Je n'ai pas tous les éléments pour vous répondre sur la juridiction unifiée des brevets. Le processus législatif est en voie d'achèvement et la ratification de l'accord par les deux chambres devrait intervenir dès le début 2021. Sa mise en oeuvre devrait être possible dès le printemps, selon les termes du protocole d'application provisoire, sous réserve que les autres États ratifient le protocole. Pour la suite, nous devrons accroître nos échanges bilatéraux sur ces sujets, notamment sur les modalités concrètes de répartition entre Paris et Munich, à la suite du Brexit, des attributions qui étaient confiées à la section londonienne de la juridiction unifiée.
Il est vrai que le parti Alliance 90/Les Verts se prépare, très clairement, à devenir un parti de gouvernement. Ce parti a beaucoup évolué. Ses dirigeants, Mme Baerbock et M. Habeck, sont au même niveau et sont parfaitement coordonnés, même si l'on peut avoir le sentiment que le candidat au poste de chancelier sera plutôt M. Habeck ; en tout cas, ils travaillent de façon très étroite et harmonieuse. Ils considèrent que les divisions entre les réalistes et les fondamentalistes n'ont plus lieu d'être. Leur positionnement est ouvertement réaliste. Cependant, on compte encore parmi les militants beaucoup de partisans d'une position fondamentaliste plus traditionnelle. Parmi leurs sympathisants et leurs électeurs, on sent une préférence pour une approche plus réaliste. Depuis un an et demi, Les Verts se préparent à accéder aux responsabilités de manière très claire et assumée. Cela se traduit par la volonté, dans la relation bilatérale avec la France, de mieux se connaître et mieux se comprendre. Ce parti ne parle pas simplement d'écologie et de transition écologique, mais se positionne sur tous les sujets, pour toucher un électorat plus large et montrer qu'ils sont capables d'exercer des responsabilités. Ils sont déjà présents dans les gouvernements de coalition d'onze Länder sur seize. M. Habeck a été lui-même ministre dans le Land de Schleswig-Holstein. Au Bundestag, ils n'ont qu'un nombre limité de députés, car ils n'ont recueilli que 8 % des voix en 2017, mais depuis, lors d'élections plus récentes, notamment les élections européennes, ils ont connu une poussée très forte ; dans les sondages, ils sont autour de 19 ou 20 % d'intentions de vote, devant le SPD qui est crédité de 15 ou 16 %. Après les européennes, ils tutoyaient même dans certains sondages la CDU-CSU, avec 27 %. La crise donne une prime à l'exécutif et la CDU bénéficie de la popularité de Mme Merkel. Mais Les Verts restent présents et se préparent à travailler dans une coalition avec la CDU et la CSU. N'oublions pas toutefois que les élections n'auront lieu que dans neuf mois, les jeux restent donc ouverts et on ne peut pas exclure d'autres coalitions.
Du côté du SPD, Olaf Scholz, vice-chancelier et ministre des finances est populaire en raison de sa capacité à mettre en place rapidement des aides massives à l'économie et à répondre à la problématique du mur de la dette, dans la mesure où l'Allemagne reste le pays le moins endetté d'Europe et où son endettement reste inférieur à celui qu'il était lors de la crise de 2009, mais sa popularité ne déborde pas au-delà de sa personne et ne rejaillit pas sur le SPD, qui connaît un affaiblissement comme d'autres partis socio-démocrates en Europe.
L'AFD avait connu un pic en 2017, mais est redescendu depuis au-dessous de 10 %. C'est certainement dû à la crise. Le parti continue de critiquer la gestion de la crise, mais celle-ci apporte une prime à l'exécutif, tant au niveau fédéral que dans les Länder. Il pâtit aussi de dissensions internes, mais leur groupe au Bundestag est composé de 92 députés et se manifeste bruyamment, souvent dans l'invective et la confrontation. Il posera certainement la question, lors des élections, de la place des étrangers en Allemagne et de l'Union européenne.
Un mot sur la situation démographique. Vous avez raison, elle est peu dynamique, mais les instituts de prévision considèrent qu'en raison de l'arrivée massive de populations immigrées, la population ne baissera pas et que la tendance démographique ne changera pas avant 2030-2035, même si elle reste préoccupante. La CDU et la CSU ont fait le choix d'une immigration choisie pour pallier le manque de main d'oeuvre qui était sensible avant la crise, avec des carnets de commandes pleins, mais ne pouvant être honorés faute de personnel. C'est à cette occasion que la question de l'insuffisance des investissements dans la formation et l'éducation est revenue sur le devant de la scène. L'économie allemande a été essentiellement portée par son excédent commercial ces dernières années. Pendant longtemps, la recherche d'économies a prévalu, ce qui a sans doute pesé sur le niveau d'investissements en matière de modernisation, de digitalisation, d'infrastructures, etc. Il faut s'attendre à une hausse de l'investissement à la sortie de la crise.
On sent en tout cas dans tous les partis, hormis l'AFD, la conscience de l'importance de la relation franco-allemande et de la nécessité de bien travailler ensemble, même si des différences peuvent apparaître, comme on le voit dès aujourd'hui entre les différents candidats au poste de président de la CDU. Si l'importance de l'axe franco-allemand et de l'Europe est affirmée, il y a des différences entre M. Merz, M. Laschet ou M. Söder - même si, en dépit de sa popularité, il semble peu concevable politiquement que le président de la CDU refuse de briguer la chancellerie. Même Norbert Röttgen, qui avait indiqué qu'il laisserait la place à un candidat de la CSU, y réfléchira certainement à deux fois s'il est élu. Le président de la CDU sera désigné le 15 ou le 16 janvier, tandis que le candidat à la chancellerie sera désigné au printemps, après des élections régionales importantes en Bade-Wurtemberg, en Rhénanie-Palatinat et en Saxe.
La question de l'État de droit est une question majeure. La question de la cohérence entre les intérêts économiques et le positionnement sur l'État de droit se pose aussi à propos de la relation avec la Russie, où se fait jour la conviction qu'il faut maintenir les canaux de dialogue et d'échanges. L'économique et le politique peuvent apparaître en contradiction, mais le sentiment prévaut que la rupture des relations économiques aurait plus d'effets négatifs que l'inverse. On préfère ainsi essayer de maintenir les canaux de dialogue pour ramener la Pologne ou la Hongrie vers des positions plus conformes aux valeurs européennes.
Le dossier agricole fait partie des points positifs de la présidence allemande de l'Union européenne ; nous y avons participé. On doit saluer une très bonne relation franco-allemande sur le sujet, de très bonnes relations entre les ministres de l'agriculture allemand et français. Nos positions se sont beaucoup rapprochées, même s'il reste des différences. Nous espérons que nos positions se rapprocheront encore davantage lors de la mise en oeuvre du nouveau paquet financier.
J'en viens à la question de l'hydrogène, qui est tout à fait centrale. Avant de devenir une priorité au niveau européen, elle avait d'ailleurs été identifiée comme un sujet majeur dans le contexte du Green Deal, présenté par Mme von der Leyen, et soutenue par le commissaire européen Thierry Breton. Depuis plus d'un an, cet enjeu était déjà reconnu comme essentiel par nos deux pays, et plus particulièrement par les grands industriels qui travaillent dans ce secteur, et comme un thème sur lequel nous devions coopérer plus étroitement.
Des actions concrètes ont été engagées en la matière dès le mois de février 2019 dans le cadre de la mise en oeuvre du traité d'Aix-la-Chapelle, à la suite des entretiens entre MM. Bruno Le Maire et Peter Altmaier. Nous coopérons donc déjà dans un secteur, dont nous aimerions qu'il fasse l'objet d'un PIIEC, c'est-à-dire un projet important d'intérêt européen commun : il ferait alors partie de ces projets européens bénéficiant de financements européens et auxquels peuvent s'agréger d'autres États membres.