Intervention de Éric Gold

Réunion du 13 janvier 2021 à 15h00
Lutte contre l'illectronisme et inclusion numérique — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Photo de Éric GoldÉric Gold :

« L’illectronisme ne disparaîtra pas d’un coup de tablette magique ! » Tel est le titre du rapport d’information de notre ancien collègue Raymond Vall, rapporteur de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique », présidée par Jean-Marie Mizzon. Je tenais à commencer mon propos en saluant la qualité de leur travail respectif.

Sensible à cette question et à celle plus globale de la fracture numérique, le groupe du RDSE a souhaité inscrire à l’ordre du jour un débat sur les conclusions de ce rapport d’information, dont je reprends avec motivation la teneur. Avec motivation, car l’illectronisme mérite que l’on s’y attarde : il s’agit d’une nouvelle forme d’exclusion dans notre monde hyperconnecté, s’inscrivant plus globalement dans une fracture numérique qui, comme l’a déclaré Sébastien Soriano, président il y a encore quelques jours de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), « ne fait qu’exacerber des fractures existantes, qu’elles soient territoriales, culturelles, sociales ou générationnelles ».

Pour ceux qui découvrent ce terme, et je crois qu’ils sont nombreux, l’illectronisme renvoie à une difficulté ou une incapacité à utiliser les appareils et outils numériques. Nul ne peut ignorer l’importance qu’a prise le numérique dans notre quotidien, à plus forte raison après l’année que nous venons de passer. S’il est souvent synonyme de progrès, d’innovation et de décloisonnement, il peut aussi accroître les inégalités, ce qui justifie que nous fassions preuve de la plus grande vigilance.

La mission d’information sur l’illectronisme a d’abord permis de faire un état des lieux précis de la situation, après trois mois d’investigations, trente et une auditions, quatre tables rondes et deux déplacements. Quarante-cinq propositions en ont émergé, sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

Partons tout d’abord des constats établis, car ils donnent une photographie de notre pays, loin de l’image d’Épinal de la start-up nation.

Ainsi, 14 millions de Français sont éloignés du numérique et un Français sur deux n’est pas à l’aise avec les outils numériques. Parmi les plus touchés par l’illectronisme, on trouve d’abord les personnes handicapées, les personnes détenues et celles qui maîtrisent mal notre langue, parlée et écrite, sans oublier bien sûr nos aînés.

Or, pour ces publics déjà souvent fragilisés par la vie, la maîtrise du numérique conditionne de plus en plus l’accès aux droits, dans un contexte de dématérialisation généralisée des services publics. Elle permet à l’État de réaliser 450 millions d’euros d’économies chaque année, mais laisse sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables de réaliser des démarches en ligne.

Et pour cause ! Loin d’être un plus, le numérique a remplacé les guichets dans de nombreux territoires. Je cite de nouveau Sébastien Soriano : « Tout s’est compliqué à partir du moment où on a commencé à vouloir fermer les guichets physiques. Or, l’enjeu, c’est d’abord de s’adapter à la vie des Français en prenant en compte leurs usages qui, en effet, passent de plus en plus par les canaux numériques, mais pas exclusivement. »

C’est d’autant plus vrai que l’ergonomie des sites publics est à la traîne. Et que dire de l’accessibilité aux personnes handicapées, obligation sociétale et juridique, qui n’est effective que pour 13 % des démarches administratives en ligne ?

Ces difficultés conduisent pour une partie à des renoncements aux droits inacceptables.

C’est également le cas pour les demandeurs d’emploi, qui sont 12 % à ne pas maîtriser les outils informatiques. Devenu l’une des compétences professionnelles de base, le numérique freine pour beaucoup l’accès au marché du travail. Cette situation est d’autant plus pénalisante que, depuis le début de la crise sanitaire, le télétravail a pris un essor considérable, qui devrait se confirmer dans les mois et les années à venir.

Malheureusement, alors que la demande d’assistance et de formation augmente, on manque d’outils pour repérer les fragilités et proposer des solutions adaptées.

On manque aussi de budget. Le Gouvernement n’a alloué que 10 millions d’euros en 2018 et 30 millions d’euros en 2019 au déploiement du Pass numérique, fer-de-lance de sa stratégie nationale pour un numérique inclusif. La copie a été revue récemment puisque 250 millions d’euros seront finalement alloués sur deux ans à la formation de 4 millions de personnes en situation d’illectronisme.

Nous estimons cependant qu’il faudrait un milliard d’euros pour rattraper le retard et toucher l’ensemble des 14 millions de Français concernés. Cette somme serait vite amortie puisque, on le sait, la résorption de la fracture numérique, encore bien présente dans bon nombre de territoires, et l’autonomie numérique permettraient de réaliser 1, 6 milliard d’euros de bénéfices par an.

Les pouvoirs publics ont longtemps considéré que l’équipement suffisait, et que chaque personne s’autoformait naturellement. Le pass numérique est en ce sens un outil intéressant, puisqu’il déploie une offre de formation. Malheureusement, il a peu séduit, probablement du fait d’un manque de formateurs, découlant lui-même de la valeur trop faible du pass : 10 euros semblent insuffisants pour garantir la solvabilité des prestataires.

Notre mission a donc entrepris de formuler quarante-cinq propositions réparties autour de sept axes.

Tout d’abord, il est nécessaire d’évaluer plus finement l’exclusion numérique en renouvelant régulièrement l’enquête de l’Insee et en généralisant les cartographies locales qui permettront un déploiement au plus près des besoins sur le terrain.

Ensuite, il est indispensable de passer d’une logique du « 100 % dématérialisation » à une logique du « 100 % accessible », notamment en conservant un accueil physique ou téléphonique dans les services publics, et en renforçant les sanctions en cas de non-respect de l’obligation d’accessibilité des sites internet.

Comme je le mentionnais, 1 milliard d’euros doit être investi pour lutter contre l’illectronisme dans le cadre d’un fonds qui ferait de l’inclusion numérique une priorité nationale et un service d’intérêt économique général. D’une part, il nous faut favoriser la montée en puissance indispensable du pass numérique, notamment en augmentant sa valeur et en le déployant plus largement ; d’autre part, nous devons repenser l’offre et l’architecture de la médiation numérique, et la placer sous une bannière unique.

Il est également nécessaire de renforcer la qualité de l’offre de médiation, par exemple via la création d’un baccalauréat professionnel et une meilleure formation des travailleurs sociaux aux enjeux de la lutte contre l’exclusion numérique.

En complément du pass, la délivrance d’un chèque équipement permettrait aux ménages modestes d’acheter ou de louer du matériel informatique, de préférence reconditionné, pour réduire l’empreinte environnementale du numérique.

Pour épauler les collectivités locales, qui seraient pleinement intégrées au processus grâce à une conférence des financeurs dans chaque département et à un référent spécifique dans chaque intercommunalité, il est primordial de couvrir tout le territoire de hubs France Connectée d’ici à 2022. La stratégie nationale doit se déployer au plus près des besoins de chaque bassin de vie.

Enfin, nous devons nous appuyer sur l’école et sur l’entreprise pour recenser les difficultés, repérer les fragilités et mieux former à tous les âges de la vie. Il faut d’abord construire une éducation nationale 2.0 et mieux former les enseignants aux outils numériques pédagogiques. Pourquoi ne pas envisager, en outre, l’organisation d’un test de repérage de l’illectronisme lors de la journée défense et citoyenneté ?

Ensuite, il apparaît indispensable de créer un choc de qualification des salariés. Pour ce faire, l’inclusion numérique intégrerait le champ de la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Le mécénat de compétences serait encouragé. Un amortissement des frais ou un crédit d’impôt serait également mis en place pour les PME et les TPE qui investissent dans les formations au numérique.

La crise a montré que le numérique n’était plus une option pour les entreprises, mais une condition de leur développement, voire de leur survie. Nous devons donc les soutenir dans cette voie, sans oublier les artisans, les commerçants et les autoentrepreneurs qui peuvent se sentir isolés face à de tels défis.

Dans ces situations, nous voyons bien que la médiation et l’accompagnement constituent des éléments fondamentaux. L’aménagement numérique du territoire et l’équipement informatique sont deux préalables indispensables, mais ils ne sont pas grand-chose sans une formation aux outils et sans accessibilité des sites internet.

Nous sommes tous, à un moment donné, touchés par l’illectronisme. Cette question nous concerne donc tous et, à plus forte raison, ceux pour qui l’essor du numérique complique davantage la vie, là où elle devrait s’en trouver facilitée.

Cette mission et le rapport qui en résulte appellent à un investissement massif pour faire entrer pleinement la France dans le XXIe siècle, sans laisser personne au bord du chemin.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion