Intervention de Olivier Véran

Réunion du 17 décembre 2020 à 10h30
Place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l'épidémie de covid-19 — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Olivier Véran  :

Mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient en effet de m’exprimer ce matin devant vous en raison du motif évoqué par le président Larcher : le Premier ministre est susceptible d’être cas contact du covid-19. J’ajoute que l’Élysée vient d’annoncer que le Président de la République a été diagnostiqué positif au coronavirus. Permettez-moi, par conséquent, de commencer mon intervention en ayant une pensée particulière à leur égard.

Vous le savez, notre pays affronte la pire crise sanitaire qu’il ait connue depuis un siècle. Loin de perdre en intensité, le virus continue à progresser. La situation sanitaire reste préoccupante, et nous avons atteint depuis une dizaine de jours un plateau, qui se situe malheureusement à un niveau ne permettant pas encore de garantir une pleine maîtrise de la circulation virale, alors même que les fêtes de fin d’année approchent.

La deuxième vague n’est pas derrière nous. Aussi, la prudence et la vigilance devront rester de mise pendant de longues semaines encore.

L’arrivée du vaccin et le lancement dans notre pays de la campagne vaccinale dans les toutes prochaines semaines constituent cependant un grand motif d’espoir. Le Gouvernement a souhaité préciser au Parlement les fondements de notre stratégie vaccinale et ses modalités de mise en œuvre, mais aussi la façon dont il l’intègre à son dispositif global de lutte contre le virus.

Il est essentiel que nous puissions, ensemble, engager un débat constructif sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle, au-delà de cette séance, un cadre de dialogue pérenne a été installé, avec la mise en place d’un comité permanent comprenant les présidents de chacune des assemblées et les présidents de l’ensemble des groupes parlementaires.

Comme je le disais, l’arrivée du vaccin est une étape très importante. Elle peut offrir la solution à même de protéger durablement de ce virus la population française, et même la population mondiale. Nous l’espérons tous.

Je sais que nous serons collectivement à la hauteur. Depuis le début de cette crise sanitaire, le Sénat a été une force motrice. Les territoires, les collectivités territoriales, les élus locaux ont, eux aussi, été en première ligne face à la détresse de nos concitoyens.

Dès le printemps dernier, la France a pris l’initiative de demander la création d’une task force européenne capable de constituer une seule force d’achat, de façon à peser dans les négociations et à éviter une compétition nécessairement contre-productive entre les pays européens.

Aujourd’hui, les résultats sont là : nous avons précommandé près de deux cents millions de doses, permettant de vacciner jusqu’à cent millions de personnes. En effet, vous le savez, la plupart des vaccins exigent deux injections.

À ce stade, les vaccins les plus avancés sont ceux de Pfizer-BioNTech et de Moderna. D’autres vaccins se situent en phase 3 des essais cliniques et pourraient être disponibles dans les mois qui viennent.

La stratégie vaccinale n’a pas été construite ex nihilo. Elle s’appuie sur les recommandations de la Haute Autorité de santé, la HAS, relatives à la stratégie visant à fixer les priorités quant aux populations à vacciner contre le covid. Elle comporte plusieurs étapes, dont la prochaine doit commencer très prochainement.

Comme l’a indiqué le Premier ministre hier, nous espérons réaliser les premières vaccinations d’ici à la fin du mois de décembre, peu de temps après Noël, si les avis des autorités sanitaires indépendantes nous le permettent. Le démarrage de cette campagne vaccinale s’inscrira dans un cadre européen de coopération.

Cette première étape vise un public dont nous savons qu’il est prioritaire parce qu’il est plus vulnérable, plus fragile et plus exposé face à la maladie : les personnes âgées qui vivent en hébergement collectif, que ce soit dans les Ehpad, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les résidences services, les résidences seniors ou les unités de soins de longue durée à l’hôpital.

Protéger nos aînés qui sont en perte d’autonomie, c’est aussi sauvegarder les femmes et les hommes qui prennent soin d’eux, lorsqu’ils présentent eux-mêmes un risque au regard de la maladie, que ce soit du fait de leur âge ou de la présence d’une comorbidité. À ce stade, la Haute Autorité de santé recommande donc de vacciner tous les soignants des établissements dont je viens de parler qui ont plus de 65 ans ou qui présentent une comorbidité.

Des précisions seront fournies dans un avis complémentaire de la HAS sur les autres structures qui accueillent des personnes âgées et qui, sans être spécialisées dans l’accueil de ces dernières, pourraient également être concernées par cette première étape.

La population en question compte environ un million de personnes, ce qui montre bien le très grand défi que nous devons relever.

Cette première étape sera décisive, mais les personnels des établissements pour personnes âgées ne seront pas seuls pour la franchir – je m’y engage. Ils seront informés à l’avance et les Agences régionales de santé, les ARS, se tiendront à leurs côtés pour que l’approvisionnement se déroule dans les meilleures conditions. Nous les accompagnerons, comme nous le faisons déjà – c’est ce à quoi s’attache la ministre déléguée chargée de l’autonomie, Brigitte Bourguignon.

Pour cette étape, nous avons fait un choix essentiel, que j’assume pleinement, celui de l’information claire, loyale et appropriée. Nous devrons nous assurer que cette information aura été correctement donnée aux personnes susceptibles d’être vaccinées et que le consentement de ces personnes aura été recueilli.

Si une personne, notamment en Ehpad, n’est pas suffisamment autonome pour exprimer clairement son consentement, nous demanderons aux équipes soignantes de ces établissements de rechercher le consentement de la famille. Cela prendra forcément un peu de temps, chacun peut le comprendre.

Dès que nous aurons les recommandations de vaccination, une instruction sera envoyée à l’ensemble des directeurs des établissements pour personnes âgées – il y en a plus de dix mille – pour leur demander de commencer, dans des délais raisonnables, le recueil du consentement et la consultation médicale prévaccinale.

Ainsi, aucune personne ne se verra injecter un vaccin sans ces trois éléments : premièrement, avoir bénéficié d’un check-up médical permettant de vérifier qu’il n’y a pas de contre-indication ; deuxièmement, avoir été clairement informé ; troisièmement, avoir donné son consentement.

Personne ne se verra imposer la vaccination ni dans les Ehpad ni ailleurs dans le pays. C’est le choix que nous avons fait. Ce n’est pas forcément celui qui a été fait dans tous les pays, mais nous l’assumons, et je suis certain que vous y serez sensibles.

La deuxième étape de la vaccination dépendra évidemment du rythme de livraison des différents vaccins. Nous savons que certains laboratoires ont pris du retard par rapport au programme qu’ils avaient envisagé, notamment pour aller au bout de la phase 3 des essais cliniques.

En fonction de l’arrivée des doses de vaccin, nous élargirons progressivement le public pouvant bénéficier en priorité de la vaccination. Les choses se dérouleront en médecine de ville, en lien direct avec les médecins traitants et les autres soignants et avec l’appui, fondamental, des pharmaciens.

Cette étape concernera tout d’abord les personnes âgées de 75 ans et plus, puis celles de 65 ans et plus, ensuite les professionnels de santé du secteur sanitaire et médico-social âgés de 50 ans et plus et/ou présentant des comorbidités.

Après l’hiver, viendra le printemps. Nous entrerons alors dans une troisième étape, en élargissant le public bénéficiaire de la vaccination à l’ensemble de la population majeure.

Les choses se feront progressivement : les personnes âgées de 50 ans et plus, les professionnels des secteurs essentiels au fonctionnement du pays en période épidémique – la sécurité, l’éducation ou encore l’alimentation –, les personnes vulnérables et précaires, ainsi que les professionnels qui les prennent en charge, les personnes vivant dans des hébergements confinés ou des lieux clos, puis le reste de la population majeure.

Pourquoi vacciner prioritairement une personne de 70 ans résidant en Ehpad, plutôt que quelqu’un de 90 ans qui est resté à domicile ? J’entends parfois cette question et je souhaite lever toute incompréhension.

La raison de cette différence est fournie par la Haute Autorité de santé, qui estime que le risque est plus élevé dans un hébergement collectif. Nous savons maintenant par l’expérience et le recul que, lorsque le virus réussit à entrer dans un hébergement réunissant de nombreuses personnes fragiles, parfois une centaine, il touche beaucoup de résidents, et le nombre de morts est élevé. Voilà pourquoi nous donnons la priorité aux hébergements collectifs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes bel et bien entrés dans l’organisation de la campagne vaccinale. C’est une véritable épreuve logistique, tant l’échelle est sans comparaison avec nos habitudes en la matière.

Nous commencerons cette campagne en utilisant le premier vaccin mis à notre disposition, le fameux Pfizer-BioNTech, sous réserve de l’obtention de l’autorisation européenne de mise sur le marché, qui devrait intervenir le 21 décembre, si tout se passe bien.

Après cette autorisation de mise sur le marché, la Commission européenne rendra un avis – ce sera probablement le 23 décembre –, puis le comité technique de la vaccination de la Haute Autorité de santé pourrait fournir un avis pour la France entre le 24 et le 27 décembre. Nous commencerons alors sans délai la campagne vaccinale.

La Haute Autorité de santé précisera les indications et les contre-indications, individuelles et collectives, en fonction des données scientifiques à sa disposition.

Je souhaite d’ailleurs préciser à ce stade de notre débat que ce n’est pas le Gouvernement qui met au point le vaccin, pas plus qu’il n’aurait, comme on peut le lire sur certains réseaux sociaux, créé ce virus…

Ce n’est pas le Gouvernement qui détermine la cible vaccinale ou qui choisit un vaccin plutôt qu’un autre. Notre rôle, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est de faire en sorte que les choses se passent bien et en conformité avec les données factuelles et éclairées issues de la science. Notre objectif, c’est de donner le bon vaccin au bon patient au bon endroit et au bon moment !

La chaîne logistique est monumentale pour le vaccin Pfizer, et je veux vous en dire quelques mots.

Elle est monumentale, parce que ce vaccin doit être conservé à –80 degrés Celsius. Je souhaite remercier l’ensemble des personnes, notamment les responsables de collectivités locales ou de laboratoires vétérinaires, qui nous ont informés qu’ils disposaient de moyens de stockage de cette nature ; je pense par exemple au directeur du port de Sète, Jean-Claude Gayssot.

Toutefois, en réalité, il ne suffit pas de stocker ce vaccin dans un congélateur à –80 degrés Celsius. Il faut aussi que le congélateur en question soit qualifié, calibré, équipé, sécurisé et doté de son propre système d’information, pour que nous soyons certains que la chaîne du froid ne soit jamais interrompue.

Le vaccin Pfizer-BioNTech est composé de ce qu’on appelle des brins d’ARN messager, qui sont extrêmement fragiles et sensibles aux variations de température et au transport, à telle enseigne que, une fois le produit décongelé, nous ne disposons que de douze heures pour le transporter, faute de quoi les brins d’ARN messager pourraient être abîmés et le vaccin moins efficace.

Nous devons donc conserver ce vaccin à –80 degrés Celsius dans des conditions de sécurité absolument drastiques : je le répète, une fois décongelé, le vaccin ne peut être transporté plus de douze heures et nous ne disposons que de cinq jours pour l’administrer. Or cette chaîne logistique comprend naturellement plusieurs étapes : centre de stockage, pharmacie, établissement, etc.

La contrainte est d’autant plus importante que nous devons planifier la première étape de vaccination sur plus de dix mille sites, comme je le disais tout à l’heure.

Pour relever ce défi, nous avons fait le choix de la compétence et de la connaissance, en nous appuyant sur les pharmaciens et les circuits logistiques de transport de médicaments sensibles et en renforçant encore la sécurisation de toutes les étapes, partout où cela faisait sens.

Comme je le disais, le vaccin de Pfizer-BioNTech doit être administré en deux injections pour être pleinement efficace. Une consultation prévaccinale et le recueil du consentement précèderont la première injection et la seconde interviendra entre dix-huit et vingt-trois jours après.

Lors du premier passage dans un Ehpad, il est possible que certaines personnes ne puissent pas ou ne veuillent pas être vaccinées. Si les circonstances évoluent ou qu’elles changent d’avis, par exemple si le recul leur permet d’être rassurées, elles pourront être vaccinées lors du deuxième passage, si bien qu’un troisième passage sera peut-être nécessaire pour injecter à ces dernières personnes une seconde injection. Ce simple exemple montre bien les difficultés logistiques de cette campagne vaccinale.

Pour éclairer le débat et renforcer la confiance, nous avons une responsabilité collective : nous devons bien sûr balayer toutes les contre-vérités qui se font jour ici ou là, mais nous devons aussi apporter une information claire, loyale et appropriée – c’est l’expression que nous utilisons en médecine –, pour que chacun puisse saisir pleinement les enjeux de cette vaccination.

À ce stade, que savons-nous et qu’ignorons-nous sur le vaccin Pfizer-BioNTech ? Il est issu d’une start-up allemande, qui a conclu un partenariat avec un groupe pharmaceutique américain pour pouvoir produire plus massivement dans le monde. Le site de production des vaccins qui seront distribués aux Français est situé en Belgique, donc pas très loin de chez nous.

Je le disais, c’est un vaccin à ARN messager : cette méthode de vaccination est assez innovante, et nous espérons qu’elle pourra également être utilisée à l’avenir pour des traitements contre le cancer.

L’ARN messager est comme une petite partition qui entre dans la cellule et qui est traduite en une ou plusieurs protéines, sans qu’il s’agisse de reconstituer le virus. Ces protéines permettent d’engager une réaction et de sensibiliser les cellules du système immunitaire et sont ensuite détruites. Il reste uniquement une mémoire immunitaire : si, à un moment donné, le virus tape à la porte d’une cellule, le système immunitaire, qui est alors équipé pour cela, le reconnaît comme un intrus et l’empêche d’entrer. Voilà le mécanisme de ce vaccin.

Les études dont nous disposons actuellement montrent que ce vaccin protège les cellules des poumons, ce qui est un élément important, puisque les cas graves de la maladie, ceux qui mènent les patients en réanimation, sont des formes pulmonaires, respiratoires, très sévères.

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