Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 janvier 2021 à 10h05
Audition de Mm. Pierre Moscovici premier président et christian charpy président de la première chambre de la cour des comptes sur le rapport public thématique « les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance »

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Je m'efforcerai de répondre à toutes ces questions, bien que certaines d'entre elles sortent du cadre du rapport qui est présenté ce matin.

Vous avez raison de souligner que les règles de l'Union européenne doivent être modifiées. Si on ne dispose pas de règles en matière de finances publiques, on peut s'affranchir de tout. J'ai pu constater en tant que ministre des finances et commissaire européen que les règles de l'Union ne sont plus adaptées. Nous allons vivre pendant dix ans avec une dette publique qui sera au mieux supérieure à 100 % du PIB, et le niveau de déficit restera, au moins jusqu'en 2025, supérieur à 3 %.

Il y a un besoin de cohérence avec les règles de l'Union européenne. La Cour des comptes, notamment dans son rapport du mois de juin, a mis en évidence deux angles : la dette publique d'un côté, et la dépense publique et sa qualité de l'autre, lesquels ont été confirmés depuis lors par le European Fiscal Board. Ce que nous proposons est cohérent avec les dispositions actuelles et je ne vois pas la nécessité d'attendre : il s'agit de mettre en oeuvre les règles de notre propre maison, en même temps que nous faisons évoluer les règles européennes.

Ce que vous avez évoqué permet de souligner des points de vue différents avec la Milolf ; je pense notamment à la temporalité. Les trois temps forts actuels des finances publiques ont leur raison d'être et méritent d'être approfondis.

Le mois d'avril, c'est le temps de l'exécution et de la performance, que nous proposons de renforcer avec une loi de résultats de la sécurité sociale au printemps. Le rapport sur le budget de l'État (RBDE) de la Cour des comptes restera publié au moment du dépôt de la loi de règlement. Des dispositions ont été prises pour que sa publication soit avancée l'an prochain à la mi-avril. Le mois d'avril, c'est aussi le temps du programme de stabilité : nous approuvons l'idée qu'il fasse systématiquement l'objet d'un débat et d'un vote au Parlement - vous le savez, le calendrier est serré, car ce programme doit être envoyé fin avril aux institutions européennes.

Les mois de juin et de juillet correspondent au cadrage des grands équilibres des textes financiers, à l'occasion du débat d'orientation des finances publiques. Il s'agit alors de faire le point sur l'exécution de l'année en cours. Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques intervient en juin, et permet depuis une quinzaine d'années de faire le point sur ces éléments de cadrage et de prévision. Ce pourrait aussi être celui du débat portant sur la soutenabilité de la dette publique.

Enfin, les lois financières sont présentées aux mois de septembre et d'octobre.

Nous pensons que ces trois temps ont toute leur pertinence.

Vous évoquiez, monsieur le rapporteur général, l'idée d'une distinction entre des lois fiscales, en juillet, et des lois de finances en matière de dépenses à l'automne. Selon nous, la question de l'équilibre budgétaire devrait être traitée à l'automne. Nous préférons garantir l'unité de la loi de finances en examinant ensemble les recettes et les dépenses. En contrepartie, il faudrait limiter assez drastiquement les mesures fiscales dans la loi de finances rectificative de fin d'année.

La Cour des comptes avait déjà recommandé en 2014 l'adoption d'une loi de financement des collectivités locales. Une telle évolution supposerait toutefois de réviser la Constitution : il n'est certes pas impossible de l'envisager pour la suite, mais c'est une décision politique. La Cour propose plutôt de regrouper l'ensemble des transferts financiers de l'État au bénéfice des collectivités locales au sein d'une nouvelle mission « Relations avec les collectivités territoriales » - chacune des catégories de transferts financiers garderait sa nature propre, sans fongibilité entre elles. Cela permettrait d'avoir une discussion générale sur les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

L'élargissement de la loi de financement de la sécurité sociale se limiterait, selon nous, aux régimes complémentaires de retraite ou à l'assurance chômage. Il paraît raisonnable de le faire en cinquante jours. L'examen du PLFSS est très long en France, en comparaison à d'autres pays qui passent plus de temps à examiner le projet de loi de règlement.

Faut-il sortir certaines dépenses des critères européens, pour ce qui concerne les OPEX, la recherche ou l'éducation par exemple ? Pour le moment, notre priorité est d'avoir des cibles de dépenses globales, sans exception.

Pour ce qui concerne la Conférence nationale des finances publiques, les dispositifs de concertation ont montré leur efficacité, notamment en Allemagne et en Espagne, où des mécanismes ont été mis en place pour assurer la convergence de tous les acteurs vers l'objectif d'équilibre des finances publiques à moyen terme. En 2021, plus que jamais, la soutenabilité financière relève d'une responsabilité collective. C'est pourquoi la Cour propose qu'une instance de concertation soit convoquée en amont du dépôt d'une loi de programmation des finances publiques et annuellement en début de procédure budgétaire. Cette instance n'aurait pas vocation à se substituer au rôle du Parlement, mais vise bien au contraire à ce que l'État, les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale identifient les arbitrages pouvant être rendus entre les sous-secteurs d'administration publique.

Le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) permet de compenser en partie la TVA payée par les collectivités sur leurs investissements.

Nous souhaitons qu'il existe un programme de revue de dépenses, articulé avec chacune des LPFP. Elles peuvent être réalisées par le Gouvernement - par des corps de contrôle par exemple -, ce qui n'empêche pas le Parlement de jouer un rôle particulier en la matière. Les revues de dépenses seraient l'une des composantes nécessaires d'un examen allongé de l'exécution budgétaire, que nous appelons de nos voeux. Cette pratique est assez largement répandue dans les pays de l'Union européenne.

J'en viens aux deux questions politiques posées par les sénateurs Karoutchi et Bocquet.

Il est évident que le débat sur la dette doit être pluraliste. Un débat qui n'est pas pluraliste n'est plus un débat : c'est un monologue, un acte d'autorité. La situation est en réalité plus complexe qu'elle ne le fut. Au début de la crise financière, la BCE n'intervenait pas du tout de la même façon qu'aujourd'hui. Avec le fameux « whatever it takes » de Mario Draghi à l'été 2012 sont arrivés les grands programmes d'injection de liquidités et la baisse des taux - jusqu'à des taux d'intérêt négatifs. Mais tout cela était absolument inenvisageable avant ; la BCE a fait évoluer son rôle de manière considérable.

D'ailleurs, le plan de relance européen de l'été dernier comprend, pour la première fois, une mutualisation limitée de la dette publique. Ne faisons donc pas comme s'il n'y avait pas de discussion. Toutefois, ce débat doit être réaliste et doit tenir compte de l'annulation de la dette notamment. Il y a toujours quelqu'un qui finit par la payer : les épargnants. La BCE, ce n'est pas que nous, les Français : ni dans son mandat ni dans sa composition. Aussi, la perspective d'une annulation de la dette ne peut exister ! On peut demander inlassablement l'annulation de la dette - c'est arrivé une fois, comme vous l'avez dit -, la BCE ne peut tout faire.

De la même façon, la dette publique ne sera pas intégralement mutualisée, pas davantage qu'elle ne sera annulée ou monétisée. Regardez plutôt le temps qu'il a fallu au moment du Conseil européen pour parvenir à cette avancée considérable, quoique limitée. Nous n'avons pas eu de « moment hamiltonien » de la construction européenne, et nous n'en sommes donc pas à un fédéralisme budgétaire, loin de là... Tout cela nous conduit à admettre que la dette doit être remboursée, au moins en partie, et qu'il nous faut une trajectoire soutenable de la dette publique. Madame Taillé-Polian, c'est dans ce cadre-là que nous pourrons traiter les grandes questions que sont la transition écologique, le vieillissement de la société et l'évolution du système de santé. Si l'on ne retrouve pas des marges de manoeuvre, la dette finira par les absorber. Le jour où les taux d'intérêt vont remonter - cela arrivera -, c'est notre capacité à financer nos politiques et nos services publics qui sera remise en cause. C'est pourquoi le débat sur la dette n'est ni de droite ni de gauche, c'est une question d'intérêt général. Il faut le mener avec le pluralisme et le réalisme nécessaires.

Je suis profondément en accord avec Roger Karoutchi. Lorsque j'avais présenté la loi organique en décembre 2012, nous avions eu un débat sur la règle d'or. Des mécanismes permettant d'assurer l'équilibre des finances publiques à moyen terme ont été mis en place partout en Europe. Je comprends que certains d'entre vous ne croient pas en cette instance qu'est le HCFP, mais c'est un instrument indispensable pour le Parlement. Plus le HCFP pourra délivrer des analyses et mettre en place des mécanismes efficients, plus le contrôle parlementaire retrouvera son sens. Il ne s'agit pas d'être contre l'exécutif - c'est d'ailleurs tout l'intérêt pour le Gouvernement d'avoir une instance indépendante. D'ailleurs, le HCFP compte des personnalités qualifiées nommées par les deux assemblées, dont l'ancien sénateur Éric Doligé, nommé par le Président du Sénat. Je propose que son mandat soit élargi afin que l'on puisse apprécier les prévisions en matière de finances publiques et, s'il le faut, réduire les écarts et corriger les trajectoires, mais aussi débattre de la dette publique. Ne nous y trompons pas, il pèche non pas par excès de mandat ou de moyens, mais par insuffisance. C'est d'autant plus marquant si on le compare à nos voisins européens.

Je rappelle que la création du HCFP a été une réponse à la demande d'énoncer une règle d'or. Au vu de la situation dans laquelle nous nous trouvons, il conviendrait d'en élargir le mandat pour créer une véritable instance de débat, avec une expertise indépendante beaucoup plus forte.

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