Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un an que le SARS-CoV-2 est apparu en Chine. La diminution des espaces naturels et le rapprochement des habitations humaines des populations d’animaux sauvages sont vraisemblablement responsables de cette pandémie, qui a mis sens dessus dessous les sociétés mondiales.
Voilà un an que nos vies ont été profondément bouleversées par ce virus, sur lequel on a tant écrit et sur le lequel on sait encore si peu de choses. Il est encore tôt pour tirer les conséquences de cette pandémie, qui est toujours notre quotidien, mais aussi notre horizon.
Cet horizon, depuis le premier confinement, seul un hypothétique vaccin semblait en mesure de nous permettre de le dépasser. Il y a un mois, alors que le Président de la République envisageait encore un vaccin à l’été, deux laboratoires annonçaient assez soudainement des résultats très encourageants, reposant sur une méthode révolutionnaire : des vaccins génétiques s’appuyant sur l’ARN messager.
Alors que la Haute Autorité de santé, la HAS, et l’Agence européenne des médicaments n’ont pas encore validé les résultats des laboratoires, des milliards de doses ont déjà été commandées par les pays européens, partout dans le monde. Vous préparez déjà la vaccination massive des Français au 1er semestre 2021. Nos voisins outre-Manche n’ont même pas attendu l’avis de l’Agence européenne et ont déjà commencé leur campagne de vaccination…
Il faut dire que l’impatience est grande. Le vaccin est une lumière au bout du tunnel, l’espoir du retour à la normale, de la sortie du confinement, de la réouverture de tous les lieux de convivialité, de tous les lieux culturels et sportifs, du retour au lien social. Un troisième confinement est une perspective épouvantable d’un point de vue humain, d’un point de vue psychologique, d’un point de vue économique et social, d’un point de vue financier, d’un point de vue global…
Monsieur le ministre, vous jonglez avec les injonctions contradictoires, cherchant le bon chemin pour sortir du maquis ; nous le savons.
Il n’en demeure pas moins que tout ceci est vertigineux. On s’apprête à inoculer à des milliards d’êtres humains un vaccin révolutionnaire, produit dans un temps record, avec des essais cliniques largement raccourcis, le tout pour prévenir une maladie que nous connaissons encore mal.
Même si le ratio bénéfices-risques des vaccins sur le marché justifie largement la stratégie de vaccination rapide que vous nous proposez, les raisons de l’inquiétude sont légitimes, et il ne faut surtout pas les balayer du revers de la main.
Ainsi, 60 % de nos compatriotes n’envisagent pas de se faire vacciner. Au pays de Pasteur, une telle enquête fait frémir, et il faut absolument en envisager toute la portée, car aucune des stratégies de vaccination que vous pourrez imaginer ne fonctionnera sans l’assentiment des Françaises et des Français.
Vous tentez de répondre aux inquiétudes en instaurant ce conseil citoyen, présidé par l’incontestable Alain Fischer. Le Sénat s’est ému, à juste titre, de la multiplication des structures ad hoc pour organiser les solutions face à la crise, mais, pour le coup, la défiance étant telle, à votre endroit comme au nôtre, qu’une instance citoyenne semble indispensable pour reconstruire un tant soit peu de confiance – à condition de ne pas la substituer à la représentation nationale, bien sûr.
Tel ne semble pas être le cas, puisque vous sollicitez le Parlement en amont, et nous saluons cette évolution, comme nous saluons la multiplication des réunions d’information et de concertation. Il faut poursuivre dans cette voie.
En matière de confiance, la transparence est le maitre mot, et je fais miennes les recommandations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : publier sur une plateforme unique en version complète, comme en version synthétique, l’intégralité des informations disponibles sur tous les vaccins proposés ; prévenir tout conflit d’intérêts, en rendant obligatoire la publication de la déclaration d’intérêts de toutes celles et tous ceux qui officient à l’élaboration et au déploiement de la stratégie vaccinale.
J’en ajouterai une troisième, indispensable : la publication des contrats signés par l’Union européenne avec les laboratoires pharmaceutiques.
Cependant, reconstruire la confiance dans un temps si court ne passera, hélas, certainement pas uniquement par les pouvoirs publics. Tout au plus, en agissant ainsi, vous pouvez éviter d’aggraver la défiance.
Reconstruire la confiance passera par les liens humains, par les médecins généralistes et, demain, on l’espère, par les pharmaciens. Tant que le vaccin, celui de Pfizer pour ne pas le nommer, nécessitera une telle logistique et une telle chaîne du froid, malheureusement, il sera difficile de s’appuyer sur ces relais de proximité en lesquels nos concitoyennes et nos concitoyens ont confiance, mais il est indispensable, et vous avez bien cet élément en tête, de les associer au plus tôt.
Reconstruire la confiance, c’est également assurer le respect absolu du consentement en manière vaccinale. À cet égard, les efforts que vous prévoyez, notamment pour les pensionnaires des Ehpad, nous semblent aller dans le bon sens.
Globalement, la stratégie que vous nous proposez, notamment son phasage, nous apparaît bien calibrée. Nous vous invitons à ne pas précipiter les choses, si d’aventure les conclusions de l’Agence européenne et de la HAS étaient mitigées, ou si vous rencontriez des difficultés logistiques à même de perturber le lancement de la première phase.
Cette stratégie de phasage permettra de cibler les publics et de se prémunir d’une pénurie, comme nous en connaissons actuellement avec le vaccin de la grippe.
Par ailleurs, sur recommandation, notamment de l’épidémiologiste Alfred Spira, nous vous demandons de bien vouloir permettre, dès la première phase, la vaccination de certains publics particulièrement fragiles et exposés : les personnes vivant en foyer de travailleurs migrants. Il s’agit de personnes souvent âgées, présentant une forte fragilité sanitaire et de fréquents problèmes de vulnérabilité psychique. En situation de séjour régulier, elles connaissent pourtant d’importantes difficultés financières, vivent en collectivité et dans une grande promiscuité.
Il faut évoquer également les personnes porteuses d’affections psychiatriques chroniques vivant en institution de moyen et long séjour, particulièrement fragiles et fortement touchées matériellement et socialement par la crise.
Nous vous demandons en outre d’envisager la vaccination, dès la deuxième phase, des personnes précaires, fragiles sanitairement et socialement, cibles et vecteurs importants du virus, dont la vaccination est actuellement prévue en troisième phase. Il paraît cohérent de les vacciner, s’ils le souhaitent, dès la deuxième phase, à la même période que les professionnels des secteurs de la santé et du médico-social qui les suivent.
Enfin, nous saluons votre décision de prendre en charge intégralement le coût des vaccins. Nous vous demandons en complément de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les personnes les plus précaires n’aient pas de frais à avancer.
Nous n’avons encore que très peu de recul sur ces vaccins, mais ils semblent protéger efficacement les personnes les plus exposées à la violence du virus, sans présenter de risques ou d’effets secondaires handicapants. La transparence doit bien sûr toujours rester de mise.
Cependant, ce vaccin n’est pas le bout du tunnel que je décrivais tout à l’heure. Nous n’avons encore aucune certitude sur le fait qu’il bloque totalement la transmission du virus. Aussi, s’il permet, comme nous le souhaitons, aux secteurs les plus touchés par les mesures de confinement de reprendre progressivement leur activité, il ne doit surtout pas apparaître comme un « totem d’immunité », pour reprendre vos mots, monsieur le ministre.
Le chemin est encore long pour sortir de cette épreuve et, pourtant, nous avons terriblement besoin de retrouver un peu de nos vies en dehors de l’activité économique. C’est votre défi, dans la période qui s’ouvre : reconstruire cette confiance ; rééquilibrer les mesures coercitives qui perdureront ; contraindre davantage le travail pour permettre la reprise des autres activités humaines.
Dans cette période incertaine, notre population est épuisée et a besoin de perspectives rapides, d’oxygénation mentale, que le vaccin n’apportera pas dans un futur proche. Il faut permettre de supporter l’incertitude. Comme le dit Edgar Morin, « l’incertitude contient en elle le danger, et aussi l’espoir. »