Intervention de Daniel Salmon

Réunion du 13 janvier 2021 à 15h00
Avenir de l'entreprise edf avec le projet hercule — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Daniel SalmonDaniel Salmon :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les écologistes ont rarement été en accord avec la politique énergétique menée par EDF – une politique jamais débattue démocratiquement –, ils reconnaissent le rôle moteur de cette entreprise stratège, garante d’un service public efficace et d’une qualité de service reconnue de par le monde.

EDF a été fondée sur l’idée que l’énergie est un bien public. Alors qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé imaginer démanteler EDF, ce gouvernement en prépare la dislocation. Avec son projet Hercule, il porte un coup fatal à ce bien commun, déjà fortement fragilisé.

Ce projet ne répond ni aux problématiques de l’entreprise ni aux enjeux énergétiques du XXIe siècle. C’est toute la logique du service public de l’énergie qui est mise à mal. Cette privatisation d’une partie de l’activité – la partie vendable étant bien entendu celle constituée des énergies renouvelables et du réseau – se traduira par des pertes d’emplois et par la baisse des investissements dans la recherche et le développement.

Nous lançons également une alerte sur la question des barrages hydrauliques français, première source d’énergie renouvelable France. Les cent cinquante contrats de concession seraient remis en concurrence, comme l’exige la Commission européenne. Or une mise en concurrence de ce secteur représenterait un danger certain pour la sûreté des usagers et la sécurité d’approvisionnement.

Par ailleurs, les centrales nucléaires et les barrages sont indissociables. Les barrages du Rhône sont fréquemment utilisés pour le refroidissement des centrales. Les barrages servent également au stockage, puisqu’ils sont remplis lors des périodes de faible consommation, car – il faut le rappeler – le nucléaire, lui non plus, n’est pas en adéquation avec la consommation.

Hercule ne répond pas non plus à la question des moteurs de l’endettement de l’entreprise et du portage de la dette. Il ne répond pas à la sous-rémunération chronique dont souffre l’entreprise depuis la mise en place de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, un coût minoré à l’époque pour faire croire que le nucléaire est peu cher.

Madame la ministre, la politique énergétique française est aujourd’hui à un tournant. Les décisions prises seront cruciales, notamment pour la bonne opérationnalité de la transition énergétique de la France dans les dix ans à venir. La fuite en avant dans le nucléaire, avec la construction de six nouveaux EPR annoncée par le Président de la République, relève d’une stratégie énergétique mortifère pour le pays et intenable financièrement pour l’entreprise déjà surendettée à hauteur de 36 milliards d’euros, sans parler des 80 milliards à 100 milliards d’euros nécessaires au démantèlement ni des 25 milliards à 40 milliards d’euros qui seront alloués à Cigéo à Bure.

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’EDF se trouve face à un mur d’investissement en raison de son parc nucléaire vieillissant et doit investir dans les énergies renouvelables et le stockage.

Non, le modèle de l’EPR n’est pas l’avenir d’EDF. Flamanville en est un exemple criant : le coût de ce fiasco technologique et industriel est passé de 3 milliards à bientôt 19 milliards d’euros, pour un coût de production de l’électricité s’élevant à 110 euros du mégawattheure alors que les récents appels d’offres pour le photovoltaïque au sol atteignent 45 euros du mégawattheure.

Oui, garder coûte que coûte le nucléaire a un prix. Le Gouvernement est prêt à cette désintégration industrielle et à la sape de tout le service public de l’énergie pour renforcer et maintenir cette énergie du passé. Hercule commence par un « H », comme Hinkley Point.

La position des sénateurs et sénatrices écologistes est assez simple et claire : nous demandons dans un premier temps le retrait immédiat de ce projet délétère. Nous appelons ensuite à l’ouverture d’un véritable dialogue avec tous les acteurs. Les négociations se poursuivent en ce moment à Bruxelles dans une opacité totale. Il n’est pas acceptable que les organisations syndicales et la représentation nationale soient totalement exclues des négociations relatives à ce sujet majeur qui concerne tous les Français. Un véritable débat national sur l’avenir d’EDF nous paraît indispensable pour répondre à l’urgence climatique et assurer la viabilité financière et industrielle de l’entreprise.

Les crises actuelles nous rappellent combien un service public fort est nécessaire pour affronter les défis sanitaires, économiques et climatiques. Seul un grand pôle public de l’énergie peut garantir l’accès de toutes et tous à ce bien commun. Face à la précarité énergétique qui frappe près de 12 millions de foyers en France, il est un droit pour nos concitoyens et il doit leur être garanti à des tarifs abordables.

Madame la ministre, la situation calamiteuse d’EDF nous place face à deux choix. Le vôtre est une fuite en avant pour sauver une énergie obsolète qui ne sera jamais rentable et qui oblige l’État à une renationalisation du parc nucléaire pour assurer à sa charge des investissements colossaux. Ce choix ignore toute rationalité économique et même de sécurité nationale : les généraux ne disent-ils pas, en faisant allusion à nos centrales, que la France est vulnérable en temps de paix et indéfendable en temps de guerre ?

Le deuxième choix est le nôtre : il consiste à arrêter les frais, à assumer les pertes d’EDF, notamment vis-à-vis de nos partenaires chinois et britanniques, et à planifier une sortie progressive du nucléaire en développant en parallèle les énergies renouvelables et les économies d’énergie pour une vraie indépendance énergétique.

Cette stratégie qui engage la France sur deux ou trois décennies mérite un débat national que vous refusez honteusement aux Françaises et aux Français.

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