Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé : nos collègues de l’Assemblée nationale ont fini d’examiner le projet de loi de finances cette nuit, à cinq heures quarante.
La commission mixte paritaire, qui s’est réunie mercredi 9 décembre dernier, n’a pu aboutir favorablement, compte tenu de divergences trop importantes sur les 285 articles restant en discussion.
En première lecture, l’Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà adopté dans les mêmes termes 125 articles et supprimé l’article 19. À l’issue de la nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a parfois suivi, même partiellement, le Sénat. J’en donnerai quelques exemples, avant d’indiquer les nombreux désaccords qui demeurent toutefois entre les deux assemblées.
Parmi les principaux apports du Sénat qui ont été conservés par l’Assemblée nationale figurent tout d’abord les aménagements apportés au nouveau crédit d’impôt dont bénéficieront les bailleurs consentant des abandons de loyers à des entreprises particulièrement touchées par la crise, d’une part, en prévoyant son application dès l’imposition 2021, d’autre part, en élargissant son périmètre notamment par la mise en place d’un mécanisme analogue de prise en charge partielle des abandons de loyers consentis par les collectivités territoriales.
Ensuite, et c’est là probablement l’apport le plus substantiel du Sénat au projet de loi de finances pour 2021, l’Assemblée nationale a conservé le dispositif de l’article 22 bis B, sous réserve de certains aménagements, c’est-à-dire la reconduction en 2021 du mécanisme de garantie des ressources fiscales des communes et des EPCI à fiscalité propre. Ce mécanisme avait été mis en place en 2020 dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
L’Assemblée nationale a également conservé en nouvelle lecture le prolongement pour un an du plafond à 1 000 euros de la réduction d’impôt, ce que l’on appelle le dispositif Coluche.
En outre, les députés ont maintenu la suspension, pendant l’état d’urgence sanitaire, de l’application du jour de carence pour les agents publics dont l’arrêt maladie est directement lié à l’épidémie de covid-19.
L’Assemblée nationale a également conservé, malgré un amendement de suppression de sa commission des finances et contre l’avis du Gouvernement, l’article 43 septies C, qui prévoit la prorogation jusqu’en 2024 du crédit d’impôt cinématographique international.
Par ailleurs, parmi les amendements de crédits, il convient en particulier de signaler qu’au sein de la mission « Économie » ont été conservés les 66 millions d’euros de crédits votés par le Sénat, sur l’initiative notamment de la commission des finances, en faveur du fonds postal national de péréquation territoriale, permettant ainsi de compenser les conséquences de la réforme des impôts de production sur ce fonds.
L’Assemblée nationale a aussi repris plusieurs mesures de portée plus technique, de clarification ou de simplification de différents régimes juridiques, d’amélioration rédactionnelle ou encore de mise en cohérence avec le droit européen.
Enfin, l’Assemblée nationale a suivi le Sénat sur la suppression de plusieurs rapports jugés inutiles.
Pour autant, malgré ces apports du Sénat, des divergences importantes subsistent entre les deux assemblées et nombre des amendements adoptés par le Sénat, même lorsqu’ils ont été votés à une très grande majorité, voire à la quasi-unanimité, ont finalement été supprimés. Le Sénat n’est pas toujours entendu comme il se doit…
Ainsi, d’un point de vue macroéconomique, il est regrettable que le Gouvernement n’ait pas réalisé les efforts de maîtrise des dépenses publiques nécessaires pour redresser les comptes publics, alors que les indicateurs économiques du pays étaient encore « au vert » et afin que la France retrouve les marges de manœuvre budgétaires utiles pour répondre le plus efficacement possible à toute crise, comme l’épidémie actuelle.
Il ne faut pas perdre de vue l’impact qu’auront toutes nos décisions actuelles sur l’état de nos finances publiques à moyen terme. À ce titre, il aurait fallu privilégier des mesures temporaires, puissantes et bien ciblées, pour favoriser une sortie de crise rapide et dynamique.
Concrètement, je le rappelle, l’État se finance désormais autant par l’endettement que par l’impôt. Si les taux remontaient, l’effort à fournir pourrait devenir insurmontable.
Bien plus, le plan de relance du Gouvernement est trop tardif, mal calibré et tient insuffisamment compte de la réalité vécue dans nos territoires.
Ainsi, je regrette que l’Assemblée nationale soit revenue sur toutes les mesures adoptées par le Sénat pour que le plan de relance porte ses fruits à plus court terme. Il n’est qu’à citer le report en arrière des déficits dans la limite de 5 millions d’euros.
Si le Sénat n’est pas revenu sur la réforme des impôts de production prévue par le projet de loi de finances, considérant que les entreprises, en particulier dans le secteur industriel, devaient voir leur niveau d’imposition se réduire pour que soit favorisée leur compétitivité, il importe aussi d’assurer une juste et pérenne compensation aux collectivités territoriales. Il est, à ce titre, très positif que l’Assemblée nationale l’ait suivi en conservant l’article 22 bis B.
Toutefois, il est regrettable qu’elle n’ait pas conservé d’autres mesures retenues par le Sénat, telles que la compensation intégrale de la perte de recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) subie en 2021 par les départements et le bloc communal. Cette mesure était pourtant identique à celle qui a été prévue pour les régions et validée par le Gouvernement.
L’Assemblée nationale a aussi supprimé les deux contributions exceptionnelles adoptées par le Sénat visant, d’une part, les assureurs et, d’autre part, les grandes plateformes de la vente à distance, au nom de la solidarité nationale.
D’ailleurs, la nouvelle couverture assurantielle que nous avons proposée n’a pas non plus été conservée, mais nous continuerons de mettre en avant ce sujet, en espérant que la proposition de loi adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés au mois de juin dernier prospérera.
Il est également dommage que la majorité gouvernementale ait refusé les dispositifs proposés par le Sénat pour renforcer l’aide à ceux qui se trouvent le plus en difficulté face à la crise, par exemple un fonds de solidarité renforcé visant à mieux couvrir les charges fixes ou l’aide à l’embauche.
Du point de vue de la fiscalité écologique et énergétique, l’Assemblée nationale n’a pas suivi le Sénat qui préconisait un étalement sur cinq ans du malus automobile, accompagné d’un renforcement de la prime à la conversion. Cela aurait permis d’inciter davantage les automobilistes à faire le choix de solutions plus « vertes », sans tomber dans la fiscalité punitive.
Je note que l’Assemblée nationale a rétabli en nouvelle lecture certaines mesures auxquelles le Sénat s’était fermement opposé, notamment l’article 54 sexies relatif aux contrats photovoltaïques ou thermodynamiques ou l’article 47, qui prévoit – excusez du peu ! – une ponction de 1 milliard d’euros sur la trésorerie d’Action Logement.
L’Assemblée nationale n’a pas non plus modifié les crédits des trois missions et des deux comptes d’affectation spéciale rejetés par le Sénat, de façon à faire évoluer la position de ce dernier.
Enfin, le Gouvernement a fait voter par l’Assemblée nationale cette nuit, en nouvelle lecture, des mesures nouvelles loin d’être anodines.
Certes, il est indispensable de soutenir les secteurs qui restent les plus durement affectés par la crise, comme les exploitants de remontées mécaniques des stations de ski ou certains acteurs de la culture.
Pour autant, l’on ne peut que déplorer que le Gouvernement ait fait le choix d’attendre la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale pour « recharger » le fonds de solidarité de 5, 6 milliards d’euros, créer un nouveau programme « Matériels sanitaires pour faire face à la crise de la covid-19 », doté de 430 millions d’euros, prévoir que le programme 356 couvre non seulement les dispositifs de chômage partiel, mais aussi la prise en charge de congés payés de certains salariés et une aide exceptionnelle aux actifs permittents, saisonniers ou extras.
En outre, plusieurs milliards d’euros de crédits ouverts en 2020 seront reportés sur l’année 2021, en particulier les 2, 1 milliards d’euros ouverts sur le programme 356 par la quatrième loi de finances rectificative pour 2020, promulguée il y a seulement deux semaines !
La majorité gouvernementale porte ainsi atteinte à l’autorisation parlementaire du volet dépenses du projet de loi de finances, ce que vous savez, monsieur le ministre.
Comme vous le constatez, mes chers collègues, les sujets de désaccords entre nos deux assemblées restent nombreux. Même si le Sénat proposait des modifications en nouvelle lecture, il est peu probable qu’une nouvelle navette parlementaire permettrait de faire évoluer les choses et de faire changer d’avis l’Assemblée nationale. La commission des finances vous proposera donc d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2021.