Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en première lecture, nous étions invités à nous prononcer sur deux prorogations : d’une part, les mesures de la loi SILT relatives aux périmètres de protection, aux visites domiciliaires – anciennement appelées perquisitions –, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance – anciennement les assignations à résidence – et aux fermetures de lieux de culte ; d’autre part, l’usage d’algorithmes permettant d’analyser le flux de données en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Je rappelle que ces mesures ont été adoptées en 2015, prorogées en 2017 et arriveront à échéance à la fin de l’année.
Compte tenu du contexte terroriste, il est déplorable que nous n’ayons pu parvenir à un accord en CMP, mais la situation est peut-être un peu plus compliquée que ce que prétendent certains membres de la majorité sénatoriale. Il s’agit non pas de déterminer si ces mesures sont bonnes ou mauvaises, mais de savoir si, au jour le jour, elles sont correctement appliquées. Il est d’ailleurs paradoxal de constater que c’est le Sénat qui, en 2017, a mis en place ce dispositif qui s’autodétruit en 2020.
La transmission au Parlement d’une copie de tous les actes administratifs pris en vertu des dispositions votées et la remise aux deux assemblées d’un rapport annuel d’évaluation étaient indispensables, car, encore une fois, il ne s’agit pas de savoir, monsieur le rapporteur, si ces mesures sont bonnes ou non, mais il s’agit de savoir comment elles sont appliquées au quotidien. Le fait qu’elles puissent être largement attentatoires aux libertés mérite bien le contrôle du Parlement. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas voter la pérennisation de ces mesures sans être assurés, au minimum, d’un contrôle parlementaire renforcé.
Compte tenu de l’accord sur l’article 2 du projet de loi initial, nous n’aurons plus à nous prononcer sur la question des algorithmes. Permettez-moi cependant, en prévision d’une loi plus importante sur le renseignement qui nous est annoncée pour l’année prochaine, de formuler quelques remarques, car il s’agit à la fois de contraintes et d’enjeux européens et de la crédibilité de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Premièrement, la loi sur le renseignement prévoyait, à l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure, qu’un décret en Conseil d’État soit pris pour définir les conditions d’échange entre les différents services de sécurité et les administrations de toutes les informations en matière de données de connexion qui pourraient être récupérées. Or ce décret n’a jamais été pris, et nous ne disposons toujours pas d’un cadre sur la façon dont fonctionnement ces échanges.
Deuxièmement, au sein de la loi de finances, en totale contradiction avec la LOLF, a été adopté un dispositif de contrôle des demandes de données de connexion, spécifiquement dédié à délivrer des autorisations à la DGFiP. Cela pose un problème : d’un côté, on crée une CNCTR qui doit centraliser les demandes et rendre des avis au Premier ministre sur les demandes de données de connexion des services et, de l’autre, pour des questions fiscales, on crée une autre structure pour aller plus vite, alors même que l’on ne cadre pas les échanges entre les différents services.
Les rapports de la CNCTR ont déjà souligné le besoin d’améliorer l’accès aux fichiers de souveraineté, pour que le contrôle de cette dernière soit complet sur l’ensemble des dispositions et des pouvoirs des services de renseignement. Il faut que nous puissions avoir confiance en l’action des services de renseignement, eu égard aux prérogatives qui leur sont données pour garantir la sécurité des Français, en étant assurés qu’elles soient mises en œuvre dans des conditions respectant les libertés et l’intimité de chacun.
La CNCTR doit donc être au cœur de nos préoccupations si nous souhaitons pouvoir garantir les libertés. Or un certain nombre de choses ne sont aujourd’hui pas parfaites de ce point de vue et mériteront d’être évoquées lors de la prochaine loi sur le renseignement – nous avions déjà déposé certains amendements sur le sujet.
Enfin, il y a la question de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2020, sur renvoi du Conseil d’État. Ce n’est pas nouveau, il y avait déjà eu l’arrêt Tele2 en 2016. Il est paradoxal de constater que la Cour de justice a rendu son arrêt sur le fondement de la compétence de l’Union européenne, alors que l’article 4.2 du traité sur l’Union européenne prévoit pourtant que les questions de sécurité nationale ne relèvent pas des compétences de l’Union. Il serait peut-être nécessaire que la sécurité nationale puisse, dans une certaine mesure, devenir une compétence partagée, sans quoi cela poserait problème. Il faut donc probablement réfléchir à une évolution du droit européen, car nous pouvons regarder comment les choses peuvent se faire à droit européen constant, même s’il n’est pas évident que cela soit possible.
Sur ce qui reste en discussion, vous l’avez compris, nous soutiendrons des dispositions qui assurent le fait que les mesures actuelles puissent perdurer, en particulier parce qu’elles répondent aux besoins de contrôle des individus sortant de prison, mais nous refuserons que cela se fasse sans un contrôle parlementaire renforcé. Tel est ce que nous demanderons à travers nos amendements.