L’organisation de ce débat sur la place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l’épidémie de covid-19 nous permet de prolonger les interrogations issues des travaux de la commission d’enquête du Sénat sur la crise sanitaire.
Alors que la pandémie de covid-19 a bouleversé la vie de toutes et de tous, l’arrivée de vaccins contre le virus est une excellente nouvelle.
Cette nouvelle étape dans la lutte contre la covid-19 s’inscrit dans la stratégie définie, le 24 novembre dernier, par le Président de la République, Emmanuel Macron : « Tester, alerter, protéger, soigner. » Reste à conquérir l’adhésion de la population, sachant que seulement 41 % des Françaises et des Français auraient l’intention de se faire vacciner, selon un sondage de l’IFOP, l’Institut français d’opinion publique, pour Le Journal du dimanche.
Convaincus des bienfaits de la vaccination, nous partageons, monsieur le ministre, les recommandations de la HAS, qui n’est pas favorable à une vaccination obligatoire. Nous pensons en effet qu’il faut privilégier l’intelligence humaine sur les mesures coercitives qui seraient contre-productives.
Il faut donc engager des moyens pour une véritable campagne de prévention sur la vaccination et associer les citoyennes et les citoyens aux décisions politiques.
Les multiples scandales sanitaires – le Mediator, la Dépakine, le Distilbène, l’hormone de croissance, le sang contaminé et l’Isoméride, pour ne citer que quelques exemples – ont entraîné une méfiance d’une partie de la population envers les médicaments et les industriels.
Comment peut-il en être autrement quand on voit les grandes puissances rafler plus de 6 milliards de doses de vaccins et n’en laisser que 500 millions pour le reste du monde ? Nous sommes non pas dans la coopération, mais dans la concurrence et le chacun pour soi !
Comment peut-il en être autrement quand les contrats commerciaux avec les Big Pharma sont totalement couverts par le secret des affaires ?
Comment peut-il en être autrement quand règne une véritable opacité sur le prix auquel l’Union européenne achète ses stocks de vaccins ?
La transparence doit s’imposer à tous les niveaux, y compris pour la composition des vaccins. La course contre le virus ne doit pas nous faire perdre de vue la sécurité sanitaire. Nous soutenons l’engagement de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de publier, chaque semaine, un rapport sur les effets secondaires et indésirables signalés sur le vaccin.
Afin de rassurer nos concitoyennes et nos concitoyens, nous vous suggérons, monsieur le ministre, de mettre en place un dispositif de vaccinovigilance consolidé.
La stratégie vaccinale prévoit deux circuits de distribution : une centaine d’hôpitaux répartis dans chaque département et cinq plateformes nationales équipées de super-congélateurs.
On nous dit que les généralistes auront un rôle pivot ; encore faudrait-il qu’ils possèdent les équipements nécessaires pour conserver les vaccins ! En effet, ni les hôpitaux, ni les Ehpad, ni les grossistes répartiteurs ne sont actuellement tous équipés de super-congélateurs, tant s’en faut. Selon notre groupe, l’achat de ces congélateurs doit se faire sur le budget de l’État et non sur celui de la Sécurité sociale ou des établissements eux-mêmes.
Depuis l’annonce de l’arrivée des premières doses au début de 2021, une question se posait : quelles populations seraient prioritaires ? La HAS a tranché, en proposant cinq phases vaccinales, ce qui paraît adapté à la situation. Néanmoins, je souhaiterais vous faire part de plusieurs interrogations.
Premièrement, dispose-t-on de suffisamment de personnel pour réaliser la vaccination ? Pourquoi ne pas envisager d’élargir le cercle des professionnels habilités à vacciner, pour cette vaccination-ci, au-delà des seuls généralistes ?
Deuxièmement, quelle sera la capacité du laboratoire Pfizer à livrer la France, notamment pour la deuxième phase, qui concernera 15 millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, au mois de mars prochain ? Le Wall Street Journal a récemment annoncé que les objectifs de livraisons du laboratoire Pfizer ont été divisés par deux. Où en est-on, monsieur le ministre ?
Troisièmement, les 2 milliards d’euros prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 pour la stratégie vaccinale seront-ils suffisants ? Le coût de chaque dose du vaccin Pfizer est de 33 euros, qu’il faut multiplier par 50 millions de Françaises et de Français majeurs. Une seule injection représente donc déjà un coût proche de 1, 7 milliard d’euros pour l’assurance maladie, alors qu’il en faut deux.
Quand on sait que le groupe pharmaceutique AstraZeneca a annoncé vendre son vaccin au prix coûtant de 4 euros, on peut s’interroger sur la portée des paroles d’Emmanuel Macron considérant que le vaccin contre la covid-19 est un bien commun de l’humanité, vendu à prix coûtant.
À cet égard, je voudrais rappeler l’initiative citoyenne européenne portée par une large coalition de syndicats, d’ONG, de militantes et militants politiques, d’associations étudiantes et d’experts de la santé, qui vise à recueillir un million de signatures pour obtenir un accès équitable aux futurs vaccins et autres traitements pour toutes et tous en Europe et dans le monde, et pour lever l’opacité des négociations entre l’Union européenne et les laboratoires pharmaceutiques. On peut résumer cette campagne par la formule « ni profits ni monopoles sur la pandémie ».
Je regrette vivement que le Sénat ait rejeté, la semaine dernière, notre proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux. C’était l’occasion de s’appuyer sur un outil public de production et de distribution des médicaments, ainsi que des vaccins à l’échelle nationale, mais aussi européenne. En ce sens, l’une des recommandations formulées par l’Opecst, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans son rapport sur la stratégie vaccinale – prévenir et lutter contre les conflits d’intérêts – nous paraît particulièrement importante.
Je veux enfin attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la stratégie de certains grands laboratoires, dont Sanofi : tout en recevant des fonds publics, ce laboratoire affaiblit au fil des ans ses activités de recherche et développement sur des thématiques essentielles, comme les nouveaux antibiotiques, les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, le diabète, ou encore les troubles cardiovasculaires. Cette stratégie nous interroge et ne manque pas d’entraîner un trouble en ce qui concerne le retard pris dans l’élaboration du vaccin Sanofi-Pasteur.
En conclusion, si le vaccin n’est pas la solution miracle, c’est une pierre importante dans le combat que nous menons contre la pandémie. Aussi, ne manquons pas ce rendez-vous, mais tirons des leçons de ce que nous avons vécu avec les masques ou les tests ! C’est le vœu que nous formulons, me semble-t-il, sur toutes les travées de cette assemblée.