Intervention de Anne-Marie Descôtes

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 décembre 2020 à 8h15
Institutions européennes — Audition de Mme Anne-Marie deScôtes ambassadrice de france en allemagne

Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne :

Monsieur Le Gleut, le déséquilibre que vous évoquez n'est pas nouveau, il existe depuis une dizaine d'années C'était un sujet de préoccupation dès avant la crise, et aussi une des raisons pour lesquelles nous avions plaidé, dès 2017, pour plus d'investissements et la création d'un budget de l'Union européenne en faveur d'investissements d'avenir.

Ce fut aussi l'un des premiers sujets que le Président de la République a évoqué avec la chancelière dès le premier conseil des ministres en 2017. L'excédent commercial de l'Allemagne est colossal ; il y avait intérêt à ce qu'elle dépense plus pour compenser ce déséquilibre et tirer la machine européenne à un moment où la France allait s'engager dans des réformes pouvant potentiellement ralentir son économie. Mais l'Allemagne est devant une difficulté réelle, son incapacité à débourser et à monter des projets d'investissements lourds très rapidement.

Depuis 2017, on a vu apparaître de nombreuses critiques sur des retards de l'Allemagne, et le sentiment qu'après dix ans de croissance extraordinaire de 2010 à 2020, celle-ci allait s'arrêter faute d'investissements de fond sur les infrastructures routières, ferroviaires et numériques. Cela touche aussi le domaine de la défense.

L'Allemagne sait qu'elle occupe cette place centrale en Europe, géographiquement et économiquement. Depuis deux ans s'élève un débat sur la responsabilité de l'Allemagne. Son poids économique est aussi important dans l'Union européenne. On ne peut continuer de vivre cette situation sans s'interroger sur sa responsabilité en Europe et dans le monde, pour assurer la sécurité des Européens et participer à la stabilité démocratique. Nous sommes conscients de la situation. L'important est de rester arrimés, car rien ne peut avancer en Europe sans accord franco-allemand. L'Europe s'est construite ainsi, même s'il y a différents sujets. Le moteur doit fonctionner, et les déséquilibres être traités institutionnellement. Ce sera évoqué lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. A-t-on bien utilisé toutes les possibilités du traité de Lisbonne ? Il faut s'organiser pour travailler différemment.

Monsieur Allizard, l'Allemagne souhaitait, dans un contexte de relations difficiles entre les États-Unis et la Chine, poser des jalons plus importants avec l'Amérique latine et le Mercosur. Les relations très difficiles ces derniers mois l'ont amenée à les laisser momentanément de côté, mais l'Allemagne, grande nation exportatrice, va chercher à développer ses marchés. Les accords commerciaux sont la prérogative exclusive de l'Union européenne, et nous devons poser nos conditions en plus de libéraliser les échanges commerciaux. L'accord avec le Canada est une référence. Les dernières négociations avec le Brésil ont montré la difficulté à imposer comme condition d'un accord commercial le respect des accords de Paris.

La Chine est une priorité pour l'Allemagne et l'Union européenne. Il y a une très forte prise de conscience que notre marché est plus ouvert que le leur, ce qui installe un déséquilibre préjudiciable pour l'Union européenne. La présidence allemande continue de travailler pour un accord sur les investissements et les conditions d'investissement en Chine pour les Européens. La chancelière allemande voulait organiser à Leipzig en septembre un grand sommet entre la Chine et tous les partenaires européens, pour montrer l'unité de ces derniers et leur capacité à décider des règles. Cela reste un sujet majeur et ne sortira pas de l'agenda européen. L'Allemagne est encore plus concernée par la relance des investissements et des échanges économiques avec la Chine.

Monsieur Leconte, l'Allemagne est parfaitement consciente que rien n'est possible sans l'axe franco-allemand, malgré sa position géographique centrale et son poids économique. Elle ne peut pas avancer toute seule. Il reste de nombreuses incertitudes sur la manière dont nous sortirons de la crise de la covid-19. La France a regagné en crédibilité et montré qu'elle était capable de se réformer depuis l'été 2017. Résultat, en 2019, la France était le pays européen le plus attractif pour les investissements étrangers, devant l'Allemagne. La volonté des Français d'investir en Allemagne est intacte, de même que l'inverse ; la confiance et les projets demeurent. La crise doit être une parenthèse dont nous devons sortir plus forts, avec des réformes structurelles nous ayant fait gagner en crédibilité.

Dès avril étaient annoncées les premières mesures d'aides nationales, avec un risque de divergences importantes entre les économies. L'impact de la crise est plus important chez nous. Le message que nous faisons passer est qu'on ne peut rien faire tout seul, car le marché intérieur est un tout. La solidarité à travers le plan de relance est nécessaire pour que nos économies retrouvent ensemble le chemin de la croissance, sinon l'Allemagne aura aussi inévitablement un problème. Il faut donc que l'Allemagne ne cherche pas à revenir trop vite à une politique budgétaire vertueuse de remboursement des dettes en réintroduisant son mécanisme de frein à la dette (Schuldenbremse) : cela pourrait être préjudiciable pour notre économie, celle des autres pays, et pour le marché intérieur. Il s'agit d'un sujet politique majeur qui sera certainement débattu lors des prochaines élections fédérales du 26 septembre.

En ce qui concerne Nord Stream 2 et l'extraterritorialité des lois américaines, nous travaillons en bilatéral depuis deux ans et au niveau européen sur cette question, dont nous devrons discuter avec la future administration américaine. La difficulté est que ce sujet a largement échappé à l'administration américaine et s'est déplacé vers le Congrès. Quoi qu'il en soit, si nous ne pouvons pas agir sur les lois américaines, nous pouvons agir pour nous renforcer. On comprend de mieux en mieux qu'il y a urgence à renforcer non seulement le marché intérieur, mais aussi la zone euro et l'euro en tant que monnaie et arme diplomatique, sinon nous serons trop dépendants des États-Unis et du dollar. La monnaie est essentielle si l'Union européenne veut apparaître comme un acteur international fort et indépendant. Quant au projet Nord Stream 2, il est stoppé pour l'instant. Les menaces de sanctions américaines n'ont pas, à ma connaissance, été levées.

En ce qui concerne les ventes d'armes, nous avons conclu l'an dernier un accord bilatéral sur le contrôle des exportations d'armements. Le mécanisme de discussion est précis et devrait permettre d'anticiper les problèmes qui pourraient se poser. En tout cas, je n'ai pas de crainte pour nos grands projets, comme le char de combat du futur ou le système de combat aérien du futur, qui ne sont pas remis en cause.

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