Intervention de Hugues Saury

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 décembre 2020 à 9h30
Bilan et perspectives de l'opération barkhane — Audition depuis njaména du général de brigade marc conruyt commandant de l'opération barkhane comanfor

Photo de Hugues SauryHugues Saury :

Fin novembre, plusieurs attaques terroristes revendiquées par Al-Qaïda ont visé, simultanément et en plusieurs points, la force Barkhane dans le nord du Mali. Heureusement, aucune victime n'est à déplorer, et il n'y a que quelques dégâts matériels, notamment à Kidal, à la suite de tirs de roquettes et d'obus. Comment expliquer cette coordination offensive nouvelle et comment y faire face ? Les terroristes sont-ils mieux équipés et, surtout, mieux organisés ? Cela fait-il évoluer notre stratégie sur place ?

Général Marc Conruyt. - Madame Conway-Mouret, vous avez parlé d'éventuels changements tactiques. Il serait illusoire de croire, comme certains, que l'on pourrait neutraliser les GAT uniquement en se reposant sur l'action de forces spéciales et les frappes aériennes. C'est la combinaison durable de tous les moyens à notre disposition - forces terrestres, forces aériennes, moyens de renseignements, etc. - qui nous rend efficaces. Sans cela, nous ne serions pas capables de lutter contre la tactique principale des GAT : se camoufler et se fondre dans la population. Les troupes terrestres sont essentielles pour leur contester le milieu, les contraindre dans leurs déplacements, pour fouiller et détruire leurs zones refuges, leurs camps d'entraînement. Nos résultats tactiques sur le terrain ont toujours été le fruit de la meilleure articulation entre nos différents moyens. De ce point de vue, nous avons acquis une grande maturité tactique, face à un ennemi qui évolue sans cesse.

Avec l'opération Bourrasque, nous avons déjà combattu aux côtés de forces sahéliennes. Il y a trois semaines, notre groupement commando a mené avec une section malienne des combats dans le Gourma. Nous avons combattu ensemble à 50/50, et demain, ce sera peut-être 25/75, avec un quart de forces françaises et trois quarts de forces sahéliennes ; nous n'en sommes pas encore là, mais nous avons progressé dans ce domaine.

Monsieur Yung, en termes de commandement, la Task Force Takuba est directement sous mes ordres, sans aucune ambiguïté possible.

Vous avez également évoqué les divergences entre AQMI et l'EI. Ces deux franchises, depuis plusieurs mois, ne cessent de se combattre. Bien entendu, tout ce qui permet d'affaiblir les deux groupes, ensemble ou séparément, nous intéresse, et nous cherchons à l'exploiter.

Concernant la délicate question des négociations, la position de notre pays a été fixée par le Président de la République. Il n'est pas question de négocier avec les groupes terroristes. À mon niveau, elle a été rappelée de façon très claire par le chef d'état-major des armées. Nous regardons la situation de près, car cela peut avoir des conséquences sur Barkhane. Lors de la libération des prisonniers djihadistes en plein milieu de l'opération Bourrasque, la question s'est posée de l'impact sur le moral des soldats, de la réaction des familles. Le chef d'état-major des armées, très rapidement, a donné notre position sur le sujet, ce qui a permis de clarifier les choses. Nos soldats savent pourquoi ils sont là ; ils connaissent le sens de leur mission, aux côtés de leurs camarades sahéliens.

Monsieur Roger, la Libye ne fait pas partie de ma zone d'opération, mais nous surveillons la situation, qui peut avoir un impact au Sahel. Quant à l'implication de l'OTAN, très honnêtement, je ne peux pas vous répondre.

L'implication de l'Algérie reste fondamentale dans la résolution de la crise sahélienne. Une relation plus approfondie, plus directe entre militaires français et militaires algériens serait sans doute utile, afin d'expliquer les objectifs poursuivis par Barkhane et de répondre à certains préjugés concernant l'action militaire française au Sahel.

Monsieur Cigolotti, nos dernières opérations n'ont pas de rapport avec la question des négociations. Les opérations conduites, notamment dans le Gourma contre le RVIM, sont fondées essentiellement sur du renseignement ; d'autres opérations ont été menées parce que nous nous sommes retrouvés face au RVIM dans nos zones d'opérations. Je n'ai jamais reçu la moindre directive pour lier mes opérations à la dynamique des négociations ou à un exercice de communication particulier.

Monsieur Allizard, depuis ma prise de commandement, dans toutes les opérations menées, je n'ai pas été le témoin de la présence d'enfants soldats. Je sais que la question a été soulevée l'été dernier ; nous restons très attentifs à ce sujet.

Madame Lopez, je vous le confirme, l'utilisation du drone Reaper, doté de fonctions de renseignement et de frappe, est de première importance. Les drones Reaper armés viennent s'ajouter aux autres moyens de frappe, avec une possibilité d'observation d'une durée bien supérieure. Nous attendons la nouvelle version, qui nous permettra d'être encore plus précis et plus efficaces.

Monsieur Le Gleut, sachez que les deux groupes terroristes font l'objet, de notre part, de la même attention. Certes, lors du sommet de Pau, il nous avait été demandé de nous concentrer sur l'EIGS, mais nous n'avons jamais négligé le RVIM. Un certain nombre des emprises de Barkhane, à Gossi, Gao ou Tombouctou, se trouvent dans la zone d'action du RVIM. Et ce n'est pas parce que nous venons de frapper le RVIM assez durement dans le Gourma que nous allons relâcher notre effort contre l'EIGS dans le Liptako, où nous poursuivons en parallèle nos opérations. L'EIGS ne doit pas relever la tête après tous les efforts accomplis depuis le sommet de Pau ; et nous devons continuer d'affaiblir le RVIM.

Enfin, monsieur Saury, les attaques indirectes que nous avons subies, par des mortiers et des roquettes, sont un sujet de préoccupation permanent. Nous avons été attaqués simultanément, sur des emprises différentes, mais ce n'est pas la première fois que nous devons faire face à de telles attaques. Le RVIM, au regard des pertes que nous lui avons infligées, a besoin de réagir sur le plan de la communication et Barkhane, symboliquement, représente une cible opportune. À cela s'ajoute l'arrivée d'un nouvel émir, successeur d'Abdelmalek Droukdel à la tête d'AQMI, qui souhaite probablement marquer son territoire.

Nous réfléchissons en permanence à la manière de contrer cette menace. Ce n'est pas facile, nos ennemis agissent la nuit, ils se mettent en position de tir en quelques minutes, envoient deux ou trois roquettes et disparaissent. Heureusement, lors de l'attaque, tous nos moyens de prévention ont fonctionné et permis de mettre nos soldats à l'abri.

Nos ennemis sont-ils mieux équipés ? Non, les mois précédents, à Gossi ou Tombouctou, ils nous avaient frappés avec les mêmes moyens qui restent rudimentaires.

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