Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 17 décembre 2020 à 10h30
Place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l'épidémie de covid-19 — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Il y a beaucoup d’autres bonnes nouvelles en ces temps de morosité où, en plus, les jours raccourcissent : les progrès impressionnants des équipes médicales, qui ont divisé par deux les décès en réanimation ; le financement européen commun d’un plan de relance de 750 milliards d’euros ; la résistance de nos sociétés, notamment de la nôtre, qui a été confrontée à une triple crise, sanitaire, économique et terroriste, mais qui ne craque pas. Toutefois, ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.

J’en viens aux nouvelles plus préoccupantes, la première étant que nous sommes loin d’en avoir fini avec l’épidémie. Lors du premier discours du Premier ministre, ici, en juin, je lui avais dit qu’il s’était vu confier « un job à 10 000 aspirines ». C’était peut-être en dessous de la réalité.

La course de vitesse a commencé, entre la probabilité d’une troisième vague, qu’il faudra réussir à maîtriser, et l’arrivée de l’immunité collective, avec l’aide du vaccin, qu’il faudra réussir à assurer.

Les mois qui viennent seront le véritable crash test de l’épidémie pour le Gouvernement, qui sera jugé sur son issue, et pour tous les Français, qui sauront à la fin s’ils font encore partie des nations qui résistent et réussissent ou des nations déclassées et reléguées en deuxième division.

Le premier acte de la pandémie fut, mondialement, une immense surprise, une immense incompréhension et une immense pagaille, sauf pour les pays asiatiques déjà confrontés au problème dans le passé. Cet acte s’est terminé par la solution la plus drastique, mais la plus coûteuse à tous points de vue, à savoir le confinement strict.

Le deuxième acte a commencé par le déconfinement de l’été. Nous avions fait beaucoup de progrès – nous avions les gestes barrières, les masques, les tests et la stratégie « tester, tracer, isoler » –, mais nous n’avons pas réussi à la contenir sur le terrain. La conséquence en fut le deuxième confinement.

Le troisième acte commence aujourd’hui. Si nous voulons le réussir, il faut identifier nos points faibles, et j’en vois deux principaux.

L’isolement, tout d’abord, qui divise la France en deux camps : obligatoire ou non. Posée en ces termes, la question n’a pas de solution. Entre l’isolement laissé au gré de chacun, qui aboutira au même résultat qu’en octobre dernier, et l’isolement obligatoire, qui conduira nombre de nos concitoyens à refuser les tests, la solution est un isolement réellement accompagné, avec des équipes allant à domicile et de réelles possibilités d’accueil pour ceux qui ne peuvent rester chez eux. Votre déclaration et l’annonce de moyens humains accrus montrent que vous l’avez compris.

C’est sur l’action que portent mes craintes. La coordination nécessaire entre tant d’acteurs, à savoir hôpitaux publics, privés, soignants libéraux, laboratoires et collectivités territoriales, n’a jamais pu être réellement assurée jusqu’à ce jour par une administration de la santé effondrée sous son propre poids et multipliant les injonctions contradictoires.

« Un mauvais général vaut mieux que deux bons ! » disait Napoléon. Il y a beaucoup de choses que les Français croient que le monde nous envie, mais que le monde ne nous envie pas du tout. Vous avez là un énorme défi à relever.

Le second défi est la logistique, pour acheminer les vaccins jusqu’à leurs destinataires. Je disais tout à l’heure que nous sommes en rupture de stock de vaccins antigrippe. Si l’État ne peut éviter qu’un vaccin bien connu, annuel, facile à conserver, soit absent des pharmacies depuis un mois, vous comprendrez mes inquiétudes sur sa capacité à assurer la logistique d’un vaccin produit à flux tendu, conservé à –80 degrés Celsius et commandé au même moment par le monde entier.

Ma crainte n’est pas que les Français ne veuillent pas se faire vacciner ; elle est qu’ils ne puissent pas le faire. Voilà votre second défi, monsieur le ministre, et je vous souhaite de tout cœur d’arriver à le relever, et il va vous falloir encore bien des boîtes d’aspirine.

Cette année se termine sur une note amère, entre le deuil de ceux qui nous ont quittés, le désespoir de ceux qui ont perdu leur travail ou qui vont le perdre, l’angoisse des acteurs du monde de la culture, de la restauration, du tourisme et de bien d’autres qui n’ont qu’une envie, reprendre leur activité, mais qui ne peuvent le faire.

La France déprime, et c’est bien compréhensible, mais nous serions mal avisés d’en rester à ce constat, et surtout de le noircir encore. Le Time, premier magazine d’information américain, titre cette semaine : « La pire année de l’histoire ». C’est faux ! Pensons à ceux qui étaient dans les tranchées de Verdun à 18 ans, à ceux qui ont eu 20 ans en 1940.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion