En effet, comment expliquer que, pour faire face aux dépenses de la vie courante, des ménages salariés soient contraints de souscrire des crédits de cette nature, parfaitement non affectés et dont le coût consomme une part importante de leurs ressources ?
Pour en revenir au départ, précisons d’emblée que cela provient largement de la modicité et de la faiblesse des ressources des ménages.
Des années de modération salariale, fortement encouragées par des politiques publiques malthusiennes, font sentir leurs effets aujourd’hui. Un salarié sur sept est actuellement payé au SMIC. Comme les dépenses liées au logement ont dans le même temps progressé pour devenir le premier poste budgétaire des ménages, ce qui reste se révèle bien souvent insuffisant pour faire face au quotidien.
Mais il n’y a pas que cela.
Il y a également une forme de « mal-croissance » de l’économie, largement fondée sur la sollicitation des besoins, sur l’agressivité de la publicité et sur les pratiques commerciales de fidélisation de la clientèle, c’est-à-dire sur tout un ensemble de stratégies de marchandisation qui appellent, en corollaire, la pratique généralisée du crédit.
Dans nombre de grandes enseignes de la distribution de notre pays – en fait, dans toutes –, on peut aujourd’hui disposer d’une carte de fidélité qui est en réalité – cela a déjà été souligné – une carte de crédit, puisqu’elle consiste à faire en sorte que le paiement de la baguette de pain ou du kilo de pommes de terre devienne objet de crédit !
Ne parlons pas plus longuement des méthodes consistant à proposer systématiquement des crédits gratuits aux clients des magasins d’ameublement ou de matériel informatique, méthodes qui permettent juste aux enseignes de transférer les données personnelles du client à l’organisme de crédit – lui n’est pas gratuit ! – avec lequel elles ont l’habitude de « travailler ». Cela vaut évidemment audit client de recevoir par toutes les voies possibles – courrier postal, internet ou relances téléphoniques – des messages réguliers à caractère informatif, avec pour seul objectif de l’amener à souscrire un nouveau prêt pour acquérir un bien meuble plus « consistant ».
De fait, le crédit est devenu un élément pivot des pratiques de vente de nombre d’acteurs du secteur commercial. Dès lors, on peut presque se demander s’il n’est parfois pas plus essentiel que la diffusion et la distribution des produits matériels ou des services, c’est-à-dire la raison d’être de ces acteurs.
Combinée à des pratiques d’approvisionnement qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la préservation de la planète, une telle contamination des activités commerciales par l’usage abusif du crédit amène pratiquement au pire des modèles de développement économique, sans parler des conditions léonines imposées à la sous-traitance et aux fournisseurs, dont l’actuel conflit sur les produits frais, notamment les produits laitiers, est une illustration.
Il est grand temps que les pratiques agressives et souvent assez peu responsables des grandes enseignes commerciales en matière de crédit soient un peu plus réglementées. Ce texte, s’il est correctement rédigé, peut y contribuer.
Nous ne pouvons pas laisser des ménages s’endetter simplement parce qu’ils ont dans leur portefeuille une carte de fidélité qui s’apparente parfois à une carte d’embarquement pour l’enfer de l’endettement ou telle ou telle carte « privilège » privilégiant seulement la rentabilité de celui qui la distribue !
Il faut également s’interroger sur le surendettement lié à la pratique de taux d’intérêt particulièrement élevés.
Pour le moment, les règles déontologiques en matière de crédit à la consommation, que le présent projet de loi entend renforcer, ne portent pas sur le niveau des taux d’intérêt pratiqués.
Un tel manquement se relève immédiatement dans certaines publicités alléchantes, qui évoquent des taux particulièrement bas, et même parfois nuls, mais pour de courtes périodes suivies d’un retour immédiat aux taux les plus élevés possible, sans espoir de rétractation.
Une telle démarche nécessite de soulever quelques questions. Comment justifier que le crédit à la consommation soit assorti d’un taux de 15 % à 20 %, ce qui est énorme au regard des sommes empruntées, même si cela représente peu en montant nominal, sachant que 93 % des crédits accordés ne donnent lieu à aucune difficulté de paiement et de remboursement et que le risque de créance irrécouvrable semble devoir porter sur seulement 2 % des cas ? Comment se constituent, se structurent de tels taux d’intérêt ? En vertu de la rémunération ou de la prévention de quels risques de telles pratiques voient-elles le jour ?
Avec la crise, les taux bancaires ont connu une sensible décrue, à commencer par le taux directeur de la Banque centrale européenne, qui s’établit aujourd’hui à 1 %.
Les banques françaises trouvent aujourd’hui de telles conditions de refinancement qu’elles utilisent de moins en moins la « réserve d’argent » disponible – vous voyez que le crédit cher n’est pas forcément une bonne chose – constituée par les ressources de la Société de financement de l’économie française, laquelle a pourtant été dotée d’une capacité de 320 milliards d’euros par le collectif budgétaire du mois d’octobre dernier.
Mais les crédits à la consommation, qui sont diffusés par des services spécialisés étroitement liés aux établissements bancaires, continuent de surfer sur des vagues de taux d’intérêt particulièrement élevés.
Ces taux finissent évidemment par poser problème aux ménages confrontés, eux, au gel du traitement des fonctionnaires et à la modération salariale dans le secteur privé, doublés de la généralisation des périodes de chômage technique. Cela pèse en outre sur la croissance : la consommation populaire ne peut plus venir autant au secours d’exportations défaillantes ou du ralentissement de l’investissement dans les entreprises.
Si le crédit est nécessaire à l’activité économique, il ne peut pas avoir vocation à la « vampiriser », au risque de voir son coût absorber une part croissante de la richesse créée par le travail de la valeur ajoutée produite.
Revenir à une situation plus conforme aux intérêts du pays et de ses salariés impose d’aller plus loin que ne le fait ce texte dans la responsabilisation et la maîtrise d’un tel outil de financement de l’économie.
Nous avons fait le choix de déposer sur le texte un nombre relativement important d’amendements, largement inspirés par les réflexions et l’action des associations de défense des consommateurs et répondant aux préoccupations que nous avions nous-mêmes au départ.
Notre vote final dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements et de la manière dont le projet de loi sera finalement rédigé. Mais notre position a priori n’est nullement favorable à ce texte, qui nous semble largement insuffisant. §