Intervention de Marc-Philippe Daubresse

Réunion du 14 décembre 2020 à 15h00
Code de la sécurité intérieure — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Marc-Philippe DaubresseMarc-Philippe Daubresse :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de lutte contre le terrorisme, la convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat est habituellement de mise ; il est rare que députés et sénateurs ne parviennent pas à un accord pour doter les services de sécurité des moyens et des outils adéquats pour combattre ce fléau qui continue de frapper tragiquement notre pays de manière régulière. C’est pourquoi je regrette beaucoup que la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 22 octobre dernier pour examiner le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen ne soit pas parvenue à un accord.

Cet échec est d’autant plus regrettable que nous n’avons de divergence de fond, me semble-t-il, ni avec le Gouvernement – les propos de Mme la ministre nous l’ont encore confirmé il y a un instant – ni avec l’Assemblée nationale. Nous nous accordons en effet sur l’utilité des mesures concernées par ce projet de loi, qu’il s’agisse des mesures issues de la loi SILT ou de la disposition de la loi relative au renseignement portant sur la technique de l’algorithme. En revanche, comme vous l’avez relevé, madame la ministre, nous avons une divergence profonde de méthode et de calendrier.

Depuis le début de la navette parlementaire, le Gouvernement et les députés se cantonnent à l’idée de procéder à une prorogation « sèche », c’est-à-dire sans modification, des mesures de la loi SILT, ainsi que de la technique de l’algorithme.

En première lecture, le Sénat a validé cette position pour la technique de l’algorithme, le temps qu’une réforme plus large de la loi relative au renseignement puisse être soumise à notre examen. En revanche, nous avons jugé que la prorogation sèche des dispositions de la loi SILT était non seulement injustifiée, mais également tout à fait inopportune au regard du niveau de la menace terroriste sur notre territoire. C’est pourquoi nous avons considéré comme essentiel, non seulement de pérenniser immédiatement ces mesures, mais aussi de leur apporter plusieurs ajustements afin de les rendre pleinement efficaces.

Il s’agissait, premièrement, d’étendre le champ de la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte, afin d’éviter le déport des discours radicaux vers d’autres lieux bien repérés par nos services secrets ; deuxièmement, de renforcer l’information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une parfaite articulation avec les mesures judiciaires telles que le contrôle judiciaire ; enfin, troisièmement, d’élargir les possibilités de saisie informatique dans le cadre d’une visite domiciliaire, dans les cas où l’occupant des lieux fait obstacle à l’accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatiques.

Les attentats qui ont récemment frappé notre pays ont montré, alors même que nous discutions en première lecture de ce projet de loi, que nous ne devions pas baisser la garde, mais faire preuve de réactivité pour doter nos services de sécurité des outils nécessaires pour assurer réellement la sécurité des Français. C’est la position que nous avons tenue en commission mixte paritaire et que les députés ont catégoriquement refusé de suivre. À quoi sert donc d’expérimenter si l’on ne peut pas, à l’issue de l’expérimentation, pérenniser ?

Nous regrettons que l’Assemblée nationale n’ait pas fondamentalement dévié de sa ligne en nouvelle lecture, alors même que l’actualité aurait dû l’amener à infléchir sa position.

Sur la question de l’algorithme, il est heureux qu’elle se soit ralliée au Sénat, en acceptant de porter la nouvelle échéance de la technique au 31 décembre 2021, plutôt qu’au 31 juillet. C’est une bonne chose, car, avant de réformer la loi Renseignement, il nous faut laisser aux administrations de l’État le temps de tirer les conséquences des récents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, qui risquent de remettre en cause le fonctionnement de plusieurs techniques de renseignement.

Sur le reste du texte, en revanche, un tel ralliement n’a pas eu lieu. Les députés ont rétabli la rédaction issue de leur première lecture sur l’article 1er du projet de loi, pour revenir à une simple prorogation des mesures issues de la loi SILT jusqu’au 31 juillet 2021. Si l’on suit leur position, il faudra un nouveau débat, alors que nous pouvons trancher ce problème, tranquillement, dès maintenant.

L’argument que vous venez encore d’avancer à l’appui de cette position, madame la ministre, me semble bien fragile : vous souhaitez attendre, et les députés veulent poursuivre leur réflexion, pour que puisse se tenir sur ces sujets un débat démocratique serein que les conditions sanitaires auraient rendu impossible. Dois-je pourtant rappeler que les dispositions dont nous parlons font l’objet d’une évaluation régulière ? Le président de la commission des lois et moi-même, en tant que rapporteur, avons reçu toutes les semaines l’ensemble des arrêtés relatifs à ces dispositions sur notre territoire. Nous avons conduit une mission d’information très importante, qui a procédé à de multiples auditions. Enfin, j’ai produit au nom de la commission des lois deux rapports très clairs, qui concluent évidemment à la nécessité de pérenniser ces mesures.

Il y a donc eu expérimentation et évaluation approfondie. Nous proposons d’en tirer les conclusions évidentes.

J’ajouterai que l’utilité opérationnelle avérée de ces mesures a été reconnue par le Gouvernement ; selon le rapport relatif au bilan de la deuxième année de mise en œuvre de la loi SILT, elles ont « permis de faire face à une menace terroriste demeurant à un niveau particulièrement élevé ». Cela figure noir sur blanc dans les rapports que nous a remis le Gouvernement : avant de remettre le mien, je sollicite le Gouvernement pour qu’il nous remette le sien et que nous puissions vérifier si nous sommes en phase. Or, sur le fond, nous sommes bien en phase, si l’on en croit les conclusions de nos rapports respectifs.

Dès lors, pourquoi reporter le débat et obliger le Parlement à se prononcer de nouveau dans quelques mois, alors que l’ordre du jour des deux assemblées s’annonce particulièrement chargé ?

Vous indiquez par ailleurs, madame la ministre, que votre texte n’affaiblit pas la lutte contre le terrorisme, car les mesures seront maintenues dans l’attente de leur pérennisation. Mais, ce faisant, vous écartez toute possibilité de leur apporter les ajustements que les services de votre ministère eux-mêmes estiment pourtant indispensables pour renforcer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme.

Vous ne pouvez pas en même temps déclarer vouloir faire une guerre sans merci aux djihadistes et refuser de pérenniser définitivement dans la loi des mesures qui ont fait leurs preuves. Vous ne pouvez pas en même temps refuser notre proposition d’étendre la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte dans lesquels agissent les prêcheurs de haine et défendre, comme s’y emploie le ministre de l’intérieur, une ligne ferme contre les discours séparatistes et lancer une offensive médiatique contre les mosquées où sévissent des discours haineux. Il y a là un manque profond de cohérence de la part du Gouvernement.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la commission des lois a donc souhaité rétablir son texte de première lecture, afin de laisser une nouvelle possibilité au Gouvernement et à l’Assemblée nationale de se rallier à sa position, ce qui crédibiliserait votre discours actuel de fermeté, madame la ministre : les discours ne suffisent pas, il faut que les actes suivent !

J’invite donc le Sénat à nous suivre cet après-midi, conformément à l’esprit de responsabilité dont il a toujours fait preuve face au défi terroriste ; chacun ici sait qu’il a été l’un des acteurs fondamentaux de l’élaboration initiale de la loi SILT.

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