Merci pour cette invitation, je suis très heureux de vous présenter cette troisième vague d'enquête. Pierre-Henri Bono est mon collègue, avec lequel je travaille depuis trois ans sur cette enquête. Le partenariat avec l'AMF a démarré en 2018. Cette vague d'enquête s'est tenue en septembre et en octobre 2020, et habituellement ses résultats sont présentés lors du Congrès des maires.
Ce travail vise à répondre à plusieurs questions que nous nous posons en sciences sociales et en particulier au CEVIPOF. Une césure est-elle en train de s'opérer entre le local et le national sur la vitalité démocratique aujourd'hui ? Comment caractériser la très forte confiance qu'ont les Français à l'égard de leurs représentants municipaux ?
Plus des deux tiers des Français considèrent qu'ils peuvent avoir confiance en leur maire et cette tendance est stable. Il est nécessaire de s'interroger sur les ressorts de cette confiance. Tout d'abord, la proximité qui est attendue n'est pas seulement géographique ; il s'agit de réactivité et de responsabilité politique au sens anglo-saxon du terme, autrement dit, d'accountability. Les Québécois utilisent le terme évocateur de « redevabilité » : d'une certaine manière, l'élu est redevable d'un engagement.
L'autre ressort de la confiance est la bienveillance. Ce terme est certes un petit peu galvaudé depuis la campagne de 2017, mais la bienveillance a, selon moi, beaucoup de sens sur le plan politique, en lien avec les notions d'exemplarité et d'honnêteté. Les Français considèrent que leurs représentants locaux sont les seuls qui parviennent à alimenter ces deux aspects de la confiance.
À travers cette enquête, nous cherchions à mieux saisir les enjeux de la transformation de la représentation municipale, sachant que les élections municipales en mars 2020 ont déjà suscité un grand nombre d'analyses.
Il ne serait pas rigoureux de considérer que la forte baisse de la participation ne s'explique que par la crise sanitaire. Nous avons donc souhaité comprendre comment les maires percevaient cette faible mobilisation des électeurs. Parmi eux, 45 % déclarent ne pas être inquiets, considérant que les Français restent attachés à leurs élus municipaux et que le phénomène est passager. A contrario, 55 % des maires sont inquiets et 90 % d'entre eux considèrent que le phénomène est beaucoup plus profond. Il marquerait un désintérêt des Français pour la politique en général. Il est important de distinguer les maires nouvellement élus des maires réélus, mais la différence de perception entre ces deux catégories est faible.
Dans les départements qui avaient observé des hospitalisations pour cas de Covid la semaine précédant le scrutin, le taux d'abstention n'a pas été plus important qu'ailleurs. Autrement dit, on n'observe pas de lien entre un territoire fortement exposé à la pandémie et son taux d'abstention. Ainsi, certains experts sont allés un peu vite dans leur analyse en considérant qu'il existait une relation de cause à effet.
Dans l'enquête, nous avons également analysé les données disponibles du ministère de l'Intérieur, le Registre national des élus (RNE). Il en ressort que la sociologie des élus évolue peu. Plusieurs tendances sont à noter : un rajeunissement de l'âge des maires (59 ans contre 63 ans pour la mandature précédente), une accélération de la féminisation (19,5 % de femmes élues maires, soit un maire sur cinq) et une transformation profonde de la trajectoire socio-professionnelle des maires.
Quarante ans plus tôt, 40 % des maires étaient des agriculteurs. Aujourd'hui, 40 % des maires sont des retraités non agriculteurs. Les retraités sont la catégorie la plus représentative des maires de France et ceci n'est pas seulement vrai pour les petites communes mais pour toutes les communes. On observe également une forte amélioration de la représentation des cadres et professions intellectuelles supérieures, notamment dans les communes de plus de 30 000 habitants.
Selon moi, cette augmentation de la part des retraités pose la question du statut de l'élu, qui elle-même dépasse elle-même celle de la rémunération. L'indemnité de maire est en effet un enjeu mais il n'est pas prioritaire. L'engagement dans des fonctions municipales dépasse aussi très largement le fait de vouloir exercer une profession. Toutefois, près d'un tiers des répondants, souvent des maires de très petites communes, ont le sentiment d'exercer un métier et non pas une fonction. C'est la charge en temps de travail qui les incite à répondre de cette manière. Peut-être que les maires de très grandes communes savent ce qui pèse sur l'idée de la professionnalisation des élus et seraient gênés de considérer qu'ils exercent un métier plutôt qu'une fonction.
Pour rappel, plus de 4 700 maires ont accepté de répondre en totalité à l'enquête, tandis que plus de 6 000 ont accepté de répondre mais n'ont pas complété le formulaire en entier.
Concernant la gestion de la crise sanitaire, j'ai été très surpris, tout le printemps, de lire que le couple préfet-maire s'était réinstallé comme la pierre philosophale de tous les problèmes de la relation entre l'État et le local. Les deux années précédentes, en 2018 et en 2019, la même enquête mettait en évidence, à l'inverse, des difficultés de travail entre les préfectures et les maires. Deux griefs étaient soulevés par les maires : la difficulté à obtenir des réponses techniques, essentiellement juridiques, de la part des préfectures, et le manque de reconnaissance de l'État et des services déconcentrés de l'État.
Au cours de cette enquête, nous avons découvert que les maires, pour 70 % des répondants, avaient le sentiment d'avoir été très bien associés par les services préfectoraux à la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire.
Cela étant, seuls 40 % des maires ont eu l'impression que le travail avec les agences régionales de santé avait bien fonctionné, principalement dans les communes de taille intermédiaire, de 1 500 à 9 000 habitants. Pour les très petites communes, cette réussite s'explique probablement par le travail de filtre réalisé en amont par les préfectures.
Là où la gestion de la crise sanitaire n'a pas bien fonctionné, ce n'est pas qu'une question de coordination ou de réactivité ; c'est aussi une question d'efficacité qui est posée par les maires de ces communes. Les principales sources de dysfonctionnement repérées par les maires sont le manque de directives claires et cohérentes de la part des services déconcentrés de l'État en charge de la question sanitaire, le manque de matériel et de d'équipements de protection, et enfin le manque de prise en compte des spécificités territoriales.
L'action du Gouvernement en vue de territorialiser une stratégie, non pas de confinement, mais de surveillance et de veille sanitaire, a, d'une certaine manière, tourné à la catastrophe. Le pays souffre d'un tel manque de culture politique de la décentralisation qu'inévitablement, chaque décision qui consiste à prendre en compte des éléments de différenciation territoriale semble aujourd'hui vouée à l'échec.
Si l'enquête est reconduite l'an prochain, il faudra poser la question de ce qu'un citoyen entend par « décentralisation ». Moi qui ai vécu plus de huit ans au Canada, je considère que comprendre la décentralisation se joue aussi au quotidien pour appréhender ce que veulent dire ces notions : « compétence partagée », « compétence exclusive », ou « compétence totalement décentralisée ». Cette crise sanitaire a permis de mettre en évidence le fait que la représentation de la décentralisation ressemble plus à la déconcentration.
La compétence santé doit-elle être exclusivement exercée par l'État ? La décentralisation, sur ces questions, a une vertu essentielle qui est de permettre d'établir ce lien de proximité entre le « qui fait quoi » et le bilan qui est tiré de cette répartition des compétences. Aujourd'hui, il est très compliqué, pour un citoyen, au plan local, de pouvoir identifier les acteurs locaux qui ont permis de changer sa vie ou, plus concrètement, de restaurer un mieux-être territorial.
Sur la question des violences symboliques et physiques faites aux maires, le chiffre marquant de l'enquête est que 5 % des maires ont déclaré avoir subi des violences physiques. Cela peut paraître faible mais recouvre en réalité des centaines de cas d'agressions physiques. Un constat similaire a pu être dressé à partir de l'enquête lancée par le Sénat au cours de l'été 2019 à destination de l'ensemble des élus.
On observe également une montée des incivilités dans le temps, même si l'on peut noter quelques éléments encourageants en matière d'atteintes aux biens et au domaine public communaux. Par exemple, le nombre d'occupations illégales ou d'évènements non autorisés n'augmente pas.
Il est en tout état de cause difficile de distinguer les faits relevant de l'atteinte à la commune des atteintes à la personne physique. En effet, un acte de violence physique porté à l'endroit du maire est bien souvent la suite de faits de malveillance au sein de la commune. L'exemple de ce qui est arrivé au maire de la commune de Signes en est l'illustration.
Par ailleurs, 20 % des maires nous déclarent avoir déjà subi des attaques sur les réseaux sociaux, en dépit de leur présence relativement faible sur ces supports de communication.
Concernant les grandes transformations observées au cours des trois années d'enquête, nous avons souhaité comprendre si l'état d'esprit des maires au quotidien, leur niveau de confiance en l'avenir par exemple, pouvait être perturbé par des phénomènes subjectifs. On observe que lorsqu'un maire est assez peu confiant pour l'avenir de sa commune, il représente des citoyens optimistes. De la même manière, les maires optimistes représentent souvent des citoyens pessimistes. De façon générale, dans les très petites communes, des maires pessimistes représentent des citoyens optimistes et, dans les grandes communes, des maires optimistes représentent des citoyens pessimistes. Cet effet de ciseaux est intéressant pour comprendre comment revitaliser la vie démocratique locale. Enfin, quand maires et citoyens partagent le même état d'esprit, il n'y a pas d'inquiétude à avoir entre la représentation et la manière dont on fait vivre la démocratie municipale.