Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 janvier 2021 à 10h05
Audition de Mm. Pierre Moscovici premier président et christian charpy président de la première chambre de la cour des comptes sur le rapport public thématique « les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance »

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Merci de m'avoir invité à vous présenter le rapport public thématique de la Cour sur le cadre organique et la gouvernance des finances publiques.

Avant d'y venir, je tiens au nom des juridictions financières et en mon nom personnel à vous transmettre, à toutes et tous, mes voeux les plus sincères pour cette nouvelle année 2021. J'espère qu'elle nous apportera la sérénité - sinon budgétaire, au moins humaine - qui nous a manqué en 2020 et qu'elle nous rendra le sourire.

Le rapport de la Cour que je vous présente aujourd'hui est le fruit d'un long et important travail, qui a mobilisé une équipe nombreuse au sein d'une formation interchambres et que nous avons publié en novembre dernier. Il compte beaucoup pour nous, et pour moi, et nous avions à coeur, depuis le début, de le partager avec le Parlement, car vous êtes bien sûr, en particulier sur ces sujets, des interlocuteurs privilégiés.

Plusieurs membres de la Cour sont présents à mes côtés : Christian Charpy, le président de la première chambre, Cécile Fontaine, la rapporteure générale de ce travail, ainsi que Cyprien Canivenc, auditeur. D'autres membres de l'équipe de contrôle, ainsi que notre rapporteure générale n'ont pu, en raison des limitations liées au contexte sanitaire, se joindre à nous, mais je tiens à souligner leur contribution, et je veux à nouveau les remercier chaleureusement pour la qualité du travail fourni.

Notre rapport public thématique intervient, vous le savez, près de vingt ans après l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, adoptée en 2001. La Cour a eu plusieurs fois l'occasion de s'exprimer sur le bilan de ce texte. Elle l'a notamment fait en 2011, dans un rapport public dédié aux dix ans de la LOLF, mais elle le fait très régulièrement, notamment dans les travaux sur le budget de l'État, particulièrement en 2018 et 2019, dans le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques ou dans d'autres rapports thématiques.

Nous avions pour projet initial de publier cette année, en 2021, un rapport portant sur les vingt ans de la LOLF.

De son côté, la commission des finances de l'Assemblée nationale a décidé en 2019 de reconstituer la mission d'information sur la LOLF (MILOLF), qui a réalisé un important travail sur le sujet, accompagné de quarante-cinq propositions. Je sais que des contacts ont été noués, au début de l'année 2020, entre les présidents et les rapporteurs généraux des deux commissions des finances pour examiner les initiatives que le Parlement pourrait prendre pour renforcer le cadre organique qui régit nos textes financiers.

Pour sa part, la Cour a souhaité avancer et élargir ses travaux sur la LOLF, à la fois pour soutenir cet élan et pour contribuer, à son niveau, au renforcement du cadre de gouvernance des finances publiques dans leur ensemble.

Il se trouve que la crise actuelle nous a conduits à faire à nouveau évoluer nos travaux. En effet, nous savons désormais, comme vous, que cette crise laissera sur nos finances publiques une empreinte durable ; il faut bien sûr en tenir compte. L'évolution de la gouvernance des finances publiques est une des solutions pour une sortie de crise et est partie intégrante de la mission confiée à la commission dirigée par Jean Arthuis.

Nous avons donc décidé, comme nous le faisons pour l'ensemble de nos travaux, d'intégrer les conséquences de la crise à nos réflexions en cours afin de publier un rapport thématique qui prenne en compte le nouveau paysage des finances publiques.

Car ce nouveau paysage, durablement dégradé, ne rend pas obsolète la réflexion sur l'évolution du cadre organique et de la gouvernance des finances publiques. Au contraire, il souligne son actualité et sa nécessité, puisque la crise met en évidence les limites du cadre en vigueur et renforce la nécessité à la fois d'ancrer la soutenabilité de la dette publique, qui sera un des grands sujets des années à venir, et d'améliorer l'efficacité des politiques publiques et la qualité de la dépense publique. Comme nous avons eu l'occasion de le souligner déjà dans notre rapport de juin 2020 et comme j'ai pu le rappeler à plusieurs reprises en tant que président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et Premier président de la Cour des comptes, une trajectoire de redressement structurel des finances publiques devra être élaborée et engagée à travers une nouvelle loi de programmation des finances publiques dès que les conditions économiques le permettront. Il me semble nécessaire d'insister de nouveau sur ce point. Nous sommes convaincus que cette trajectoire doit s'inscrire dans un cadre rénové.

Pour dresser le bilan de la stratégie pluriannuelle existante et contribuer à dessiner ce futur cadre, notre rapport s'est appuyé sur plusieurs de nos travaux, des enquêtes spécifiques, des auditions et des comparaisons internationales.

Il est organisé en trois parties, que je vous présenterai successivement.

La première partie porte sur les modalités de pilotage et de programmation des finances publiques, qui doivent permettre d'assurer leur soutenabilité ; la deuxième examine l'excessive fragmentation de l'architecture d'ensemble des finances publiques et formule des propositions pour y remédier ; la troisième, enfin, se concentre sur la structure émiettée du budget de l'État et l'efficience de ses politiques et propose un nouveau cadre pour revenir à l'esprit initial de la LOLF.

Notre rapport formule au total seize recommandations pour renforcer le cadre organique et la gouvernance de nos finances publiques, qui s'articulent avec un grand nombre de propositions déjà formulées par la Cour par le passé. Nous avons choisi de ne proposer que des orientations pouvant être mises en oeuvre sans modification constitutionnelle. C'est un choix important, que nous assumons pleinement, car réformer le texte suprême prend du temps et consomme beaucoup d'énergie, alors que la situation actuelle appelle des mesures rapides et opérationnelles. Par ailleurs, et à l'exception de sa troisième partie, centrée sur l'État, le rapport porte sur l'ensemble des administrations publiques.

J'en viens donc au contenu du rapport lui-même.

J'aborderai d'abord la programmation et le pilotage des finances publiques.

Notre rapport souligne en préambule l'intérêt d'une vision pluriannuelle des finances publiques. Je serai bref sur ce point, mais rappelons que la démarche de programmation à moyen terme vise à assurer la cohérence et la soutenabilité de l'action publique dans la durée.

Elle est donc indispensable dans une situation comme celle que nous traversons actuellement, où le creusement massif du déficit et de la dette impose un redressement graduel - le rôle de la Cour n'est pas de plaider pour l'austérité -, mais ferme. Des mesures exceptionnelles doivent être prises dans cette situation qui ne l'est pas moins, et des services publics doivent être renforcés et confortés. Cette vision est donc essentielle pour préparer et mener des réformes.

Ne tombons pas dans l'illusion selon laquelle la dette s'annulerait ou se monétiserait. À la fin, une dette se rembourse toujours.

Depuis plus de dix ans déjà, l'horizon du temps long s'est progressivement imposé en France dans la gouvernance des finances publiques. La révision constitutionnelle de 2008 a créé les lois de programmation des finances publiques (LPFP), au sein de l'article 34 de la Constitution. Ce dernier mentionne désormais l'existence d'« orientations pluriannuelles des finances publiques » qui doivent s'inscrire dans l'« objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ». Le contenu de ces lois de programmation a ensuite été précisé par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, que j'ai eu l'honneur de présenter devant le Parlement lorsque j'étais ministre des finances, qui a également créé le Haut Conseil des finances publiques et a été adoptée le 17 décembre 2012.

Le cadre de programmation a donc été considérablement renforcé et structuré depuis 2008, mais notre rapport montre aussi que ce cadre, très complet sur le papier, revêt, dans la pratique, une portée limitée. Le bilan de dix ans de mise en oeuvre de stratégies pluriannuelles est plutôt mitigé, pour ne pas dire décevant.

Depuis 2008, cinq lois de programmation des finances publiques ont été votées, mais leur mise en oeuvre a été marquée par des dérapages répétés : leurs objectifs ont en effet rarement été atteints, qu'il s'agisse de la variation du déficit structurel ou encore des objectifs de dépenses, de recettes ou de dette publique. Par exemple, la LPFP 2014-2019 prévoyait que la progression en volume de la dépense publique devait être contenue à moins de 0,3 % sur la période ; or celle-ci a atteint près de 1,2 %.

Concernant la dette, il est inutile d'insister sur le fait que les objectifs de stabilisation puis de réduction n'ont jamais été respectés, avant même la période actuelle ; la France a ainsi abordé cette crise avec un endettement plus important que prévu et plus élevé que celui de ses partenaires européens - la Cour l'a déjà dit ; elle le redira.

Alors, comment expliquer ce décalage entre le cadre juridique existant et sa portée effective ? Nous avons identifié deux faiblesses principales.

La première concerne l'inefficacité des forces de rappel prévues par les textes. La loi organique de 2012 a bien institué un mécanisme de correction, censé être déclenché en cas d'écart à la trajectoire, mais celui-ci contient des flexibilités importantes, qui ont empêché de prévenir et de corriger les écarts répétés qui ont été constatés. Dans les faits, au lieu d'adopter des mesures de correction, le choix a plutôt été de présenter une nouvelle LPFP se contentant de décaler la trajectoire de retour à l'équilibre. C'est ce qui a été fait en 2014, après que le HCFP a déclenché le mécanisme.

La deuxième faiblesse, c'est l'articulation défaillante entre les différents textes financiers, laquelle s'explique principalement par des raisons de hiérarchie des normes - les LPFP ne peuvent pas s'imposer aux lois de finances et de financement -, mais aussi par des raisons de calendrier - les exercices pluriannuels organisés au printemps et à l'automne étant largement déconnectés. Les programmes de stabilité présentent ainsi, presque systématiquement, des trajectoires financières distinctes de celles de la loi de programmation adoptée quelques mois auparavant. La logique voudrait pourtant que cette loi soit l'exercice moteur.

Cette faible portée des mécanismes actuels de pluriannualité entame considérablement la crédibilité des exercices de programmation des finances publiques, mais ce n'est malheureusement pas son unique inconvénient. Elle affaiblit aussi la pertinence de l'allocation des moyens financiers à des politiques publiques par essence pluriannuelles.

Le renforcement du cadre pluriannuel, indispensable, doit donc nous permettre d'améliorer notre capacité à faire des choix et à nous y tenir, alors que cette capacité sera plus essentielle que jamais dans les années à venir.

Les comparaisons internationales présentes dans le rapport montrent que ce renforcement est possible et mettent en évidence, chez nos principaux partenaires de la zone euro, quelques éléments clefs du succès. Je voudrais vous en citer quelques-uns, car je les trouve éclairants.

D'abord, dans ces pays, le pilotage des finances publiques bénéficie d'un engagement fort au niveau politique. Aux Pays-Bas, par exemple, c'est l'accord de coalition au sein de la formation gouvernementale qui fixe les plafonds pluriannuels de dépense pour la durée de la législature. C'est aussi le cas en Finlande. Dans ces pays, la pluriannualité des finances publiques fait consensus dans les coalitions.

Ensuite, les cibles de dépense sont stables et couvrent un large périmètre. Toujours aux Pays-Bas, le pilotage des finances publiques est organisé autour d'un plafond global qui représente environ 85 % de la dépense des administrations publiques et qui est divisé en sous-objectifs. Le Danemark s'appuie, quant à lui, sur une enveloppe pluriannuelle couvrant 75 % des dépenses publiques. Comparaison n'est pas raison et je n'omets pas, bien sûr, les différences qui nous séparent de ces pays qu'on qualifie souvent de « frugaux » et qui jouent parfois dans le concert européen un rôle de frein plus que de moteur. S'ils sont « frugaux », pourtant, c'est parce qu'ils estiment que leur propre frugalité a payé pour eux et qu'ils ne souhaitent pas payer pour les autres. Notons tout de même que les dépenses publiques sous norme représentent en France à peine plus du tiers du total des dépenses. C'est dire notre marge de progrès.

Dans ces différents pays, il existe, enfin, des mécanismes de flexibilité qui permettent de respecter les enveloppes définies, même en cas d'imprévus. Concrètement, ce dispositif passe par un système de provisionnement, comme en Suède, ou par des redéploiements, comme aux Pays-Bas. En France, deux de nos cinq LPFP avaient prévu des réserves de programmation, mais les enveloppes définies étaient faibles et concentrées sur le seul budget de l'État.

Pour résumer, que nous révèlent ces exemples étrangers ? Élaborer et respecter une trajectoire pluriannuelle crédible en matière de finances publiques est possible à condition de respecter deux prérequis : un engagement politique affirmé et partagé ainsi que des procédures de qualité. Nous avons besoin des deux.

Le premier point n'est pas de notre ressort : il est de nature politique. En revanche, nous faisons plusieurs propositions sur le second point.

Tout d'abord, nous proposons de fixer une trajectoire financière soutenable, réaliste et transparente, avec des enveloppes de dépenses et de mesures nouvelles sur les recettes fixées en milliards d'euros et un budget triennal glissant pour l'État.

Ensuite, nous suggérons d'imposer la transparence : les écarts entre les lois financières annuelles et la trajectoire adoptée en LPFP doivent être décomptés et expliqués chaque année, d'abord au Parlement. En parallèle, il faut clarifier les modalités de prise en compte des aléas, avec une provision de programmations fixée en LPFP. De surcroît, il faut procéder à des revues de dépenses. Lorsque j'étais commissaire européen, j'ai constaté à quel point ces méthodes étaient développées chez nos partenaires, alors qu'elles sont peu répandues chez nous. Ces revues de dépenses sont indispensables pour garantir le respect de la trajectoire, selon un calendrier défini en LPFP.

Enfin, il faut établir le budget sur trois années glissantes pour qu'il s'articule mieux avec la programmation - la Milolf l'a également proposé.

Parce qu'une bonne trajectoire doit être surveillée, nous formulons deux recommandations en la matière.

Premièrement, il faut élargir le mandat du HCFP. C'est bon pour le Gouvernement, qui bénéficierait d'un débat plus approfondi sur ses propres options. C'est bon pour le Parlement, qui disposerait de données supplémentaires pour exercer sa mission de contrôle. C'est bon pour le citoyen, qui a toujours besoin de tiers de confiance indépendants. Le HCFP doit pouvoir apprécier le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses et identifier les risques d'écart à la trajectoire. J'y suis tout particulièrement attaché, car je crois au débat démocratique sur les finances publiques.

En Europe, les autres institutions budgétaires indépendantes disposent de compétences et de moyens beaucoup plus étendus. Nous avons commencé sur des bases étroites et nous avons maintenant huit ans d'expérience. L'Union européenne dispose de son propre conseil budgétaire, le European fiscal board. Il faut tirer les leçons de cette expérience et faire un pas en avant : il sera modeste, mais, et il me semble essentiel d'en discuter à la fois avec le Gouvernement et avec les commissions des finances des deux chambres.

Deuxièmement, il faut instaurer un débat annuel sur la dette publique et sa soutenabilité, qui nous semble plus que jamais d'actualité.

La deuxième partie du rapport insiste sur la nécessité de rétablir une vision globale des finances publiques.

Le cadre dans lequel se déploie la dépense publique est fondamental : il détermine à la fois les choix de l'action publique, les conditions de vote du Parlement, les modalités de contrôle et la clarté de l'information transmise, notamment aux citoyens. Or, en France, ce cadre est fragmenté, à l'image de notre système institutionnel.

Tout d'abord, contrairement à beaucoup d'idées reçues, le poids de l'État dans la dépense publique est plus modeste en France qu'à l'étranger : il s'élève à 35 %, contre 38 % en moyenne dans l'Union européenne et 80 % au Royaume-Uni.

Ensuite, les recettes publiques sont réparties entre les différents niveaux d'administration publique sans cohérence d'ensemble. Ainsi, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est affectée à la fois au budget général de l'État, à un compte d'affectation spéciale (CAS), aux régions, aux départements et à l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afitf). L'affectation de la TVA est à peine plus simple. Quant à la sécurité sociale, aujourd'hui, elle n'est plus financée qu'à 50 % par des cotisations sociales. De tout cela résulte une forte confusion.

Enfin, la gouvernance d'ensemble et le pilotage global sont insuffisants. En théorie, la trajectoire nationale des finances publiques devrait découler de l'addition des trajectoires financières de tous les secteurs d'administration publique. En pratique, cette méthode ne fonctionne pas, parce que les textes financiers sont disparates, peu coordonnés, et que les lois financières annuelles ne couvrent que les trois quarts de notre dépense publique. Il n'existe d'ailleurs pas de mécanisme ou d'instance de coopération entre les différentes catégories d'administration publique, comme c'est le cas en Allemagne ou en Espagne. Une Conférence nationale des finances publiques avait bien été créée, mais elle n'a été réunie que trois fois.

Cette fragmentation n'est pas une simple gêne cosmétique : elle présente des inconvénients concrets majeurs.

Notre cadre institutionnel est si complexe qu'il affecte la capacité à lire et à comprendre les équilibres entre les recettes et les dépenses des administrations publiques. Les différents soldes n'ont plus qu'une signification très limitée, alors qu'ils orientent des choix souvent décisifs.

De plus, la répartition des recettes et les décisions prises depuis plusieurs années pour le financement de la sécurité sociale et des collectivités territoriales ont conduit à concentrer sur l'État la plus grande partie du déficit et de la dette des administrations publiques. Cette situation résulte du rôle, fondamental dans la crise actuelle comme en 2008, d'assurance collective que joue l'État en France. Mais le risque, à l'issue de la crise, est que la majeure partie de l'effort de redressement soit assumée par le budget de l'État. Nous défendons, à l'inverse, l'idée d'un partage équitable de l'effort entre les différents niveaux d'administration publique, ce qui exige de disposer d'une vision globale des finances publiques.

En outre, le consentement à l'impôt suppose l'adhésion aux dépenses qu'il autorise : il est donc indispensable de garantir la transparence et la lisibilité du budget. Pour redresser nos finances publiques dans les prochaines années, nous devons disposer d'une information globale, fiable et compréhensible par toutes et tous.

À cet égard, nous formulons plusieurs recommandations, conçues pour être mises en oeuvre sans réviser la Constitution : associer la sécurité sociale et les collectivités territoriales à l'objectif de soutenabilité des finances publiques en créant une instance de concertation pérenne et en fixant en LPFP les règles de partage des impôts et de garantie de ressources entre administrations publiques ; instaurer dans chaque assemblée une discussion générale préalable à l'examen des projets de loi de finances (PLF) et des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), portant sur les recettes publiques, leur partage et les conditions de l'équilibre des finances de l'État et de la sécurité sociale ; étendre et clarifier les lois financières, notamment les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS). Selon nous, ces derniers textes devraient être élargis aux régimes de retraite complémentaire obligatoires et à l'assurance chômage.

À cette fin, il faudrait créer une loi de résultat de la sécurité sociale, présentée au printemps, sur le modèle de la loi de règlement.

Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, l'option d'une loi de financement des collectivités, que la Cour des comptes a envisagée par le passé, n'a pas été retenue, en tout cas pas dans ce cadre : elle imposerait de modifier la Constitution. Nous proposons plus modestement la création d'une mission budgétaire rassemblant tous les concours versés par l'État aux collectivités - crédits budgétaires, prélèvements sur recettes, remboursements, dégrèvements d'impôts locaux, etc. L'examen de cette mission deviendrait le cadre de discussion des finances locales devant le Parlement : cette formule de repli nous semble réaliste et crédible.

La troisième partie du rapport se concentre sur le cadre budgétaire de l'État. Nous nous intéressons de près au dispositif prévu par la LOLF, texte consacré avant tout à l'État.

Le premier constat, c'est l'émiettement croissant du budget de l'État, qui est tout aussi préoccupant que la fragmentation des finances publiques. À l'extérieur comme à l'intérieur de ce budget, les dispositifs dérogatoires subsistent, malgré la LOLF, et même se multiplient : dépenses fiscales, impôts et taxes affectés, fonds sans personnalité juridique, comptes spéciaux et autres budgets annexes portent atteinte aux principes fondamentaux d'unité et d'universalité du budget de l'État.

Le second constat, c'est la concentration de l'autorisation parlementaire sur les dépenses du budget général. Le rôle et le pouvoir du législateur s'en trouvent affaiblis, car les sommes échappant aux règles de contrôle et de pilotage en vigueur sont très significatives.

Pour rétablir l'unité et l'universalité budgétaires, nous proposons de compléter les missions budgétaires actuelles en élargissant l'information qu'elles fournissent. Y figureraient désormais, non seulement les crédits budgétaires, mais aussi les dépenses fiscales, les prélèvements sur recettes, les taxes affectées et, plus largement, l'ensemble des moyens déployés par l'État pour financer et soutenir une politique publique. La pertinence de l'ensemble des dérogations au droit commun budgétaire devrait être examinée de manière systématique au cours d'une période de transition de trois à cinq ans avant l'entrée en vigueur définitive d'un nouveau dispositif. Les comptes spéciaux et budgets annexes feraient l'objet d'une attention particulière.

Enfin, l'ambition initiale de la LOLF était de favoriser l'efficience de la dépense publique. Or cet objectif reste beaucoup trop marginal comparé au maintien ou à l'augmentation des enveloppes budgétaires.

Je ne peux pas me résoudre à l'idée que nous soyons le seul pays européen considérant comme négligeable la recherche de la meilleure politique au meilleur prix. Chaque jour, dans leurs achats, les Français recherchent le meilleur rapport qualité-prix. Pourquoi ne feraient-ils pas de même en tant que citoyens, contribuables et usagers du service public ?

Les bouleversements que nous traversons imposent, plus que jamais, de nous concentrer sur la qualité et l'efficacité de la dépense publique. C'est impératif pour faire face aux conséquences de la crise sur notre économie et financer les nouvelles priorités que les autorités politiques vont définir.

Nous proposons donc d'appliquer la démarche de performance, non plus aux seuls crédits budgétaires, mais à l'ensemble des moyens des politiques publiques ; de conforter la vision pluriannuelle du budget, pour renforcer l'évaluation à moyen terme des politiques publiques en accompagnant les lois de règlement d'un bilan de l'exécution sur trois ans ; enfin, de clarifier et de renforcer la responsabilité des gestionnaires publics pour qu'ils disposent des leviers nécessaires à leurs missions, notamment en réduisant la mise en réserve générale des crédits.

En résumé, la crise actuelle nous invite à définir une nouvelle stratégie de finances publiques, qui impose un cadre organique et une gouvernance rénovés en profondeur. C'est à ce prix que le pays pourra redresser les finances publiques en préservant au mieux les politiques publiques, auxquelles les Français sont attachés, sans renoncer à de nouvelles ambitions. Cet effort ne suffira pas ; mais, sans lui, nous n'y parviendrons pas.

Nous n'appelons pas au grand soir, mais simplement au pragmatisme. Sous l'influence du cadre européen, la crise de 2008 a conduit à l'adoption d'une loi organique en 2012. Cette nouvelle crise doit nous aider à franchir une étape supplémentaire dans la construction de notre cadre de gouvernance. Les politiques publiques de demain exigeront davantage de projection dans le temps long, de coordination et de transparence. Sans ces éléments, nous ne pourrons pas relever les défis de la transition écologique, du vieillissement ou de l'adaptation de notre système de santé.

Ce rapport fournit plusieurs clefs de lecture de la situation actuelle, ainsi qu'un certain nombre de pistes concrètes pour rénover notre cadre de gouvernance financière. Nous espérons qu'il vous sera utile, ainsi qu'au Gouvernement, et nous sommes prêts à travailler avec vous sur les suites à donner à ces propositions pragmatiques et réalistes.

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