Intervention de Hector Michel Mujica Ricardo

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 décembre 2020 à 9h30
Situation du venezuela — Audition de s.e. M. Hector Michel mujica ricardo ambassadeur de la république bolivarienne du venezuela auprès de la république française et des principautés de monaco et andorre

Hector Michel Mujica Ricardo :

Jusqu'en 2015, le Venezuela, qui est un pays de migrants, possédait un bilan migratoire positif. Durant la guerre civile colombienne, le Venezuela a accueilli près de 4 millions de Colombiens. En outre, sous la IVe République, avant l'arrivée d'Hugo Chávez, un demi-million de Vénézuéliens résidaient aux États-Unis -, des entrepreneurs, des techniciens, des ingénieurs, etc.

À quel moment le bilan migratoire est-il devenu négatif ? Au moment des mesures financières prises contre le Venezuela et des sanctions imposées par les États-Unis. Avec le décret Obama, le processus qui a débuté avec George W. Bush se radicalise.

Je ne sais pas si 4 ou 5 millions de personnes ont fui le pays, d'autant que l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) dispose de chiffres différents, mais il s'agit d'un problème majeur que le Venezuela doit affronter. Je rappelle qu'en 2008, 21 % des Portugais avaient quitté leur pays.

La pandémie étant bien contrôlée au Venezuela, certains de nos citoyens qui vivaient en Colombie, en Équateur, au Pérou et au Chili, commencent à rentrer. Ces Vénézuéliens ont choisi le retour car ils ont été les victimes, notamment en Colombie, d'actes xénophobes - des compatriotes ont même été assassinés. Ces faits n'ont pas été relayés par la presse.

Le gouvernement vénézuélien doit faire face à un défi. Il doit mener une politique migratoire à long terme, avec l'aide d'organismes internationaux fiables.

Quand commence la débâcle économique au Venezuela ? Après la mort du commandant Chávez, depuis les sanctions économiques et les mesures financières prises en particulier par les États-Unis. Personne ne la nomme, mais il s'agit d'une guerre. Le président n'est pas l'auteur de cette crise économique. S'il a pu se tromper en prenant quelques mesures économiques qui se sont révélées mauvaises, il n'est pas responsable de cette terrible crise économique.

La projection estimée de la perte totale de l'économie vénézuélienne, entre 2015 et 2019, en raison du blocus et des sanctions, s'élève à 130 milliards de dollars. Ce chiffre représente deux fois le produit intérieur brut (PIB) de l'Uruguay et du Costa Rica, et la moitié du PIB du Portugal. Il représente 70 % du PIB de la Hongrie et quatre fois le PIB de la Lettonie.

Les médias français parlent très peu des sanctions. Mais chaque institution, chaque organisation doit avoir le droit d'être prise en compte.

Notre mission diplomatique est reconnue par la France, et je suis reconnu comme ambassadeur sur la liste diplomatique du Quai d'Orsay. Pourtant, nous avons passé dix-sept mois sans compte bancaire en France. Imaginez-vous les conséquences ! Et cela, simplement parce que le département du Trésor des États-Unis donnait des instructions visant à empêcher les diplomates d'exercer les missions qui leur incombent, selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

La France a pourtant été capable d'exercer un rôle de médiateur sous le gouvernement du président Hollande, parfois même au travers de déclarations importantes. Lorsque l'ex-secrétaire général de l'Union des nations américaines (Unasur - Unión de Naciones Suramericanas) s'est rendu en France, le président avait en effet prôné le dialogue.

Pourtant, au mois d'août 2018, lorsque le président Maduro a été visé par des attaques de drones, j'ai été surpris qu'aucun pays de l'Union européenne ne publie de communiqué condamnant ces agissements. Et que je sais parfaitement que dans d'autres pays, il y a des milliers de prisonniers politiques, et pourtant, personne ne dit mot. Il y a donc une politique de « deux poids, deux mesures » à l'encontre de mon pays ! C'est inacceptable en diplomatie.

Nous sommes ouverts au dialogue à propos d'élections, mais pas sur des dates qui nous renverraient à 2021 : cela doit se faire dans le respect des dates qui sont inscrites dans la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela. J'ajoute que lors des élections législatives, les observateurs internationaux en présence n'étaient pas seulement russes ou chinois, mais aussi français, belges, portugais, espagnols... L'ex-président espagnol José Luis Rodríguez Zapatero en faisait d'ailleurs partie. Allez-vous me dire que c'est un dictateur ? Croit-il que notre système électoral est suspect ? Qu'il prête à soupçons ? Non ! Mesdames et messieurs les sénateurs, observez comment fonctionne notre système électoral. À l'époque de la réforme constitutionnelle menée par le président Chávez, en 2007, l'écart entre les perdants et les gagnants du référendum était de 0,17 %. Pourtant, en moins d'une heure, le président avait a reconnu la défaite. Lors du coup d'État du 11 avril 2002, il a reconnu qu'il fallait libérer tous les putschistes, se conformant ainsi à la décision du Tribunal suprême de justice. Par ailleurs, c'est une erreur de croire qu'un homme comme Juan Guaido représente la démocratie au Venezuela. Il ne représente ni l'opposition démocratique vénézuélienne, ni le peuple vénézuélien, car il est perçu comme un traître qui réclame des sanctions contre notre pays, et qui organise des opérations militaires pour déstabiliser le régime. Il ne s'agit pas seulement de fragiliser le régime de Nicolás Maduro Moros, mais plutôt la nation toute entière. Il veut détruire la souveraineté nationale.

Nous avons beaucoup souffert, et nous devons à tout prix éviter de fouler aux pieds un peuple comme les Vénézuéliens. Au dix-neuvième siècle, nous avons mené toute une série de guerres d'indépendances dans le monde, auxquelles des Français ont d'ailleurs participé. De grandes figures vénézuéliennes ont aussi activement pris part à la révolution contre la monarchie absolue en France, à l'image de Francisco de Miranda, maréchal de camp à la bataille de Valmy.

Ce que nous voulons, c'est la communication et le dialogue. Levez les sanctions ! Laissez s'exprimer le peuple vénézuélien ! S'il décide, lors des prochaines élections, d'élire de nouveaux gouverneurs, de nouveaux maires, ou un nouveau président, nous l'accepterons. Mais je crois que le président Maduro est le seul homme politique qui serait à même d'accepter une victoire ou une défaite.

On parle souvent des droits de l'homme pour justifier les atteintes à la souveraineté. Pourtant, après la première visite de l'ancienne présidente Bachelet au Venezuela en tant que Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, nous avons établi un bureau des droits de l'homme. Celui-ci rend compte directement de la situation du pays à Mme Bachelet. Nous essayons à tout prix d'effectuer une surveillance des éventuelles violations de ces droits. Mais ce que nous n'accepterons jamais, c'est la destruction d'une nation en vertu de la « responsabilité de protéger ». Lorsqu'on détruit la souveraineté, on détruit toute une nation et tout un peuple. C'est le problème fondamental.

Nous sommes prêts à nous ouvrir à la discussion, même auprès de n'importe qui. Même le diable ! Mais levez les sanctions en retour, qui sont énormes. Une bonne partie de l'économie vénézuélienne est aujourd'hui paralysée. Les revenus dérivés du pétrole étaient d'environ 100 milliards de dollars par an en 2012-2013. Aujourd'hui, ils ne dépassent pas les 500 millions de dollars, en raison des sanctions financières imposées par les États-Unis. Comment peut-on tenir une situation économique sous ces conditions ? J'insiste, le plus important est la communication. Si le gouvernement français souhaite engager le dialogue, nous l'accueillerons à bras ouverts.

Le Venezuela subit la réunion de quatre facteurs négatifs, avec d'abord la crise économique mondiale, mais aussi la crise du modèle économique vénézuélien. Nous ne pouvons pas continuer sur le modèle rentier pétrolier. C'est impossible. Pourtant, celui-ci tient depuis cent ans, c'est-à-dire depuis le début de l'exploitation des puits. Les autres facteurs concernent les sanctions et les mesures coercitives unilatérales. Même en période de pandémie mondiale, et alors que même le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, avait voulu prendre en compte ce contexte, les États-Unis ont refusé de relâcher la pression. Je suis donc très reconnaissant envers le président Cambon de m'avoir laissé exprimer mon point de vue.

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