Vous avez raison de dire que le vaccin Pfizer est très différent et beaucoup plus contraignant que ceux de Moderna ou d'AstraZeneca en termes d'utilisation par les officines de ville ou les médecins libéraux. Pour le vaccin Pfizer, il n'est pas question d'une telle utilisation : le conditionnement, notamment, demande une préparation ; le vaccin doit être reconstitué, ce qui demande beaucoup de temps. Le vaccin de Moderna, lui, n'exige pas d'être reconstitué et peut se conserver au réfrigérateur pendant un mois. Mais il est lui aussi assez contraignant. Le vaccin d'AstraZeneca est le plus facile à administrer ; avec ce vaccin, il n'y aura pas d'objection à impliquer plus massivement les médecins de ville.
Je note néanmoins que les Allemands ont préféré une stratégie centralisée ; ils craignent en effet les passe-droits qui pourraient résulter de la pression s'exerçant sur les médecins de ville, moins bien armés pour sélectionner les personnes à risque à partir des bases de données de l'assurance maladie. Je ne dis pas que les médecins de ville seront plus sujets que d'autres à ce type de détours, mais ils seront plus isolés. Les Allemands préfèrent donc une organisation plus lourde, mais plus protectrice. En période de pénurie de doses, le respect de la priorité donnée aux groupes à risque est très important ; il faut être certain de pouvoir le garantir si l'on passe par des canaux plus décentralisés.
Concernant le décalage de la deuxième injection, le médecin que je suis n'est pas très perturbé par l'idée que la deuxième dose soit administrée un peu plus tard que prévu. Il faut surtout ne pas l'administrer trop tôt : on a besoin d'un délai. Mais injecter la deuxième dose un peu plus tard n'annule en aucun cas le bénéfice de la primo-vaccination.
Cela dit, les deux vaccins aujourd'hui disponibles reposent sur une technologie nouvelle, et les essais ont fait fond sur de tels délais : trois semaines pour l'un, quatre semaines pour l'autre. Le respect du protocole du fabricant et des prescriptions de l'autorisation de mise sur le marché donne des garanties aux patients en cas d'effets indésirables.
Permettez-moi d'ajouter, de surcroît, que la France n'en est pas là ! Lorsque vous aurez écoulé tous les stocks de doses de vaccin, vous pourrez vous poser cette question. Aujourd'hui, l'enjeu est surtout de délivrer les doses disponibles. Mais il est vrai que les Britanniques ont pris cette décision assez hétérodoxe d'allonger le délai.
Sur l'interchangeabilité, je suis beaucoup plus réservé. À nouveau, aucun essai n'a été fait sur ce thème. Un essai était prévu, avec l'idée qu'une combinaison des deux types de vaccin pourrait non pas simplement permettre de répondre à une situation de pénurie, mais améliorer l'efficacité de la vaccination. Or on est presque à 100 % d'efficacité, notamment pour les formes graves, avec les vaccins à ARN messager et avec celui d'AstraZeneca ; cette recherche d'une amélioration de l'efficacité via l'interchangeabilité a donc perdu de sa pertinence. En tout cas, en l'absence de toute expérience sur le sujet, je déconseille très fortement toute interchangeabilité sauvage, opportuniste, non contrôlée.
Par ailleurs, en termes de responsabilité et d'imputation d'un risque vaccinal tardif ou rare, on aura beaucoup de difficulté à savoir lequel est en cause avec deux vaccins.
En ce qui concerne les grossistes répartiteurs, je ne connais pas très bien leur rôle. J'ignore s'ils sont équipés de congélateurs à - 70°. Dans le cadre d'un acheminement décentralisé, ils pourraient faire figure d'opérateurs essentiels en vue d'une diffusion rapide et pragmatique vers les pharmacies d'officine, les médecins de ville ou les « bureaux de vote » de vaccination.