Intervention de Valdis Dombrovskis

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 décembre 2020 à 11h00
Politique commerciale — Audition de M. Valdis Dombrovskis vice-président exécutif de la commission européenne en charge d'une économie au service des personnes commissaire européen au commerce

Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission européenne en charge d'une économie au service des personnes, commissaire européen au Commerce :

Je vous présente toutes mes condoléances pour le décès de mon ami Valéry Giscard d'Estaing. J'aurais aimé venir vous voir au Palais du Luxembourg, mais les circonstances ne le permettent malheureusement pas. Du coup, je vous parle depuis Bruxelles, non loin de la gare de Luxembourg ! J'aurais bien aimé, également, m'exprimer dans la langue de Molière. Je suis un cours intensif de langue française, mais ne me sens pas encore d'un niveau suffisant pour continuer à m'exprimer aujourd'hui dans votre langue. Permettez-moi, donc, de continuer en anglais.

Comme vous le savez, les restrictions ont eu un impact sur l'économie, et la deuxième vague ne fait qu'aggraver les choses. La France ne fait pas exception, et tous les pays européens seront en récession pendant encore un certain temps. Dans le cas de la France, le produit intérieur brut (PIB) devrait baisser de 9 %, soit la contraction la plus importante de la zone euro. Cependant, en 2021, nous prévoyons un rebond de 5,8 % du PIB. Mais, dans tous les pays, pour que ce rebond puisse avoir lieu, il devra reposer sur des mesures appropriées pour nourrir la croissance et permettre de sortir de cette crise. Il nous faudra veiller à leur coordination, et privilégier une approche équilibrée et plus inclusive, tout en faisant face au défi de la double transition écologique et numérique, afin que ces transitions puissent créer des emplois et nous aider à sortir de cette crise.

Nous espérons atteindre ces objectifs également par le biais de l'instrument temporaire Next Generation EU qui, associé au prochain budget à long terme de l'Union, porte à 1 800 milliards d'euros l'enveloppe budgétaire dont disposera l'Union européenne au cours des prochaines années. Cet instrument devrait permettre un rebond supplémentaire de 2 % du PIB pour l'année à venir et favoriser la création d'emplois. Cela aidera tous les pays européens à faire face aux défis et aux questions macro-économiques à venir.

Tous les pays doivent présenter des plans d'investissement et des projets budgétaires (plans nationaux pour la reprise et la résilience) qui devront être coordonnés et harmonisés au sein du « paquet d'automne » pour la politique économique. Nous voulons promouvoir une économie plus inclusive, plus verte et favorisant la transition numérique. Il faut investir pour la création d'emplois en Europe. Nous voyons avec plaisir que le Pacte vert est au coeur des approches nationales avec, par exemple, des projets ambitieux sur le transport et la mobilité. Il faut également mettre l'accent sur les jeunes et sur la formation et l'éducation. Il convient aussi de consolider nos politiques d'investissement, tout en respectant la nécessité de faire des réformes. Tout cela est récapitulé dans les recommandations du semestre européen.

Pour aller vers une politique économique plus durable, il convient également de soutenir la concurrence et la compétitivité dans le secteur des services, un écosystème plus efficace en termes de recherche et de développement, mais aussi une politique de finances publiques mieux maîtrisée. Il faut également oeuvrer à plus de convergence sociale et économique entre nos pays, il faut nous adapter à une nouvelle réalité et avoir à coeur de réduire les inégalités économiques et sociales entre nos territoires. Le plus important est de faire en sorte que les sommes décidées dans le CFP puissent être débloquées le plus rapidement possible. Notre assure notre capacité à résister aux chocs auxquels nous faisons face. L'idée est d'investir ensemble pour la relance et la reprise.

Bien sûr, le commerce doit jouer un rôle essentiel dans cette reprise économique et sociale. C'est pourquoi nous nous sommes lancés dans un réexamen de la politique commerciale. Cinq années ont passé depuis notre dernière communication sur le sujet, et le temps était venu d'une mise à jour. Nous souhaitons faire en sorte que la politique commerciale aide à la relance tout en apportant une contribution significative aux priorités européennes. L'enjeu est d'insuffler suffisamment de dynamisme pour nous relever de cette crise sanitaire.

Nous avons bien sûr à l'esprit la nécessité de soutenir nos petites et moyennes entreprises (PME). Nous voulons plus de commerce, pas moins de commerce. Au cours de la prochaine décennie, 80 % de la croissance mondiale aura lieu en dehors de l'Union européenne. Nous devons donc avoir une approche ouverte et nourrir nos relations. L'Union européenne dispose du réseau d'accords de libre-échange le plus robuste dans le monde, et il faut pouvoir nous reposer sur des règles prévisibles et solides.

Si l'on prend l'exemple de notre accord avec le Canada, le CETA, on voit qu'on peut déjà tirer un bilan positif concret après trois ans de mise en oeuvre : en 2019, le commerce entre l'Union européenne et le Canada a crû de 25 %. Entre la France et le Canada, la tendance est aussi très positive, puisque la balance commerciale de la France est excédentaire de 1,1 milliard d'euros. Par rapport à la période précédant la mise en place du CETA, les échanges ont enregistré une hausse de 200 % dans le secteur automobile, de 36 % pour les denrées alimentaires et de 30 % dans le secteur de l'agroalimentaire (700 millions d'euros en 2019). Il s'agit donc d'une opportunité substantielle pour les produits français de qualité. Certains ont craint l'importation de produits agricoles canadiens, qui allaient envahir la France. Le différentiel, en fait, se limite à 0,3 % ! Bref, cet accord sera extrêmement positif, en particulier pour nos PME.

La Commission a nommé pour la première fois, un « Chief Trade Enforcement Officer », rattaché à la direction générale du Commerce. Le but est que nos entreprises, et en particulier les PME, récoltent les fruits des accords de libre-échange. Nos partenaires doivent bien sûr respecter les engagements qu'ils ont pris dans ces accords, en particulier en termes de durabilité, de barrières tarifaires et d'accès aux marchés.

Il est important que nous apportions un appui substantiel à nos PME, et il faut nous assurer que tout le monde soit placé sur un pied d'égalité, avec des règles communes pour tous. C'est notre intention : nous voulons que nos partenaires commerciaux respectent les mêmes règles, c'est pourquoi nous allons redoubler d'efforts pour réformer l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est un forum essentiel, mais nous pensons qu'il est nécessaire d'avoir de nouvelles règles au sein de l'OMC pour qu'elle soit mieux adaptée au monde actuel.

En matière de transition écologique et de transition numérique, l'Europe ne peut pas se permettre d'être sans armes et sans outils face à un commerce international qui est de plus en plus important. Il nous faut donc renforcer nos propres capacités pour défendre notre commerce. Pour cela, nous devons vérifier que les règles sont bien appliquées. Ce processus, d'un point de vue législatif, est presque terminé et nous devrions en voir les bénéfices dès le début 2021.

Pour ce qui est des investissements étrangers directs (IDE) également, nous souhaitons nous assurer que les règles sont bien en place pour protéger notre marché intérieur vis-à-vis des pays tiers. Il convient aussi de vérifier, au niveau des marchés publics, que les règles sont les mêmes pour tous, avec un encadrement des aides d'État et un accès réciproque aux marchés publics. Il s'agit de vérifier que les engagements pris ne sont pas violés et qu'il n'existe pas de mesures discriminatoires à l'encontre des entreprises européennes.

Notre relation avec nos partenaires commerciaux à travers le monde doit être imprégnée de confiance réciproque et fonctionner selon des règles mutuellement acceptées. L'Union européenne a décidé que cette décennie serait la décennie de la double transition écologique et numérique. Pour en faire une réalité, il faut absolument nous coordonner. Notre politique commerciale doit agir de conserve avec la politique industrielle, avec le Pacte vert et avec notre stratégie numérique.

Cependant, ces défis ne s'arrêteront pas à nos frontières. Il nous faut travailler avec nos partenaires au niveau mondial. J'ai déjà mentionné l'importance de l'OMC. À cet égard, la relation transatlantique sera un levier important vers un changement positif. Avec la nouvelle administration Biden, nous pouvons nous attendre à un nouveau départ. Nous avons présenté une proposition pour un nouvel agenda transatlantique, avec l'idée de redynamiser les institutions et les actions multilatérales. Nous voulons travailler ensemble à une reprise et une résilience après la pandémie, ainsi qu'à une nouvelle approche pour renforcer l'État de droit et la démocratie dans le monde. Nous allons immédiatement nous mettre au travail, avec notre nouveau partenaire transatlantique, pour éliminer les blocages au niveau commercial qui handicapent notre potentiel.

Pour ce qui est de la Chine, il nous faut une relation économique plus équilibrée, cela est de plus en plus évident. Aussi allons-nous prendre davantage de mesures d'autonomie. Nous voulons une négociation sur un accord global sur les investissements, pour que les mêmes règles soient respectées par tous, et instaurer une réciprocité dans l'accès à nos marchés. Il semble qu'il sera difficile de conclure ces négociations d'ici la fin de l'année. Pour autant, nous devons continuer à oeuvrer à ces négociations avec la Chine, en vue d'une issue positive, par exemple en matière de durabilité : c'est un ingrédient essentiel de la politique commerciale que nous appelons de nos voeux, et nous voulons que le développement durable soit une des priorités. L'accord de Paris doit être un élément essentiel de nos futurs accords commerciaux.

Pour ce qui est du Mercosur, je suis tout à fait conscient des préoccupations, notamment en France, sur la situation de la forêt amazonienne, qui me préoccupe moi-même, d'ailleurs. Mais les préoccupations, cela ne suffit pas : notre rôle est de trouver des solutions qui fonctionnent. Les seules solutions durables sont celles qui seront trouvées en coopération avec les pays du Mercosur, par le biais d'accords et en obtenant des résultats. Cela requiert un engagement clair du Brésil et des autres pays du Mercosur, et j'ai déjà commencé à en discuter avec leurs représentants, bilatéralement et en format multilatéral.

Avec l'Afrique et nos autres voisins, nos échanges sont déjà importants, mais je pense qu'il faut aller plus loin. C'est le but du sommet à venir entre l'Afrique et l'Union européenne. L'idée est de travailler à un partenariat commercial d'égal à égal.

Pour conclure, nous avons déjà pris beaucoup de mesures pour soutenir la relance en Europe, et nous voulons travailler à une politique commerciale qui soit à la hauteur des enjeux.

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