ferai donc preuve d’une certaine prudence quant aux techniques sanitaires et vaccinales. Je crois néanmoins pouvoir affirmer que si un certain nombre de start-up sont en avance, c’est qu’elles font appel à des techniques innovantes : tant mieux pour la santé publique mondiale !

C’est cela qui, a priori, leur a permis d’avoir une longueur d’avance. Je rappelle que beaucoup de ces productions sont localisées en Europe, ce qui répond à la préoccupation industrielle évoquée par Pierre Laurent. Non seulement les vaccins mais parfois aussi la recherche – c’est le cas pour le laboratoire allemand BioNTech – ont été financés par le budget européen, notamment la phase de recherche fondamentale. Nous devons donc éprouver une fierté européenne à cet égard.

Vous avez évoqué les outils de protection industrielle. Ils ne seront pas remis en cause, même si des adaptations seront nécessaires en raison du Brexit. Je pense au brevet unitaire. Ces outils sont très importants pour faciliter notre politique d’innovation, notamment dans le domaine sanitaire.

Le mécanisme de conditionnalité relatif à l’État de droit, que vous avez également évoqué, monsieur Rapin, comme beaucoup d’autres intervenants, constitue une avancée majeure. Règle-t-il toutes les questions et couvre-t-il toutes les atteintes possibles à l’État de droit ? La réponse est « non ». Pour être précis, la question de la corruption et celle de l’indépendance de la justice sont principalement visées dans les conclusions du Conseil européen et dans le mécanisme voté.

Il s’agit néanmoins d’une étape très importante, d’autant que c’est la première fois que nous établissons un lien entre l’attribution des fonds européens et le respect d’un certain nombre de valeurs fondamentales. C’est un outil complémentaire de l’article 7, qui permet de mettre la pression politique sur un certain nombre d’États membres. Il est activé pour la Pologne et la Hongrie. C’est aussi un outil complémentaire de l’action de la Cour de justice de l’Union européenne, qui sanctionne d’ores et déjà un certain nombre de violations de l’État droit, notamment dans les deux pays précédemment cités.

Oui, c’est un outil supplémentaire ; non, ce n’est pas un outil qui fonctionnera à l’unanimité ! Jacques Fernique l’a rappelé, c’est un outil qui fonctionne à la majorité qualifiée, qu’il s’agisse de l’adoption du règlement ou du déclenchement de la procédure. Nous n’avons donc pas donné un droit de veto à la Hongrie et à la Pologne sur cet outil supplémentaire, à la différence de certains des outils existants, comme la procédure de l’article 7.

Nous n’avons pas non plus laissé les clés de cet outil à ces deux pays. Le Conseil européen a simplement admis qu’ils avaient le droit, aux termes du traité, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour contester le règlement. Celle-ci se prononcera, mais j’ai confiance en la robustesse juridique du règlement négocié et approuvé par le Conseil et par le Parlement européen.

Pendant ce temps, la Commission ne suspend pas l’outil. Elle élaborera un certain nombre de lignes directrices afin de le préciser, mais elle peut tout à fait commencer à recueillir des informations et à mener des investigations si elle constatait des risques de violation de l’État de droit ou si elle en était alertée.

Je ne sais pas s’il faut parler de rétroactivité, mais les atteintes à l’État de droit pourront être sanctionnées sur la gestion de l’intégralité du budget dès le 1er janvier 2021, qu’il s’agisse de la gestion du plan de relance ou du budget européen. De toute façon, la Commission aurait eu besoin d’un peu de temps pour instruire les dossiers. Je ne crois donc pas, madame Harribey, que la procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne nous fasse perdre du temps.

Vous avez également abordé React-EU. Cet instrument du plan de relance européen bénéficiera directement aux régions, comme les fonds de cohésion que nous connaissons aujourd’hui. Pour la France, cela représente 4 milliards d’euros. Ces fonds, liés au plan de relance, ne seront sans doute disponibles qu’à partir du printemps prochain. Ils viendront s’ajouter aux fonds régionaux prévus dans le budget ordinaire pour soutenir l’investissement dans les régions.

Sur la question climatique, madame Harribey, nous devons encore, il est vrai, répartir les objectifs par pays. Nous devons aussi attendre les propositions de la Commission sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, appelé parfois taxe carbone aux frontières. Je le reconnais, ça n’est pas gagné. J’espère que nous mènerons ce combat de la manière la plus large possible, au-delà des sensibilités politiques de chacun, car il est juste et de bon sens.

Il ne serait pas logique de faire un effort climatique, vous l’avez tous souligné, à l’instar de Laurent Duplomb, au travers de notre politique agricole et autres, si nous laissions à nos partenaires et parfois à nos rivaux commerciaux internationaux toute latitude de ne pas consentir les mêmes efforts.

Ce mécanisme, comme son nom l’indique, est un ajustement visant à faire en sorte que tous ceux qui veulent avoir accès au marché européen paient in fine le même prix pour leurs émissions de carbone.

La Commission fera une proposition législative au premier semestre de l’année 2021. Le Parlement a beaucoup poussé en ce sens, et c’est une bonne chose. Notre engagement politique, que nous devrons poursuivre avec vigilance, est de faire en sorte que la discussion législative entre le Conseil et le Parlement européens puisse aboutir à une mise en œuvre de cette taxe d’ici à la fin de l’année 2022 ou au début de l’année 2023.

Vous avez soulevé le point très sensible, et qui me tient à cœur, du Traité sur la charte de l’énergie. Vous avez raison, les discussions n’avancent pas de manière satisfaisante. Nous devons réviser ce traité, mais l’Union européenne ou les pays européens ne sont pas les seules parties prenantes. Avec plusieurs de mes collègues du Gouvernement, nous signons en ce moment même un courrier à l’attention de la Commission européenne pour mettre la pression et accélérer le processus. Si les discussions devaient s’enliser, il serait utile d’envisager une sortie de ce cadre, car, à l’évidence – plusieurs d’entre vous l’ont souligné dans le passé –, les dispositions actuelles de ce traité ne conviennent plus. Soit nous les modernisons rapidement, soit nous devrons prévoir une sortie conjointe du traité au niveau européen, ce qui soulève des questions juridiques, budgétaires et autres.

Vous avez évoqué la question du vaccin. La France, depuis le printemps dernier, défend son caractère de bien public. La présidente de la Commission européenne a annoncé aujourd’hui que nous nous mettions en état, par des soutiens financiers à diverses initiatives internationales en lien avec l’OMS, de faire des dons de doses aux pays qui en ont le plus besoin.

Au-delà du slogan, ce caractère de bien public mondial du vaccin doit être avéré et acté. Le Président de la République est favorable à ce que, sur chacun des contrats européens signés pour protéger notre propre population, une partie des doses soit réservée aux pays n’ayant pas les moyens d’accéder au vaccin.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la Conférence sur l’avenir de l’Europe. J’espère qu’elle pourra démarrer rapidement. Pour être tout à fait honnête, je ne pense plus que ce soit possible sous la présidence allemande de ce semestre. Elle pourra sans doute débuter au début de l’année, sous la présidence portugaise. Nous devons encore déterminer le nom de la personne qui la présidera. Le mandat est presque prêt. Bien évidemment, les parlements nationaux seront invités à contribuer au travail qui sera réalisé durant plusieurs mois.

Monsieur Laurent, vous avez déploré que le débat n’ait pas lieu au grand jour. Ce serait la première fois – faisons le pari ensemble – qu’une conférence, au-delà de la convention que nous avions connue dans le passé, qui constituait déjà un effort d’ouverture démocratique, serait ouverte à toutes les formations politiques, à toutes les assemblées parlementaires, à toutes les associations, à toutes les institutions et à tous les citoyens – car le Président de la République souhaite, comme il l’a évoqué hier soir, la participation de panels citoyens. Toutes les propositions sur le climat et sur bien d’autres sujets seront ensuite synthétisées et ramassées sous la présidence française de l’Union européenne, en lien avec les assemblées, pour dessiner une feuille de route pour les années à venir.

Je veux dire à M. Masson…

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