Intervention de Henri Leroy

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 janvier 2021 à 8h30
Proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Henri LeroyHenri Leroy, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, déposée le 27 octobre dernier par notre collègue Dominique Estrosi-Sassone et cosignée par une centaine de sénateurs.

À la suite des affaires récemment relayées par les médias, telles celles de Théoule-sur-Mer ou du Petit Cambodge, ce texte tend à mieux protéger ce « droit inviolable et sacré » qu'est la propriété, selon les termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, contre les squatteurs.

Il existe bien des dispositifs spécifiques pour lutter contre le squat, qui ont été améliorés au fil des ans. Mais les affaires que j'ai évoquées démontrent qu'ils ne sont ni suffisamment dissuasifs à l'égard des squatteurs, ni suffisamment connus des préfectures et des forces de police, voire des propriétaires eux-mêmes.

Il existe tout d'abord un délit spécifique. L'article 226-4 du code pénal sanctionne l'introduction et le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Le terme de domicile désigne ici, selon la jurisprudence, tout lieu où une personne a le droit de se dire chez elle. En revanche, il ne vise pas des lieux qui ne servent pas effectivement d'habitation, par exemple un appartement vide de meubles ou un terrain nu.

L'article 226-4 prévoit actuellement une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. L'article 1er de la proposition de loi alourdit la sanction, en la portant à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende, afin de la rendre plus dissuasive à l'égard des squatteurs. Pour rappel, le propriétaire qui tente de se faire justice soi-même sans avoir obtenu le concours de l'État encourt lui une peine de trois ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Je signale que cette mesure a déjà été adoptée par le Parlement à l'occasion de l'examen du projet de loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP), mais qu'elle a été censurée par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif. Il n'y aura pas de difficulté à l'adopter dans cette proposition de loi.

Il existe ensuite une procédure administrative dérogatoire, créée par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (Dalo) à l'initiative du Sénat, et plus précisément de notre collègue Catherine Procaccia, qui permet à un propriétaire ou à un locataire de solliciter le concours du préfet pour procéder à l'évacuation forcée de son logement lorsqu'il y a violation de domicile au sens de l'article 226-4. Cette procédure requiert la réunion de trois conditions cumulatives : le dépôt préalable d'une plainte pénale ; la preuve que le local occupé constitue le domicile du demandeur ; enfin, le constat par un officier de police judiciaire de l'occupation illicite. Elle permet d'obtenir une évacuation rapide des lieux sans attendre d'avoir obtenu une décision de justice.

Ces dispositions « anti-squat » demeurent cependant peu connues et mal appliquées, comme l'ont mis en lumière les auditions auxquelles j'ai procédé.

L'affaire de Théoule-sur-Mer en fournit un exemple frappant : le procureur de la République se serait opposé à une intervention des gendarmes, en invoquant le dépassement d'un délai de flagrance de 48 heures non prévu par les textes, puisqu'il s'agit d'un délit continu, tandis que la sous-préfecture paraissait peu au fait de la procédure prévue à l'article 38 de la loi Dalo, et refusait de l'appliquer à une résidence secondaire. C'est finalement parce qu'elle a constaté des faits de violences conjugales au sein du couple de squatteurs que la gendarmerie nationale est intervenue, ce qui a permis aux propriétaires de récupérer leur bien.

Les représentants du ministère de l'intérieur ont admis que la procédure de l'article 38 précité était mal connue du grand public comme des préfectures. Le ministère ne dispose pas de statistiques nationales sur la mise en oeuvre de cette procédure. Il m'a toutefois été indiqué que la préfecture de Paris en avait fait usage à cinq reprises au cours de l'année 2019, ce qui donne une idée de sa faible application.

Mieux faire connaître cette procédure administrative très spécifique auprès des préfets et des forces de sécurité intérieure me semble constituer un impératif. Une circulaire est en cours de préparation par les ministères concernés et nous pourrons interroger en séance la ministre à ce sujet.

Les articles 2 à 4 de la proposition de loi élargissent le champ d'application des dispositifs anti-squat et renforcent la protection de tous les biens immobiliers, et non du seul domicile.

À cette fin, l'article 2 introduit dans le code pénal quatre nouveaux articles afin de créer un délit d'occupation frauduleuse d'un immeuble, défini comme le fait de se maintenir, sans droit ni titre, dans un bien immobilier appartenant à un tiers contre la volonté de son propriétaire ou de la personne disposant d'un titre à l'occuper. La peine encourue serait identique à celle prévue en cas de violation du domicile : trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Seraient également incriminées la propagande ou la publicité en faveur de l'occupation frauduleuse d'un immeuble, punies d'une amende de 3 750 euros.

L'article 3 de la proposition de loi modifie l'article 38 de la loi Dalo pour permettre l'utilisation de la procédure dérogatoire d'évacuation forcée en cas de maintien sans droit ni titre dans tout bien immobilier, sans subordonner le recours à cette procédure à une entrée illicite dans les lieux. Il réduit également les délais d'intervention accordés au préfet, à la fois pour prononcer une mise en demeure, puis pour procéder à l'évacuation forcée du logement.

Enfin, l'article 4 permettrait d'écarter, dans le cadre de la procédure judiciaire d'expulsion, l'application du délai de deux mois reconnu à l'occupant après la délivrance du commandement d'avoir à libérer les locaux, ainsi que le respect de la trêve hivernale, sans avoir à établir l'existence de voies de fait.

Je suis favorable aux mesures envisagées par le texte, sous réserve de six amendements que je vous présenterai à l'issue de notre discussion et qui ont été élaborés en concertation avec Dominique Estrosi Sassone, avec laquelle j'ai eu un échange tout à fait constructif lors de mes travaux préparatoires.

À la suite des auditions que j'ai menées, auprès des ministères concernés, mais aussi de l'Union nationale des propriétaires immobiliers et de la fondation Abbé Pierre, il me semble nécessaire de distinguer la situation des locataires défaillants, ou des occupants à titre gratuit qui se maintiennent dans les lieux contre la volonté du propriétaire, de celle des véritables squatteurs.

Il s'agit d'une raison d'opportunité, tout d'abord : ces personnes sont entrées dans les lieux de manière licite et elles peuvent être simplement confrontées à un accident de la vie. Pénaliser le locataire défaillant reviendrait finalement à réintroduire l'emprisonnement pour dettes....

Il s'agit également de préserver l'équilibre entre le droit constitutionnel qu'est la propriété, garantie par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et le droit au logement, qui a été reconnu comme un objectif de valeur constitutionnelle. Sauf à encourir une censure pour inconstitutionnalité, il n'est pas possible de traiter comme des squatteurs des locataires défaillants, même s'il peut exister des cas de mauvaise foi éhontée chez ces derniers. La régulation des rapports locatifs soulève toutefois des questions qui dépassent le cadre de cette proposition de loi et relèvent de la commission des affaires économiques.

Je vous proposerai donc de préciser que le délit d'occupation frauduleuse d'un immeuble est constitué si l'auteur des faits s'est introduit dans les lieux à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, ce qui permet de viser les squatteurs sans concerner les locataires défaillants. Enfin, il me paraît nécessaire d'introduire une gradation des peines et de punir plus sévèrement le squat d'un domicile que celui de locaux qui ne sont pas utilisés comme habitation principale.

Je vous proposerai également de préciser la définition de la nouvelle infraction consistant à faire la propagande ou la publicité de l'occupation frauduleuse d'immeuble, pour ne pas être accusé de porter atteinte à la liberté d'expression des associations luttant contre le mal-logement.

Enfin, par cohérence, à l'article 3, je souhaite exclure de la procédure administrative d'évacuation forcée les locataires ou occupants entrés dans les lieux avec l'accord du propriétaire, et qui se maintiendraient contre sa volonté après résiliation du contrat de bail ou retrait de l'autorisation.

Il me semble en revanche opportun d'élargir l'application de cette procédure dérogatoire aux locaux à usage d'habitation. Nous l'avions déjà voté dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan), à l'initiative de notre collègue Marc-Philippe Daubresse, qui était rapporteur pour avis. C'est une disposition qui permet d'apporter une solution lorsque le logement illicitement occupé n'est pas encore le domicile effectif de quelqu'un - par exemple, un logement vacant entre deux locations ou un logement nouvellement acheté.

Enfin, à l'article 4, je vous proposerai de maintenir l'exigence d'une entrée dans les lieux par voies de fait pour priver un occupant du bénéfice du délai de deux mois et de la trêve hivernale dans le cadre d'une procédure d'expulsion, tout en précisant la notion de voies de fait, pour éviter certaines jurisprudences divergentes peu favorables aux propriétaires.

Vous l'aurez compris, sous réserve du recentrage de la proposition de loi sur les squatteurs, je suis tout à fait favorable à ce texte et vous demande de l'adopter modifié par les amendements que je vous présenterai après notre discussion générale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion