Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 décembre 2020 à 9h30
Bilan et perspectives de l'opération barkhane — Audition depuis njaména du général de brigade marc conruyt commandant de l'opération barkhane comanfor

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Mon général, merci d'avoir accepté cette audition en direct du PC de la force Barkhane à Ndjamena - dans de bonnes conditions de transmission. Je rappelle que vous commandez Barkhane depuis juillet dernier, à la suite du général Pascal Facon, que nous avions auditionné le 9 juillet, quelques jours avant la fin de son mandat.

Avant toute chose je souhaite, au nom de tous les membres de notre commission, rendre hommage aux 5 100 soldats qui combattent sous vos ordres, avec une pensée particulière pour ceux qui ont perdu la vie pour les très nombreux blessés. Nous sommes conscients du courage et de l'abnégation qui vous sont demandés, à vous-même ainsi qu'à vos hommes, pour mener à bien cette mission extrêmement difficile qui consiste à accompagner nos partenaires sahéliens dans leur combat contre le terrorisme. Nous avons suivi avec fierté les succès importants et significatifs de Barkhane depuis le sommet de Pau et, en particulier, depuis la fin de l'été, avec l'opération Bourrasque et ses suites.

La première question que nous nous posons est celle de l'état de la coordination avec les forces armées maliennes (FAMa), la force du G5 Sahel et, plus généralement, les armées des autres pays du Sahel. C'est en effet l'élément-clef pour l'avenir, puisque l'objectif est d'accompagner ces forces vers l'autonomie : la France n'a pas vocation à rester éternellement au Mali ! Quelle appréciation portez-vous désormais sur la qualité et les capacités de ces forces ? L'objectif de réinstaller l'armée malienne sur le terrain, en particulier dans les postes frontières du Liptako et du Gourma, est-il en passe d'être atteint ? Nous souhaiterions également avoir votre retour sur la force Takuba, devenue opérationnelle depuis l'audition de votre prédécesseur, avec l'intégration des Estoniens puis des Tchèques et bientôt l'arrivée des Suédois.

Pourriez-vous, dans un second temps, revenir sur les opérations militaires menées depuis septembre ? Quel bilan faites-vous de l'opération Bourrasque, qui a précisément permis de tester la coopération avec les FAMa, l'armée nigérienne, les alliés, Takuba, avec également la présence d'une Unité légère de reconnaissance et d'intervention (URLI) malienne ? Quel bilan pour les opérations menées ensuite en novembre avec l'élimination de Bah Ag Moussa, chef militaire du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), le 10 novembre, et la neutralisation de plusieurs dizaines de djihadistes ?

Au total, peut-on dire que les Groupes armés terroristes (GAT) ont été durablement affaiblis ? En un mot, les derniers mois ont-ils permis, comme le souhaitait le général Facon, de « mettre les GAT à la portée des forces partenaires et de la force conjointe » ? Je rappelle à cet égard que le commandant de la force conjointe vient justement de juger risquée une réduction de l'effectif de Barkhane. Pensez-vous que vous serez en mesure, si une telle réduction a lieu et compte tenu de l'apport certes utile, mais limité de Takuba et de nos partenaires européens - sans parler de la réduction possible de la participation américaine - de continuer à progresser, ou au moins à maintenir la situation ?

Le général Facon nous avait par ailleurs affirmé que la situation politique à Bamako n'avait pas d'incidence sur le plan opérationnel. Est-ce toujours vrai après le coup d'État ? Avez-vous ressenti un affaiblissement de la volonté politique malienne de combattre le djihadisme ?

Enfin, de manière plus générale et pour prendre un peu de recul, qu'a appris l'armée française à travers l'opération Barkhane ? Comment a-t-elle évolué à la suite des difficultés rencontrées sur le terrain et des nouveaux moyens qu'elle a employés ? Je pense en particulier aux drones armés : un tel retour d'expérience intéresserait beaucoup notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je précise enfin que cette audition n'est pas filmée : la parole est libre.

Général Marc Conruyt, commandant de l'opération Barkhane. - Merci de votre invitation. J'aurai tout à l'heure le plaisir d'accueillir le sénateur Cadic, qui nous rejoindra au Tchad ce soir. J'ai pris mes fonctions cet été, comme vous l'avez indiqué. Je tiens avant tout à saluer la mémoire de nos soldats qui sont tombés au Sahel depuis cette date. Ils sont quatre, autant de témoins de la dureté de notre engagement. Vous avez été, au sein même de votre commission, il y a tout juste un an, les témoins du deuil qui touche nos familles quand l'un d'entre nous tombe pour la France.

Le sommet de Pau, le 13 janvier dernier, a permis un sursaut. Sursaut militaire d'abord, avec le renforcement de Barkhane en effectifs ; sursaut politique ensuite, dans la mesure où le lancement de la Coalition pour le Sahel a donné le cadre intégré et international qui répond à l'effort consenti par notre pays et aux ambitions qu'il compte déployer dans ce voisinage géographiquement si proche et stratégiquement si important. Presque un an après ce sommet, quel bilan pouvons-nous faire de notre engagement ?

Notre stratégie est cohérente, et les objectifs importants ont été atteints. Le surge a produit les effets attendus. Mais l'opération Barkhane continue à évoluer profondément. Il n'y a pas deux mandats similaires. La raison en est simple : l'ennemi a sa propre volonté, il aspire à un projet politique et dispose d'une stratégie pour le mettre en oeuvre. Si nous oeuvrons aux côtés de nos partenaires pour le bénéfice de leur sécurité et de la nôtre, c'est d'abord contre un ennemi que l'on se bat. Nier ou relativiser cette volonté adverse n'est pas seulement une erreur, ce serait à mon sens une faute.

Comme vous le savez, nous faisons face au Sahel à un enchevêtrement de crises et de conflits, dont on souligne à juste titre les racines complexes, tout en exigeant parfois une réponse simple et rapide. Or, la situation reste soumise aux circonstances, à l'art opératif, aux jeux politiques, et à la détermination et aux moyens que nous y consacrons. C'est cette tension entre une nécessaire patience et l'impératif des contingences que je souhaite vous décrire.

Depuis mon arrivée, je fais d'abord le constat de l'évolution permanente de notre ennemi. Depuis le sommet de Pau, et au terme des opérations récentes, l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) a été affaibli dans le Liptako - même s'il convient de garder une forme de prudence sur l'évaluation que nous en faisons. Si cet ennemi conserve une capacité de nuisance et de régénération, il semble aujourd'hui davantage à la portée des forces partenaires sahéliennes. Ses capacités actuelles ne lui permettent plus d'envisager des actions d'envergure comme en 2019. Face à nous, il met en oeuvre une stratégie d'évitement. Mais en notre absence, il vise les cadres de l'État ou les chefs locaux pour assurer sa mainmise sur les populations.

Le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans (RVIM), nébuleuse de plusieurs groupes liés à Al-Qaïda, étend son influence, consolide son organisation et gagne en confiance. C'est aujourd'hui l'ennemi le plus dangereux pour Barkhane, pour les forces internationales et pour le Mali. Non seulement il déstabilise les périphéries du nord du Mali, mais il propage aussi la guerre au Centre, qui est le coeur économique et le bassin de population du pays. À partir de là, il cherche à progresser vers les pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest. Il n'y a pas d'ambiguïté : cet ennemi nous cible au Sahel, et c'est lui qui nous a visés encore récemment à Kidal, Ménaka et Gao. Il le ferait probablement en France s'il en avait l'occasion. Il dispose de compétences critiques, d'un commandement bien structuré et d'une expérience acquise sur le long cours. Prospérant sur la misère, l'endoctrinement, l'absence d'alternatives sociales ou économiques, et de manière plus intelligente et patiente que l'EIGS, il cherche à établir son propre mode de gouvernement, son propre système éducatif, sa propre justice. Il s'appuie pour cela sur les tensions communautaires existantes et attire à lui les exclus, les relégués, les menacés, bref tous ceux à qui l'État n'offre pas d'alternative. Il sait aussi jouer de la corde sensible de la négociation pour masquer ses objectifs et tromper les plus naïfs.

Face à cet ennemi, nos alliés sahéliens doivent encore poursuivre et amplifier leurs progrès militaires, mais aussi consentir un effort supplémentaire, avec le soutien de la communauté internationale, en termes de sécurité intérieure, de retour de l'État et de développement économique. C'est à ces conditions qu'un autre destin pour les populations se dessinera, offrant alors d'autres opportunités à ceux qui sont tentés par les offres de recrutement des mouvements terroristes.

Mon second constat porte sur l'évolution du contexte, tout aussi rapide.

Cinq éléments ont influencé notre environnement ces derniers mois. Tout d'abord, l'attaque de Kouré, au Niger, où six de nos ressortissants ont été assassinés. Cette attaque, que l'on attribue à un groupe lié à l'EIGS, a eu un double impact. D'abord, auprès de notre opinion publique en France, où elle a suscité un débat légitime sur notre engagement. Ensuite, au Niger, où elle a obscurci les efforts que les autorités ont conduits et les résultats qu'elles ont obtenus depuis une année. Le deuxième événement est évidemment la transition en cours au Mali, qui doit conduire à des élections générales début 2022. Ces élections sont désormais l'horizon temporel, qui concentre toutes les énergies de la nouvelle haute hiérarchie militaire malienne, avec laquelle nous avons d'excellentes relations, et qui montre chaque jour sa détermination dans la lutte contre les groupes armés terroristes.

Le troisième événement est la libération de près de 200 prisonniers djihadistes, qui a suscité elle aussi des interrogations dans notre pays. Les déclarations du niveau stratégique et du niveau politique ont répondu à celles, limitées, au sein de Barkhane et des familles de nos soldats. En ce qui me concerne, j'ai bien entendu un point d'attention tout particulier sur les conséquences sécuritaires, qui restent à ce stade encore à évaluer. Autre élément de contexte important pour Barkhane : la succession d'élections dans la sous-région. Celles-ci se sont bien déroulées au Burkina Faso et en Côte-d'Ivoire. Cela n'a pas diverti nos moyens, mais la plus grande vigilance est de mise, car la sécurité de nos compatriotes peut être en jeu. Enfin, le débat sur l'islamisme en France, avec ses répercussions à l'étranger, n'est pas neutre pour une opération française qui se déroule dans des pays de religion et de culture musulmanes.

Face à ces évolutions, quelle est la feuille de route de la force Barkhane ? Nos actions visent simultanément à réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes et à renforcer les capacités des forces partenaires, afin de mettre les premiers à la portée des secondes. Nous devons donc d'abord mettre en échec l'ennemi en contrant sa stratégie. Pour cela, il faut comprendre qui il est, quels sont ses objectifs et ses modes opératoires, afin de désarticuler ses différentes composantes et de les traiter par les outils appropriés. Notre manoeuvre militaire combine de multiples effets : neutraliser les cadres et les combattants ; perturber la coordination entre les katibat, qui se renforcent par échanges d'hommes, d'informations et d'équipements ; empêcher les bascules entre espace saharien et sahélien, voire côtier. Cette manoeuvre s'applique à combiner le plus efficacement possible les moyens mis à ma disposition, et tous nos succès opérationnels récents reposent sur l'intégration des effets que chaque composante, chaque expertise de la force, est capable de produire.

Mais ces actions directes ou indirectes sur l'ennemi n'ont de finalité que si elles contribuent au partenariat avec les forces africaines militaires, de gendarmerie et de police, qui sont les seules à pouvoir apporter une solution durable à la question sécuritaire. L'action de toutes les organisations et forces militaires en appui direct à la montée en puissance de ces armées africaines, et en premier lieu des FAMa, est à ce titre essentielle.

Je souhaiterais donc explorer trois dimensions qui démontrent que Barkhane est un élément moteur d'un ensemble stratégique et diplomatique plus vaste.

Tout d'abord, la sahélisation, dont l'objectif est à la fois de donner à nos partenaires une part croissante, quantitativement et qualitativement, dans l'effort militaire global, et d'améliorer la coordination entre eux, puisque le défi du terrorisme est transfrontalier.

L'opération Bourrasque en est un exemple, et elle constitue un jalon important vers une victoire collective contre l'EIGS. En engageant près de 3 000 soldats, pour moitié français et pour moitié issus des forces sahéliennes, avec notamment plus de 1 000 soldats nigériens, nous avons mis en oeuvre une opération intégrée jusqu'aux plus bas échelons. Nous avons planifié et conduit Bourrasque à partir d'un PC interallié à Niamey, où des officiers français, nigériens, maliens, américains et de la force conjointe du G5 Sahel travaillaient côte à côte.

Je souhaite souligner ici la contribution américaine, peut-être moins connue, mais significative, et dont l'intégration a encore franchi un cap par rapport à ce qui existait il y a quelques mois. À titre d'exemple, la semaine dernière, plus de 40 % de l'effort en renseignements 3D dans les opérations que nous avons conduites a été fourni par notre partenaire américain.

Sur la voie de la sahélisation, l'opération Bourrasque a montré toute la complémentarité des avantages entre partenaires, en combinant nos capacités cinétiques et technologiques avec la mobilité et la connaissance du terrain des armées sahéliennes. Nos soldats ont pu vérifier sur le terrain que le partenariat de combat était loin d'être à sens unique. Cette opération a aussi apporté un surcroît de force morale et de confiance chez les forces partenaires, en particulier nigériennes, ouvrant la voie à une réponse nationale, autonome et pérenne. Il nous faut désormais reproduire de telles dynamiques avec les autres partenaires. Ce sera l'objet des opérations futures que nous mènerons.

Nous devons aussi poursuivre notre effort d'harmonisation des plans de campagne de chacun des pays du G5 Sahel. Le Mali est un bon exemple de ce défi, puisqu'il réunit cinq forces : les FAMa, Barkhane, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), la force conjointe du G5 et la Mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM). C'est une fonction importante et souvent méconnue de Barkhane que d'entraîner les autres acteurs et de mettre en cohérence leurs actions. Pour ce faire, nous nous appuyons sur notre réseau partenarial, composé d'éléments insérés dans les états-majors ou dans les unités de nos alliés, et que nous venons encore de densifier. Cette intégration nous est facilitée par une relation ancienne et de confiance avec des partenaires qui reconnaissent notre compétence et notre fidélité.

Les efforts pour appuyer la montée en puissance de la force conjointe du G5 ne sont pas encore achevés. Celle-ci est une remarquable réalisation politique et stratégique, mais elle doit encore gagner en autonomie et en capacité à contester le terrain à l'adversaire. Cela nécessite notamment une amélioration de son soutien logistique. Le général Oumarou Namata Gazama a parfaitement souligné l'exemplaire complémentarité des forces et l'importance de Barkhane pour les unités qu'il commande. Nous entretenons avec lui des relations très étroites pour planifier et conduire ensemble les opérations dans la zone des trois frontières. La perspective de la présidence tchadienne, qui débutera début 2021, doit permettre de maintenir cette dynamique.

La deuxième dimension de notre action est l'européanisation, qui est en quelque sorte le levier qui permet de démultiplier les effets produits, et le témoignage du partage croissant du fardeau de la sécurité au Sahel.

En voici trois exemples.

Le premier est un groupe de Takuba composé de Français et d'Estoniens, et jumelé avec une unité malienne, qui conduit encore aujourd'hui des opérations dans des zones difficiles du Liptako. Il a donné entière satisfaction lors de Bourrasque, et préfigure le modèle qui sera suivi au début de l'année prochaine par les contingents tchèques, suédois et italiens. Ceux-ci donneront à Takuba son volume critique. Mais nous aurons toujours besoin d'un ou deux Task groups, ainsi que de l'autonomie de Takuba en capacités rares.

L'EUTM est un autre exemple qui, par ses actions de conseil, de formation et d'entraînement, participe à la montée en puissance des armées sahéliennes et de la force conjointe du G5. Parce que les FAMa restent le centre de gravité de toute la campagne au Sahel, l'EUTM doit leur consacrer l'essentiel de ses efforts, et je vois régulièrement le général tchèque Frantiek Ridzák, avec qui nous conduisons des projets en étroite coordination, tant nous sommes convaincus que la victoire ne sera que collective. Il a relancé l'action de l'EUTM avec détermination, en l'engageant pleinement envers les FAMa.

Je pourrais enfin citer l'apport essentiel des hélicoptères danois, qui malheureusement nous quittent à la fin du mois, des Chinooks britanniques et du détachement estonien qui est intégré à Barkhane à Gao.

La troisième dimension est l'approche intégrée. Nous savons que la crise sahélienne nécessite d'agir sur trois lignes d'opération : rétablir la sécurité, restaurer une bonne gouvernance et développer l'économie. Nous ne sommes que concourants dans les dimensions de stabilisation et de développement. Mais la recherche de complémentarité est permanente, car nécessaire. C'est le principe même de la coalition pour le Sahel lancée au printemps. Il reste beaucoup à faire, mais je tire un bilan très positif du travail en commun que nous menons avec l'ensemble des acteurs français, et notamment nos ambassades, les antennes locales de l'Agence française de développement (AFD), le service de coopération et les acteurs internationaux.

Notre campagne militaire est cohérente, et nous allons continuer à frapper tous les groupes terroristes tout en renforçant notre partenariat de combat avec les armées sahéliennes à travers une intégration croissante. Mes moyens pour cela sont suffisants, mais il n'y a rien de superflu, et ma marge de manoeuvre est ténue.

Je souhaite revenir sur l'engagement des Européens. Ce qui est fait est fait de manière excellente, mais c'est encore trop peu. À titre d'exemple, une section de soldats estoniens, chargée de la Force protection à Gao, cela peut paraître peu à l'échelle d'un pays européen mais, cela me permet de libérer un pion de manoeuvre français supplémentaire sur le terrain pour accompagner nos partenaires. Je perdrai deux hélicoptères Merlin danois fin décembre, puisque leur mandat n'est pas renouvelé et que nous n'avons pas de successeurs. C'est 20 % de ma capacité d'héliportage que je vais perdre, alors que celle-ci était à peine suffisante. Beaucoup d'Européens pourraient faire davantage, même avec de petites contributions, en soutien direct à Barkhane : ce serait d'une grande utilité.

Posons-nous enfin la question de ce que serait le Sahel sans l'engagement français. Barkhane n'apporte qu'une partie de la réponse au défi de la région. Mais c'est une partie incontournable car, à ce stade, elle est la seule force capable de contraindre le projet politique de nos ennemis. Notre action autorise les autres acteurs - les pays du Sahel en premier lieu - à mettre en oeuvre les processus et les actions structurelles qui conditionnent une solution durable. Notre contribution permet aussi que d'autres, issus d'Europe ou d'ailleurs, interviennent en supplément ou en complément de nos efforts. Si la voie de sortie est, d'abord et avant tout, politique, il faut sans doute s'inscrire dans la perspective de la fin de la transition au Mali, début 2022, qui est l'horizon possible d'une issue positive. Enfin, je reste convaincu que, sans Barkhane, la question de la stabilité régionale serait posée à très court terme.

Monsieur le président, après ce propos liminaire, permettez-moi de répondre aux questions que vous m'avez posées en introduction.

La coordination avec l'ensemble des forces partenaires, qu'elles soient nationales sahéliennes - des cinq pays du G5 - ou multinationales, à travers la force conjointe du G5, ou qu'elles relèvent plus largement d'autres acteurs sécuritaires qui oeuvrent au Sahel, est assez exemplaire et fonctionne très bien. Nous avons des relations quotidiennes avec l'ensemble de ces acteurs, qui nous donnent une appréciation très précise de la situation générale, ce qui nous aide à planifier et à conduire nos opérations ensemble. Sur le plan de la coordination, nous avons atteint un degré de maturité assez remarquable.

Toutes les forces nationales sont pleinement engagées dans un processus de montée en puissance afin de lutter plus efficacement contre les groupes armés terroristes. Bien entendu, s'il s'agit toujours de groupes armés terroristes, le degré de menace diffère d'un pays à un autre.

Les forces armées nigériennes sont peut-être celles qui ont fait les progrès les plus considérables depuis 2019, en termes de capacité, d'organisation et de structuration. L'opération Bourrasque nous a montré des forces armées nigériennes capables d'opérer avec nous à des niveaux d'intégration quasiment jamais atteints. Ainsi, des bataillons ont travaillé ensemble, des compagnies ont travaillé ensemble, des sections ont été détachées au sein de compagnies partenaires, voire même des soldats nigériens au sein de groupes français.

Les forces armées maliennes partent de plus loin. Elles n'ont pas la même histoire militaire récente. Elles font face à une menace plus conséquente. Pour autant, elles sont sur une dynamique positive, à plusieurs égards : capacité à augmenter leurs forces combattantes, c'est-à-dire à créer de la masse de manoeuvre ; capacité à réorganiser, de façon générale, un cycle opérationnel qui leur permet d'alterner formation, opérations et repos, ce qui est nécessaire pour pouvoir combattre efficacement dans la durée ; progrès, enfin, dans la manière de combattre, dans l'utilisation des moyens aériens ou des moyens de renseignement, et dans la manoeuvre tactique de façon générale. J'ai donc bon espoir que, si elles accélèrent leur assise organique, les forces armées maliennes atteignent le niveau de leurs homologues nigériennes dans l'année qui vient.

Les forces armées burkinabées sont aussi dans une dynamique positive. Elles ont dû se réorganiser de fond en comble face à une menace nouvelle pour elles.

Concernant Takuba, pour l'instant, le Task Group franco-estonien a atteint tous les objectifs qui lui avaient été fixés. Il doit servir de modèle pour la constitution, l'organisation, la préparation et l'engagement des futurs Task Groups. Nous avons pris un peu de retard sur la montée en puissance de Takuba. J'espère que, dès le début de l'année 2021, nous pourrons engager davantage de moyens dans le Liptako.

Vous me demandez quel est le bilan de Bourrasque. J'en retire deux enseignements majeurs. D'abord et de façon générale, les résultats obtenus sont dus à une manoeuvre tactique très dynamique, qui a conjugué les effets de tous les moyens dont nous disposons, et qui a mis en difficulté les GAT : manoeuvre tactique au sol et dans la troisième dimension, opérations de renseignement, opérations de déception, opérations cyber... Toute la panoplie des moyens a été déployée, avec une concentration des efforts dans une zone particulière pendant plusieurs semaines, ce qui nous a permis d'asphyxier les groupes qui y étaient.

Deuxième enseignement de Bourrasque : l'attitude remarquable des forces armées sahéliennes, nigériennes et maliennes, qui nous ont accompagnés et qui se sont excellemment comportées. Elles ont été très offensives à nos côtés, dans toutes les opérations. L'Unité Légère de Reconnaissance et d'Intervention a donné elle-aussi toute satisfaction. Bien sûr, il y a des choses à améliorer, et nous avons tiré le retour d'expérience pour les prochaines opérations que nous allons conduire, dès le début de l'année prochaine. Je n'en fais pas un modèle, mais une forme de référence que je voudrais répliquer, notamment avec les forces armées maliennes et burkinabées dans les mois prochains.

Vous m'interrogez sur la perspective de la fin du surge. Pour l'instant, aucune décision n'a été prise à ce sujet, et les travaux sont en cours. Clairement, je ne pourrai pas faire plus avec moins. Le surge nous a permis d'obtenir des résultats dans le Liptako contre l'EIGS. Cela a fait baisser la pression, de sorte que nous pouvons engager Takuba dans le Liptako. Je vous confirme d'ailleurs que Takuba est bien sous les ordres de Barkhane. Pouvoir divertir des moyens franco-français du Liptako, parce que Takuba prend la relève, me permettra de basculer davantage mon effort, en partenariat avec les FAMa, dans le Gourma contre le RVIM, qui est certainement l'ennemi le plus dangereux.

Sur l'avenir du soutien américain, je ne sais pas quelles seront les décisions de la nouvelle administration américaine, mais ce que nous avons fait, ce que nous sommes en train de faire avec les partenaires militaires américains et ce que nous prévoyons de faire dans les mois qui viennent me laisse plutôt optimiste sur la qualité et la densité du soutien américain lors de nos prochaines opérations.

Vous évoquez la volonté de lutte des politiques maliens. À chaque fois que je les rencontre, ils me réaffirment leurs pleines et entières volonté et disponibilité pour continuer le combat contre les GAT, quels qu'ils soient. Pour l'instant, je n'ai donc pas de raison de douter de leur volonté dans ce domaine. Quant à la nouvelle hiérarchie militaire malienne, que je rencontre beaucoup plus souvent et avec laquelle je travaille très régulièrement, elle n'a aucun doute : elle s'efforce de réorganiser les FAMa afin de lutter efficacement contre les GAT.

Les drones nous ont apporté une capacité supplémentaire, que nous utilisons pleinement. L'essentiel est surtout que nous l'utilisions en parfaite coordination avec les autres composantes. Il s'agit de faire bouger l'ennemi, de créer de l'incertitude, de comprendre ce qu'il fait, et donc d'avoir le renseignement nécessaire. Cette manoeuvre nous permet de lui porter des coups à l'exemple de ceux de ces dernières semaines. Le drone armé est donc un moyen supplémentaire considérable et un facteur d'efficacité qui accroit la capacité de la force Barkhane. Nous attendons d'ailleurs le drone Block 5, qui nous permettra d'accroitre encore nos capacités dans ce domaine

Merci pour toutes ces précisions, qui vont alimenter notre réflexion dans la perspective du débat que le Sénat va organiser, vraisemblablement en février, sur Barkhane.

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