Je voudrais tout d'abord, bien que l'actualité n'invite pas à l'optimisme, vous souhaiter une excellente année 2021.
En ce qui concerne les travaux législatifs de notre commission, l'année débute par l'examen d'une proposition de loi de notre collègue benjamin du Sénat, Rémi Cardon, visant à ouvrir des droits nouveaux dès dix-huit ans, que j'ai cosignée avec les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Dans le contexte exceptionnel que nous connaissons, il me semble que nous devrions porter un regard neuf sur la proposition d'étendre aux jeunes de moins de 25 ans le revenu de solidarité active (RSA). J'y suis favorable, en particulier compte tenu de l'urgence sociale qui s'annonce pour les jeunes majeurs.
Avant toute chose, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution : je considère qu'il comprend des dispositions relatives aux conditions d'attribution aux personnes âgées de moins de 25 ans, au financement et au service du RSA.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux autres prestations sociales et à l'action sociale, à l'indemnisation du chômage ou aux droits attachés à la majorité civile. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
Le RSA, qui a succédé le 1er juin 2009 au revenu minimum d'insertion (RMI), est financé par les conseils départementaux et versé par les caisses d'allocations familiales (CAF). Premier minimum social en nombre d'allocataires, il était versé à 1,9 million de foyers bénéficiaires fin 2018. Ce nombre a dépassé 2 millions en 2020.
Il s'agit d'une allocation différentielle complétant les ressources initiales du foyer afin qu'elles atteignent le seuil d'un revenu garanti, ou montant forfaitaire, dont le barème varie selon la composition du foyer. Au 1er avril 2020, ce montant est fixé à 564,78 euros pour une personne seule sans enfant et à 847,17 euros pour une personne avec un enfant ou pour un couple sans enfant. Pour mémoire, le revenu mensuel médian s'élevait en 2018 à 1 771 euros par mois en France métropolitaine, selon l'Insee.
Contrairement à d'autres prestations sociales, le bénéfice du RSA n'est ouvert qu'à partir de l'âge de 25 ans, sauf exception. En outre, le bénéficiaire ne peut pas être élève, étudiant ou stagiaire, sauf s'il est parent isolé ou si ses revenus d'activité sont supérieurs à 500 euros en moyenne par mois.
Par exception, la condition d'âge ne s'applique pas aux personnes assumant la charge d'un ou de plusieurs enfants nés ou à naître.
Par ailleurs, une majoration du RSA est accordée sans condition d'âge au parent isolé assumant la charge d'un ou de plusieurs enfants ou à une femme enceinte isolée. Le montant de ce RSA majoré s'élève, au 1er avril 2020, à 966,99 euros pour une personne avec un enfant. Fin 2018, ses bénéficiaires étaient à 96 % des femmes.
Parmi les 229 200 foyers bénéficiaires du RSA majoré au 31 décembre 2018, 25 % concernent des jeunes de moins de 25 ans - soit 57 300 ménages - alors que seulement 2 % des bénéficiaires du RSA non majoré se trouvent dans cette tranche d'âge.
Enfin, la loi de finances pour 2010 a étendu le RSA aux personnes de moins de 25 ans justifiant de deux ans d'activité en équivalent temps plein au cours des trois années précédant la demande. À la différence du RSA de droit commun, ce « RSA jeune actif » est entièrement financé par l'État. Toutefois, du fait de la condition d'activité très restrictive, le nombre de bénéficiaires n'a cessé de diminuer depuis sa création, en particulier depuis 2016, année de la création de la prime d'activité, ouverte dès l'âge de 18 ans. Ils n'étaient plus que 734 en 2019, ce qui montre bien que ce dispositif a manqué sa cible.
Au total, on peut estimer que seuls 91 000 allocataires du RSA sont âgés de moins de 25 ans, sur un total de 1 903 800 allocataires fin 2018. Du fait des conditions actuelles d'attribution de la prestation avant l'âge de 25 ans, il s'agit en majorité de jeunes femmes élevant seules leurs enfants, comme j'ai eu l'occasion de le constater dans mon département.
En posant une condition d'âge minimum à 25 ans, le RSA fait figure d'exception parmi les minima sociaux. En effet, la plupart des prestations sociales non contributives ne comportent pas de conditions d'âge ou sont ouvertes avant l'âge de 25 ans. C'est notamment le cas de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui est ouverte dès l'âge de 20 ans, afin de prendre le relais des allocations familiales dues au titre de l'enfant handicapé et de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), qui ne repose pas sur une condition d'âge, mais sur une durée minimale d'activité.
La prime d'activité, ouverte dès l'âge de 18 ans aux personnes qui perçoivent des revenus tirés d'une activité professionnelle ne dépassant pas un plafond, et les aides au logement, qui sont versées sans condition d'âge, constituent les principales prestations non contributives touchant les jeunes adultes.
Le RSA apparaît donc comme une anomalie dans ce paysage. Dans ces conditions, rien ne semble justifier que les jeunes majeurs ne puissent bénéficier de cette solidarité en cas de difficulté, alors qu'ils contribuent à la solidarité nationale. En effet, les arguments traditionnellement invoqués pour justifier cette exclusion, notamment l'assimilation du RSA à une « trappe à inactivité », semblent de plus en plus fragiles, alors que la situation des jeunes est déjà détériorée depuis de nombreuses années.
Certains dispositifs sont néanmoins à la disposition des jeunes précaires.
En particulier, la Garantie jeunes assure un accompagnement spécifique pour les jeunes de 16 à 25 ans sans emploi ni formation, qu'on appelle les NEET (Not in Education, Employment or Training). Ces jeunes étaient environ 960 000 en France en 2018 selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Créée à titre expérimental en 2013, puis généralisée en 2017, la Garantie jeunes est une modalité renforcée du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) qui accorde une aide financière à son bénéficiaire, couplée à un accompagnement intensif vers l'emploi assuré par les missions locales pendant une durée d'un an en principe et pouvant aller jusqu'à dix-huit mois. La Garantie jeunes a bénéficié à 91 124 jeunes en 2020 et le Gouvernement prévoit sa montée en charge, dans le cadre du plan de relance, jusqu'à 200 000 bénéficiaires en 2021.
Je suis convaincue, par mon expérience, qu'il s'agit d'un dispositif pertinent et efficace pour aider les jeunes les plus éloignés de l'emploi et en rupture familiale à s'insérer.
Toutefois, ce dispositif spécifique, ainsi que les autres aides sociales ouvertes aux jeunes majeurs, qu'elles soient pérennes ou exceptionnelles, ne semblent pas suffisants pour lutter contre la pauvreté des jeunes qui s'est aggravée depuis le début des années 2000. Selon l'Insee, le taux de pauvreté à 50 % du revenu médian était de 8 % dans l'ensemble de la population en 2017 et de 12,6 % chez les 18-29 ans. Pour cette tranche d'âge, ce taux ne s'élevait qu'à 8,2 % en 2002 et sa progression s'est essentiellement déroulée entre 2004 et 2012 pour se stabiliser jusqu'en 2020.
Si l'on retient le seuil plus couramment utilisé de 60 % du revenu médian, 14 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté monétaire en 2018, mais 19,7 % des personnes âgées de 18 à 29 ans se trouvaient dans cette situation.
Il convient en outre de noter que ces statistiques ne prennent en compte que les jeunes adultes vivant de manière autonome. Ceux qui sont contraints de rester ou de retourner chez leurs parents sans pouvoir accéder à un logement autonome, faute de revenus suffisants, ne sont pas pris en compte, alors que leur situation relève aussi de la précarité. De même, les chiffres de la pauvreté ne prennent pas en compte les étudiants. Enfin, comme me l'indiquait le directeur de l'Observatoire des inégalités, la tranche d'âge de 18 à 29 ans retenue par l'Insee comprend des situations trop hétérogènes pour avoir une appréhension suffisamment fine de la situation des jeunes. Il conviendrait donc de préciser et d'affiner ces statistiques pour avoir une meilleure connaissance des difficultés des jeunes majeurs.
Bien qu'il soit trop tôt pour évaluer les conséquences économiques et sociales de l'épidémie de covid-19 sur les jeunes majeurs, il ne fait pas de doute que la crise sanitaire aggravera la précarité des jeunes de moins de 25 ans et la pauvreté d'une partie d'entre eux, en particulier du fait de la dégradation attendue du niveau du chômage. S'il faut saluer le déploiement par l'État d'aides exceptionnelles de solidarité versées par les CAF aux ménages modestes en juin, puis en novembre 2020, ainsi que la création de nouvelles aides exceptionnelles aux jeunes chômeurs pour 2021, ces dispositifs ponctuels ne permettront pas de soutenir tous les jeunes majeurs dont la situation sociale aura été aggravée par la crise.
J'en viens au dispositif de la proposition de loi de notre collègue Rémi Cardon, dont la rédaction a été inspirée par plusieurs mouvements de jeunesse que j'ai auditionnés. Elle reprend une proposition déjà formulée en 2016 par Christophe Sirugue dans son rapport sur les minima sociaux, puis en décembre dernier par l'Assemblée nationale dans le rapport de la commission d'enquête consacrée à la jeunesse face aux défis du covid-19. Cette proposition de loi a, en outre, recueilli le soutien de nombreuses associations, dont le Secours populaire, le Secours catholique et les Restos du coeur, que j'ai auditionnés, ou encore ATD Quart Monde.
L'article 1er de ce texte prévoit d'étendre le bénéfice du RSA aux jeunes majeurs dès 18 ans, quelle que soit leur situation familiale, ainsi qu'aux mineurs émancipés.
L'article 2 propose, en conséquence, de supprimer le « RSA jeune actif », qui n'aurait plus de raison d'être.
Selon une estimation de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) réalisée en 2016, le dispositif proposé pourrait bénéficier à 1,4 million de jeunes majeurs pour un coût estimé de 5,8 milliards d'euros.
Je suis bien consciente que cette proposition de loi, dont le dispositif est circonscrit aux conditions d'âge pour bénéficier du RSA, n'épuise pas le sujet de la lutte contre la pauvreté des jeunes majeurs et de leur insertion vers l'emploi, qui suppose d'améliorer notamment leur accès à la formation ou encore au logement.
Certaines situations nécessiteront un traitement spécifique. Je pense notamment aux familles monoparentales ou aux jeunes sortis de l'aide sociale à l'enfance. Je pense également aux problèmes de précarité de l'emploi qui frappent les jeunes à travers les contrats courts, les extras ou, de façon plus récente, l'uberisation du travail. N'oublions pas non plus les étudiants pauvres, qui ne sont pas concernés par le RSA et qui souffrent d'un système de bourses défaillant.
Enfin, le financement des mesures proposées ne devrait pas être uniquement à la charge des conseils départementaux, en particulier dans un contexte où leurs dépenses sociales progressent fortement, mettant certains d'entre eux en difficulté financière.
Comme nous l'a indiqué la déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté, la réforme du revenu universel d'activité (RUA) ne se fera pas sous ce quinquennat. Quant à l'idée d'un revenu de base versé automatiquement et sans contrepartie, elle est pour l'heure rejetée par le Gouvernement, même sous forme expérimentale. Cette idée, promue par l'association des départements solidaires dont j'ai entendu plusieurs représentants, me parait être la bonne solution, à terme, pour soutenir les plus pauvres, notamment les jeunes majeurs. Par son automaticité, cette allocation aurait en outre le mérite d'apporter une réponse au problème du non-recours aux droits.
Dans ces conditions, le dispositif proposé constitue un premier pas important pour soutenir les jeunes majeurs en difficulté. Il apporte une réponse concrète et immédiate face à l'urgence sociale qui s'annonce et avant que soient engagés des travaux de plus grande ampleur sur les minima sociaux, notamment sur le revenu de base, et les dispositifs d'insertion, en mobilisant une prestation sociale qui a le mérite d'exister.
Pour ces raisons, je demande à la commission de bien vouloir adopter cette proposition de loi.