Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les ambitions et les lignes directrices du projet de loi venant d’être présentées, ainsi que le contexte économique dans lequel il s’inscrit, il m’appartient à présent de vous faire part de l’état d’esprit dans lequel a travaillé la commission spéciale depuis deux mois, et des raisons justifiant les principaux apports qu’elle vous suggère d’adopter.
Tout d’abord, pour la majorité de la commission, ce texte constitue une étape majeure qui va bien au-delà d’une simple transposition de directive. L’ambition est ici de rénover en profondeur le droit du crédit à la consommation et d’améliorer de manière substantielle les procédures de surendettement afin de mettre un terme à ce qu’on appelle le « malendettement ».
Plus de trente ans après la loi fondatrice qui a encadré l’octroi du crédit aux consommateurs, la loi Scrivener de 1978, vingt ans après celle, non moins essentielle, qui a instauré les mécanismes de prévention du surendettement, la loi Neiertz, il s’agit de poser les bases d’un droit nouveau, attaché à conforter le crédit tout en le rendant davantage responsable. Je souhaite, madame la ministre, que la loi auquel votre nom sera attaché devienne ainsi une nouvelle référence et que les outils qu’elle contient s’avèrent durablement efficaces.
En effet, ces vingt dernières années, nombre de modifications ponctuelles, d’inégale importance, ont été apportées par des lois différentes. Cela témoigne de la difficulté qu’il y a à trouver un point d’équilibre entre la nécessité de développer le crédit, pour permettre à nos concitoyens de consommer conformément à leurs besoins et à leurs capacités, et celle de protéger les ménages contre les risques d’un crédit mal maîtrisé.
Ce point d’équilibre, je pense que nous réussirons à l’atteindre à partir de votre texte, madame la ministre, mais grâce aussi aux améliorations que le Sénat et l'Assemblée nationale lui apporteront.
Il est important que la législation se stabilise pendant un long moment afin que les acteurs évoluent durablement dans un cadre clair, loyal et prévisible sur le moyen terme.
Il ne vous a pas échappé que cette ambition était commune aux différentes propositions de loi. Dans le cadre de mon travail de rapporteur, j’ai ainsi eu à examiner les préconisations du président Philippe Marini, de Mme Nicole Bricq, de M. Claude Biwer – l’une et l’autre étant d'ailleurs vice-présidents de la commission spéciale - de M. Charles Revet et de Mme Muguette Dini, cosignataire avec son président de groupe, M. Michel Mercier, d’une des cinq propositions de loi.
Certes, si les textes des uns et des autres pouvaient aborder des aspects parfois différents, tous visaient à renforcer les dispositions relatives à la publicité et à l’information de l’emprunteur, et la plupart soutenaient la création d’un fichier positif comme une nécessité.
À bien des égards, le projet de loi a apporté une première série de réponses et, dans mon rapport écrit, je me suis attaché à systématiquement les souligner. La commission spéciale a poursuivi sur ce chemin en intégrant d’autres préconisations des propositions de loi sénatoriales, sinon dans leur lettre du moins dans leur esprit, qu’il s’agisse du fichier positif, du taux de l’usure ou du microcrédit.
Il reste quelques points qu’il ne m’a pas semblé opportun de suggérer à la commission d’adopter, mais nous aurons l’occasion d’en débattre puisqu’ils font l’objet de plusieurs amendements.
Je peux affirmer sans crainte d’être contredit par les faits que le texte que nous examinons aujourd’hui doit tout autant au Gouvernement qu’à l’implication de nombreux collègues sénateurs, tant par leurs propositions de loi que par le travail qu’ils ont accompli au sein de notre commission spéciale, ce dont, naturellement, je me réjouis.
Avant d’aborder les apports de la commission, je souhaite tout d’abord saluer les dispositions initiales du projet de loi qui, sur plusieurs points, vont plus loin que la simple transposition d’une directive : il s’agit de donner du corps au concept de « crédit responsable » défendu par le Gouvernement.
S’agissant de la distribution du crédit, je citerai, à titre d’exemples, l’avertissement légal qui devra figurer sur les publicités, la consultation obligatoire du FICP, la fiche de dialogue, que vous avez évoquée, madame la ministre, l’obligation d’un amortissement minimum dans les échéances du crédit renouvelable, l’interdiction de subordonner les avantages d’une carte de fidélité à l’utilisation d’un crédit, ou encore le principe du « paiement comptant » pour les cartes mixtes, afin que le consommateur dise expressément s’il souhaite ou non payer à crédit quand il utilise sa carte.
Toutes ces mesures, en particulier les deux dernières, apportent, j’en suis profondément convaincu, de très sérieuses garanties pour un encadrement maîtrisé du crédit renouvelable, ce que nous souhaitons tous ici.
Le principe qui sous-tend la réforme du surendettement et du FICP est l’accélération des procédures.
Pour ce faire, le projet de loi vise d’abord à réduire les délais légaux d’examen par les commissions de surendettement, qu’il s’agisse de la recevabilité ou du traitement lui-même.
Ensuite, le texte tend à conférer directement aux commissions des pouvoirs qui relevaient jusqu’à présent du juge, partant du constat que 85 % à 90 % des préconisations des premières sont aujourd’hui homologuées par le second, et qu’en tout état de cause celui-ci est toujours susceptible d’intervenir à la demande d’une des parties.
Enfin, le Gouvernement propose de simplifier la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, c’est-à-dire pour les cas où il n’y a aucun actif à réaliser.
Outre ces améliorations, il faut relever la suspension des procédures d’exécution à compter de la décision de recevabilité.
Sur tous ces points, monsieur le président, mes chers collègues, votre commission spéciale a exprimé son accord.
Il s’agit donc d’un bon projet de loi, comme l’atteste le fait que peu d’amendements remettant en cause son contenu ont été déposés.
Les quelques dispositions nouvelles que nous avons toutefois souhaité introduire visent à doter ce texte de toute la gamme des outils lui permettant de donner sa pleine mesure.
Au titre d’abord des compléments totalement nouveaux, je citerai la réforme du taux de l’usure, le principe de la création d’un fichier positif et le renforcement du microcrédit.
Sur le premier point, l’usure, ma position est claire : je m’étonne qu’avec l’Italie et la Belgique notre pays reste le dernier des grands États industrialisés à être soumis à une législation sur l’usure. Je ne souhaite évidemment pas que les gens empruntent à des taux d’intérêt très élevés ni que les banques fassent des profits colossaux sur le dos des petites gens, mais, dans une économie moderne, la régulation doit venir du marché, sous le contrôle d’organes chargés de veiller au respect des règles de la concurrence et, s’agissant des intérêts individuels, sous le contrôle du juge.
C’est ainsi qu’agissent la plupart de nos voisins. Si leurs taux jurisprudentiels de l’usure sont plus élevés que chez nous, et parfois de très loin, toutes les statistiques montrent que leurs taux d’intérêt moyens sont parfaitement comparables aux nôtres, quand ils ne sont pas plus bas, et que les personnes surendettées ne sont pas plus nombreuses qu’en France. Or, bien plus que le taux de l’usure, ce sont ces données-là qui importent.
Je rappelle que c’est au gouvernement de Michel Rocard que l’on doit la reconnaissance du rôle du marché dans la fixation du coût des prêts. La loi Neiertz a en effet modifié le mode de calcul du taux de l’usure : c’est à ce moment-là que la détermination administrée a été remplacée par le mécanisme actuel.
Cependant, si celui-ci ne fonctionne plus aujourd’hui, ce n’est pas, de mon point de vue, parce que l’on est allé trop loin, c’est, au contraire, parce que l’on n’a pas eu le courage de faire « le grand saut » et de supprimer purement et simplement le dispositif.
L’opinion n’étant pas encore mûre pour franchir cette étape, c’est donc vers l’adaptation du modèle que le Gouvernement envisage que je me suis tourné.
Le problème aujourd'hui tient à la segmentation du marché entre les établissements de crédit, spécialisés sur le crédit renouvelable, et les banques, qui se cantonnent plus particulièrement dans le crédit personnel affecté.
L’idée, commune au Gouvernement et à la commission spéciale, est d’introduire de la concurrence entre ces deux « business models » afin d’entraîner une fixation des taux en raison non pas de la catégorie du produit mais du montant du crédit.
L’article 1er A a donc pour objet, d'une part, de donner une base législative à cette transformation, d'autre part, d’autoriser une gestion administrée des taux sur deux ans au maximum afin que le changement de règle ne conduise pas à l’effondrement brutal du marché du crédit, enfin, d’instituer un comité ad hoc pour superviser la réforme et vérifier les conditions de constitution des marges des établissements de crédit.
Si cette nouvelle réforme se révèle un jour inadaptée, je pense qu’il conviendra enfin, puisque l’on aura tout essayé, de supprimer définitivement ce dispositif.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que, pour ce qui est des sociétés, ce mécanisme a été abandonné en deux étapes et que la réforme a permis, jusqu’à la crise apparue il y a un an, d’élargir l’accès des PME au crédit sans augmenter le coût moyen de celui-ci.
Le deuxième point que la commission spéciale a abordé est le fichier positif.
Pour être tout à fait franc, j’estime, à titre personnel, qu’il ne constitue pas l’outil efficace que certains attendent dans la lutte contre le surendettement. Lors d’un déplacement à Bruxelles, nous avons constaté qu’il suscitait une satisfaction unanime, mais cela ne m’a cependant pas totalement convaincu.
En effet, sur la base des informations recueillies, notamment le rapport 2008 de la Banque nationale de Belgique, la BNB, je me suis livré à quelques calculs et comparaisons que je vais vous livrer de manière synthétique.
Quand on veut créer un outil qui aura pour base au moins 15 millions et peut-être même 30 millions de personnes, il s’agit de se déterminer non pas en fonction de convictions, mais bien de faits, afin de s’assurer de la nécessité de constituer un tel fichier.
Tout d’abord, je voudrais rappeler que les statistiques belges couvrent la période 2003-2007, c’est-à-dire un cycle de crédit commun à toute l’Europe où le risque n’a jamais été aussi faible, la production jamais aussi forte, et les taux jamais aussi bas. On constate dans tous les pays, sur cette période, des résultats favorables, qui ne sont donc pas nécessairement liés à la création d’un tel fichier.
En France, nous pouvons indiquer que le nombre annuel de nouveaux inscrits au FICP a baissé de 65 % entre 2003 et 2007.
À l’inverse, savez-vous que, l’an dernier, le nombre des personnes surendettées a augmenté en Belgique de 8, 8 %, quand la progression n’a été que de 3, 1 % en France ?
Un dernier chiffre encore : les statistiques de la BNB indiquent que le taux de défaillance des crédits s’est réduit, entre 2003 et 2007, de 10 % à 15 % selon que l’on prend en compte les emprunteurs ou le montant des contrats.
Or, si l’on entre dans le détail, on constate que les défaillances des crédits immobiliers se sont réduites de 30 % quand, dans le même temps, celles qui concernent le crédit renouvelable ont augmenté de 9, 7 % ! Si la Centrale des crédits belge a effectivement sécurisé le crédit immobilier, elle ne l’a pas fait nécessairement pour le crédit renouvelable.
En quoi ces chiffres prouvent-ils l’intérêt d’un fichier positif pour éviter le surendettement ?
Transposons maintenant à notre situation les résultats obtenus en Belgique, en prenant à chaque fois les éléments les plus favorables, c’est-à-dire en estimant que notre fichier positif nous permettrait non seulement de faire aussi bien, mais même beaucoup mieux. Ainsi, pour les besoins de la démonstration, je me suis fondé sur une réduction de 20 % des incidents de crédit. J’ai par ailleurs supposé que ce taux de réduction s’appliquerait ipso facto à l’ensemble des personnes surendettées en estimant la proportion de celles qui sont victimes du crédit, et non des accidents de la vie, à 50 % et non à 13 %.
Si donc nous respectons ces proportions, compte tenu du fait que le stock des 730 000 personnes surendettées s’étale sur quatre ans, la prévention concernerait au mieux chaque année 18 000 personnes !
Il s’agit donc de constituer une centrale positive de 15 millions de personnes dans la base de données pour éventuellement prévenir le surendettement de 18 000 personnes par an. Avec cette proportion proche de 1 pour 1 000, je considère que l’efficacité d’un tel outil est relative.
En outre, cette évaluation ne tient pas compte du développement de certaines cartes bancaires, comme la carte « Double Action » que propose, par exemple, le Crédit Agricole, qui conduira donc à augmenter le nombre des personnes inscrites au fichier et, par conséquent, à rendre le ratio inférieur à 1 pour 1 000.
Permettez-moi à cet instant de quitter le domaine économique pour entrer dans le champ des libertés publiques. Est-il raisonnable et conforme à la loi Informatique et libertés de 1978, selon laquelle un fichier ne peut être autorisé que s’il constitue une solution pertinente, adéquate et non excessive au regard de la finalité qu’il poursuit, de créer un tel fichier pour un résultat aussi faible ? En mon âme et conscience, je pense que cette question nécessite un débat très approfondi.