Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 14 décembre 2020 à 15h00
Code de la sécurité intérieure — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous les dispositions de la loi de 2017, dite loi SILT. Les différentes interventions, en particulier celle de M. le rapporteur, nous ont permis de disposer de tous les éléments d’appréciation. Je ne reprendrai donc pas le contenu de ces dispositions ; je me concentrerai sur deux points.

Premièrement, il conviendrait de s’interroger collectivement sur les raisons pour lesquelles la CMP a été non conclusive. A priori, ce sujet n’aurait pas dû poser de difficulté. Sauf incompréhension de ma part, nous sommes tous d’accord sur le bilan positif de l’application des quatre mesures de la loi de 2017 que sont les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les Micas et les visites domiciliaires.

Que ce soit le Sénat, à travers le suivi qui en a été fait pendant un an et demi, l’Assemblée nationale ou le Gouvernement, chacun reconnaît que ces mesures, dont l’usage n’a pas été excessif, se sont avérées positives et que l’équilibre entre l’action antiterroriste et la préservation des libertés a été correctement trouvé. Le juge administratif a joué son rôle de régulateur sans aucune difficulté et le contrôle parlementaire, comme cela a été évoqué, s’est exercé. Il n’y avait donc pas de difficulté à ce que la CMP soit conclusive.

L’Assemblée nationale a fait le choix de proroger de sept mois les mesures de la loi SILT. Sachant tous que le programme du premier semestre de 2021 sera très chargé, on comprend mal la position de l’Assemblée nationale et surtout celle du Gouvernement. Face à un ordre du jour embouteillé, il privilégie le dépôt d’un texte spécifique dont nous aurions pu faire l’économie. Il y aura peut-être là quelques surprises…

S’agissant des ajustements qui avaient été proposés par le Sénat sur l’information des autorités judiciaires, je ne suis pas sûr que cela change grand-chose. En revanche, l’extension du champ des mesures de fermeture administrative à d’autres lieux dits « connexes » ou l’élargissement des possibilités de saisies informatiques évoqué lors d’un certain nombre d’auditions nous paraissaient être des dispositions plutôt intéressantes au regard de l’ampleur de la menace terroriste.

L’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas fait ce choix ; il est permis de le regretter. Le Sénat va rétablir son texte, mais chacun de nous connaît l’issue. Je ne suis pas tout à fait certain que, au-delà d’une forme de querelle de préséance – parce que j’ai l’impression que nous nous demandons qui est à l’origine de quoi –, les conditions de lutte contre le terrorisme en sortiront renforcées. Je ne vois pas l’intérêt pour le Gouvernement de se trouver sous la pression qui va être la sienne au premier semestre compte tenu du calendrier parlementaire.

Deuxièmement, sur la question de la prorogation des trois algorithmes jusqu’à la fin de l’année 2021, nous connaissons bien l’analyse qui est faite par nos services de sécurité. Il nous semble manquer, à ce jour, une analyse comparative entre les besoins de nos services de sécurité et les conséquences à tirer de l’arrêt du 6 octobre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est un arrêt dont on ne mesure pas totalement les conséquences. A priori, il ne laisse pas de marges, puisqu’il n’autorise pas les dispositions en matière de chalutage et incrimine la conservation généralisée et indifférenciée des données.

À y regarder de plus près, on s’aperçoit que l’arrêt n’autorise pas de dérogation dans le cadre de la lutte contre les infractions en général, ce dont on convient assez volontiers, ou de sauvegarde de la sécurité nationale – je pense en particulier à l’espionnage. Cependant, dans la sauvegarde de la sécurité nationale, doit-on y intégrer les éléments de lutte contre le terrorisme ? Je n’en suis pas tout à fait convaincu. Il me semble donc que cet arrêt nous laisse tout de même un peu de marge, qui justifie un travail vraiment spécifique ; d’habitude, la Cour de justice n’interdit pas les échanges avec elle pour comprendre son point de vue.

En résumé, monsieur le président de la commission des lois, au-delà du vote, pour lequel notre groupe suivra le point de vue majoritaire du Sénat, compte tenu des motifs que j’ai décrits, il pourrait être intéressant, dans les mois qui suivent, peut-être dans le cadre des missions confiées à M. Daubresse ou selon une autre modalité – ce sera à vous d’apprécier –, d’anticiper cette discussion qui rebondira forcément durant l’année 2021, pour voir quelles sont les marges de manœuvre qui nous sont laissées par l’arrêt du 6 octobre 2020.

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