Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer dans le cadre de vos travaux sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure. Ce thème est évidemment au coeur des préoccupations du ministère de l'intérieur et de la direction générale de la police nationale (DGPN) dans sa mission de protection de nos concitoyens et des institutions de la République. La notion même d'ancrage territorial peut s'apprécier de plusieurs façons, comme le montre le rapport intermédiaire publié par votre délégation.
Quelques données illustrent l'action de la police nationale, préfectures de police comprises. En 2019, la police nationale a été chargée du traitement de 89 % des faits de violences physiques crapuleuses, 69 % des atteintes aux biens, 81 % des faits relevant de la grande criminalité et 88 % des faits de trafics de stupéfiants. Par ailleurs, l'ensemble des services de la police a assuré 77 % des mesures de garde à vue.
Hors la zone de compétence de la préfecture de police de Paris qui justifie un traitement à part, dans le cadre des travaux concernant l'ancrage territorial de la sécurité, 307 circonscriptions de sécurité publique sont en première ligne pour assurer la sécurité du quotidien à laquelle les Français sont attachés. Elles ont la responsabilité de près de 27 millions d'habitants, soit près de 40 % de la population. Par ailleurs, près de 7 millions d'appels Police secours et 2,1 millions interventions ont été enregistrés en 2019 par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), ce qui témoigne bien de l'intensité de l'engagement des policiers sur le terrain.
Dans ce cadre, la police nationale développe une politique territoriale que nous n'avons de cesse de moderniser, au travers de l'organisation de nos structures et de notre relation avec la population ou nos partenaires, au premier rang desquels figurent les élus locaux. Cette volonté d'adaptation aux réalités du territoire s'est notamment traduite par le lancement de plusieurs initiatives ; je souhaiterais en évoquer deux devant vous.
Il s'agit d'abord, depuis le 1er janvier dernier, de l'expérimentation des directions territoriales de la police nationale (DTPN). Elles ont été créées dans trois territoires d'outre-mer - Mayotte, Guyane et Nouvelle-Calédonie - marqués par une forte délinquance et des mouvements d'ordre public nécessitant une mutualisation forte entre les services de police présents dans ces territoires.
Pour répondre à ce besoin de cohérence et de cohésion dans l'action, l'organisation de la police nationale évolue vers un modèle s'appuyant sur des filières métiers - sécurité publique, sécurité judiciaire, renseignements, immigration et circulation transfrontière, formation - placées sous une direction unique. Ce commandement unifié permet à la fois de renforcer l'efficacité opérationnelle de la police nationale et de rendre son action plus visible pour ses partenaires, notamment les élus. Dans ces territoires, vous pouvez désormais parler à un seul chef de la police nationale.
S'inspirant du modèle des directions territoriales de la police nationale ultramarine, à la suite de la publication du Livre blanc sur la sécurité intérieure et à la demande du ministre de l'intérieur, une expérimentation va être menée dans les départements de la Savoie, du Pas-de-Calais et des Pyrénées-Orientales à partir du 1er janvier prochain, afin de mesurer la pertinence de cette organisation en métropole.
Parallèlement, la sécurité publique poursuit l'adaptation de son réseau territorial avec la structuration d'un échelon zonal, sur le modèle de l'organisation territoriale du ministère de l'intérieur, qui vise à promouvoir une déconcentration de la décision en rapprochant et en démultipliant l'animation et la coordination des moyens et des ressources des directions départementales de la sécurité publique (DDSP).
La présence de la police nationale au plus près des réalités des territoires me conduit à souligner l'importance du maintien de la présence de la sécurité publique dans tous les départements, même si nous devons bien sûr réfléchir à faire évoluer ce maillage territorial. Le principe de l'existence de deux forces de sécurité intérieure dans notre pays n'étant pas contesté, il me semble nécessaire de l'affirmer dans tous les départements, qui sont la déclinaison en proximité de l'organisation administrative de l'État.
Sur le plan opérationnel, la police nationale doit disposer de relais pour tous ces services, qu'il s'agisse de la police judiciaire, de la police aux frontières, des compagnies républicaines de sécurité ou, de manière plus exceptionnelle, du RAID. D'un point de vue sociologique, cette implantation permet de disposer d'une police qui ressemble à la diversité et à la richesse de la population française. Il ne faut pas non plus négliger le risque d'assèchement de certains viviers de recrutement si la police venait à quitter des territoires. Cette couverture territoriale garantit aussi, d'une certaine façon, que les analyses du service central du renseignement territorial (SCRT) soient nationales, même si la gendarmerie contribue efficacement à la collecte et à la remontée du renseignement.
Ce nécessaire ancrage dans tout le pays ne fait pas obstacle à des évolutions de la répartition entre la police et la gendarmerie. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs annoncé sa volonté de reprendre les travaux sur ce sujet, à l'issue d'une évaluation des opérations de restructuration menées entre 2003 et 2014. Nous partageons tous le sentiment que cette répartition mérite d'être revue, en sachant que la moindre initiative provoque toujours des réactions fortes de la part des élus concernés et des organisations syndicales dans la police.
Sans présumer des conclusions de cette mission, je partage avec vous une idée quant à la méthode à suivre. Des principes simples doivent guider ses travaux : pas de préalables ; pas de postures ; du pragmatisme ; un pilotage local par le préfet ; une concertation à chaque étape avec les élus ; et pas de « grand soir » du redécoupage. Cette méthode doit servir l'objectif partagé de proposer le meilleur service public.
L'ancrage territorial, c'est également le renforcement des relations avec les partenaires de la police nationale, à savoir les collectivités territoriales et les polices municipales. Les 14 000 policiers municipaux exerçant leur mission en zone de compétence de la police nationale sont devenus, au fil des années, des partenaires incontournables, dans le respect des compétences de chacun. J'entends les inquiétudes exprimées sur le risque de désengagement de l'État en confiant de nouveaux pouvoirs aux polices municipales. La bonne articulation et les conditions de collaboration entre ces deux forces sont décisives pour assurer la qualité de la coproduction de sécurité. De ce point de vue, la proposition de loi relative à la sécurité globale offre de nouvelles perspectives pour favoriser la montée en compétences des policiers municipaux et explorer de nouvelles modalités d'action, en complément des forces de sécurité intérieure.
Plus généralement, les mécanismes de coopération renforcée entre la police, la gendarmerie nationale et les collectivités, à l'instar des formations restreintes des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou des groupes de partenariat opérationnel (GPO) constitués dans le cadre de la police de la sécurité du quotidien (PSQ), contribuent à assurer un traitement efficace de la délinquance au plan local. Il convient cependant d'éviter de multiplier les instances de prévention de la délinquance, au risque de créer un millefeuille qui disperserait les ressources humaines et les moyens.
De mon point de vue, la qualité de la relation avec les élus est fondamentale pour proposer un service public de qualité, répondant aux attentes de la population. Mon expérience de préfet de département, après avoir exercé des fonctions opérationnelles dans la police, m'a conduit à diagnostiquer immédiatement des marges de progression importantes. La police nationale n'est pas encore totalement à la hauteur de ces enjeux. Si la relation est naturelle entre les responsables de la sécurité publique et les maires des communes auxquelles ils sont rattachés, elle apparaît très clairement perfectible à l'égard des intercommunalités, du président et des élus du conseil départemental, du président et des élus du conseil régional, ainsi que des parlementaires.
Nous devons aussi nous rapprocher des associations d'élus pour être davantage à l'écoute de leurs aspirations et de leur fine connaissance des territoires. De la même façon, nous ne faisons pas assez connaître l'action et l'organisation de la police auprès de nos interlocuteurs principaux. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de développer deux types d'action : d'une part, j'ai lancé à mon niveau une série d'entretiens avec les associations nationales d'élus, afin de leur proposer de nouer des relations institutionnelles et de proximité ; d'autre part, nous allons développer dans la police une culture de la communication destinée aux élus locaux, afin de faire mieux connaître les réalisations et les projets de la police nationale et de mieux se nourrir également de la connaissance des élus.
Les directeurs départementaux de la sécurité publique et les chefs des circonscriptions en seront, bien sûr, les premiers acteurs. Pour y parvenir, nous travaillons à l'adaptation des modules de formation des commissaires et des officiers amenés à prendre la responsabilité d'une circonscription de sécurité publique. Au-delà de la nécessaire connaissance des pouvoirs de police du maire et des outils de partenariat qui existent, il s'agit de mieux appréhender la relation avec l'ensemble des élus.
L'ancrage de la police, c'est enfin la relation avec la population. La PSQ a remis le citoyen au coeur de l'action des policiers. Nos missions ont été recentrées sur la résolution de problèmes quotidiens de la population, au plus près de ses préoccupations. Près de 1 000 GPO se réunissent régulièrement pour apporter des solutions durables et partenariales aux problèmes d'insécurité identifiés. À la date du 1er octobre 2020, 5 340 réunions de ces GPO ont été organisées, donnant lieu à l'identification de 10 340 cas problématiques, concernant, par exemple, les rodéos urbains, l'occupation de halls d'immeubles, les dégradations de biens publics ; près de la moitié ont, d'ores et déjà, été résolus. Par ailleurs, ces GPO peuvent être aussi bien territoriaux que consacrés à une thématique particulière.
Cette nouvelle culture d'une police avec et pour les citoyens est complémentaire des actions déjà menées par les 201 référents policiers spécialisés dans la prévention des addictions ou par les 228 délégués à la cohésion police-population déployés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville depuis 2008. La PSQ renforce ainsi les dispositifs partenariaux existants, à l'image des conventions de participation citoyenne qui reposent sur des échanges d'informations entre les maires, les forces de l'ordre et des citoyens volontaires ayant choisi de bâtir une « société de vigilance », pour reprendre les mots prononcés par le Président de la République à l'occasion de l'hommage aux victimes de l'attaque terroriste de la préfecture de police.
Au 1er novembre 2020, 431 communes ont signé une convention de participation citoyenne et 122 communes ont un projet de convention à l'étude. Dorénavant, nous voulons aller au-delà de la simple réponse aux besoins en nous inscrivant dans une démarche de mesure de la satisfaction du public, pour mieux encore répondre à ses attentes. C'est la raison pour laquelle, tous les deux ans, nous faisons réaliser un sondage par Ipsos, afin d'évaluer l'image de la police nationale. Depuis 2018, nous sommes également associés à l'université Savoie-Mont-Blanc pour conduire des études sur la perception de la qualité de la relation et du service public rendu par la police nationale.
La première étude, au titre de l'année 2019, s'est concentrée sur les quartiers de reconquête républicaine (QRR) et sera étendue en 2020 à l'ensemble de la zone de compétence de la police nationale. Les résultats renvoient l'image d'une police qui, d'une part, intervient dans des délais jugés raisonnables (près de 60 %) et, d'autre part, répond aux attentes des habitants du quartier (un peu plus de 60 %). Ces résultats sont encourageants, même si je ne méconnais pas l'impact négatif que peuvent avoir les dernières affaires. Je veux d'ailleurs, une nouvelle fois, rappeler que ces comportements sont sévèrement sanctionnés dès lors que les faits sont avérés - 1 678 sanctions ont été prononcées par l'institution policière en 2019.
La société modifiant ses modes d'interaction, la police nationale modernise sa relation avec l'usager. Cette démarche d'adaptation aux besoins du public a conduit à la création du site moncommissariat.fr, avec un tchat de la police nationale mis en oeuvre pendant le premier confinement à la fois pour offrir un meilleur service aux usagers, éviter les déplacements inutiles dans les commissariats et délester les centres d'appels d'urgence de la police. Ce nouveau commissariat numérique donne accès à un portail généraliste unique, avec un parcours simplifié permettant aux usagers d'entrer en contact direct avec un policier, 7 jours sur 7, bientôt 24 heures sur 24, à partir de n'importe quel point du territoire. Il permet également de coordonner l'accès à tous les téléservices aujourd'hui disponibles dans la police : la plateforme de signalement des violences sexuelles, qui va bientôt s'étendre aux violences conjugales, à la discrimination et au cyberharcèlement ; la pré-plainte en ligne ; la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), que tout le monde connaît bien désormais ; et « Signal-Discri », pour les signalements qui s'adressent à l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Très rapidement, cette plateforme permettra d'accéder à « Thésée », le premier dispositif de plaintes en ligne pour les escroqueries commises sur Internet. Le site moncommissariat.fr monte rapidement en puissance, avec 20 000 tchats lors du mois de novembre.
Comme je l'ai indiqué, la question de la relation de confiance entre la police et la population est une nouvelle fois posée depuis quelques jours. La police nationale est d'abord forte des 146 000 hommes et femmes qui la composent. Nous devons travailler à l'enrichir de l'expérience et de l'énergie disponibles dans la société civile, en offrant la possibilité aux citoyens qui veulent contribuer à cette mission de sécurité d'intégrer plus facilement les rangs de la réserve civile. Nous sommes très en retard par rapport à la gendarmerie nationale, qui compte aujourd'hui cinq fois plus de réservistes. Au-delà du renfort pour remplir les missions, c'est une formidable opportunité de transformer ces réservistes en ambassadeurs. J'ai donc décidé de créer la fonction de commandant des réserves de la police nationale, afin de redynamiser l'emploi des réserves et de mettre en place une stratégie permettant d'élargir le vivier. Cela passera nécessairement par un développement des partenariats avec les entreprises et les universités, mais également par un assouplissement des modalités d'accès à la réserve. La levée du principal frein imposera ensuite de faire sauter le verrou de l'armement de ces réservistes ; nous comptons évidemment sur l'appui des parlementaires.
La police nationale s'adapte en permanence. Les efforts budgétaires consentis en 2020 et surtout en 2021 pour renforcer les effectifs, améliorer les équipements et les conditions de travail sont conséquents, avec l'objectif de remettre à niveau l'état de nos forces engagées sur la sécurité du quotidien.
Comme vous l'avez rappelé, le Livre blanc sur la sécurité intérieure a été rendu public par le ministre de l'intérieur, le 14 novembre dernier. Ces travaux se sont appuyés sur une large concertation. Si les 200 propositions n'ont pas vocation à être toutes appliquées, ce document s'avère toutefois une source d'inspiration, avec des recommandations très concrètes, par exemple sur le continuum de sécurité et l'organisation de la police nationale. S'agissant des polices municipales et de la sécurité privée, les préconisations sont en phase avec la proposition de loi examinée prochainement au Sénat. Par ailleurs, certaines propositions ont déjà été mises en oeuvre, comme le développement de la sécurité du quotidien, le schéma national du maintien de l'ordre et le plan de national de lutte contre les stupéfiants.
Je conclurai mon propos en partageant avec vous les objectifs fixés par le ministre de l'intérieur dans la lutte contre l'insécurité. Outre la lutte contre le terrorisme et la radicalisation qui reste un objectif permanent, la sécurité dans les transports en commun et la lutte contre les violences intrafamiliales, nous renforçons la lutte contre les stupéfiants - usages et trafics -, qui nous semble être la mère de toutes les batailles. C'est un sujet de sécurité et de santé publique qui doit nous réunir, car il touche toutes les catégories de la population et tous les territoires. Imposant de mener des actions de prévention et de répression, il peut et doit mobiliser tous les acteurs de la vie publique.