Concernant le Livre blanc sur la sécurité intérieure, le ministre de l'Iintérieur a rappelé qu'il n'en était pas à l'origine, mais qu'il souhaitait néanmoins le rendre public. Ce Livre blanc n'a pas de valeur programmatique ; il s'agit d'une base pour continuer à réfléchir, en s'inspirant de certaines propositions, notamment concernant l'organisation de la police nationale, l'avenir du numérique pour les forces de sécurité intérieure, le sujet des ressources humaines ou encore la répartition territoriale des forces.
Nous allons réfléchir, avec une équipe projet, à la manière de faire évoluer l'organisation et le fonctionnement de la police, afin qu'une loi de programmation soit préparée et mise en oeuvre à l'issue des échéances électorales de 2022. Pour autant, quelques propositions font sens dès maintenant et correspondent à des attentes très fortes, à la fois des responsables de la sécurité et des usagers. On retrouve certaines de ces propositions dans la loi sur la sécurité globale. Par exemple, la proposition de créer la fonction de directeur général adjoint de la police nationale : nous n'avons pas attendu pour la mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.
Vous m'interrogez sur l'article 24. Je souhaite rappeler que les policiers sont de plus en plus souvent victimes de violences, d'agressions physiques et verbales, de même que les élus, les enseignants, le personnel médical, les sapeurs-pompiers. La police reste, malgré tout, le réceptacle privilégié de toute cette violence qui s'exprime de manière désinhibée. J'ai été frappé, depuis ma prise de fonctions, par cette dérive. C'est la raison pour laquelle j'ai mis en place une plateforme d'assistance aux policiers victimes, qui fonctionne sept 7 jours sur sept7, de cinq 5 heures à vingt-trois23 heures. Ce dispositif permet d'assurer une prise en charge à la fois psychologique, juridique et parfois médicale de ces policiers.
Autant nous sommes en capacité de conduire des enquêtes après des agressions physiques sur la voie publique, autant nous sommes désarmés face à certains propos ou certaines initiatives sur Internet. Ainsi, sur certains sites militants, on invite à identifier et localiser des policiers, en dévoilant des photos. L'idée a circulé que l'on pouvait « cagouler » les policiers afin de les protéger ; le ministre de l'Iintérieur et moi-même partageons le sentiment que la police ne doit pas avoir peur de ce qu'elle est ni de ce qu'elle fait.
La contrepartie, c'est que les policiers puissent être protégés et défendus - il s'agit d'une attente forte de leur part - quand certains expriment de manière aussi déterminée la volonté de nuire. Un marqueur important fut l'assassinat de Magnanville : un couple de policiers - un agent administratif et un fonctionnaire de police actif - ont été égorgés à leur domicile, devant un de leurs enfants, en raison de leur qualité de policiers. Psychologiquement, cette affaire a constitué un point de bascule. Autant nous pouvons admettre, parce que c'est aussi une partie du sens de notre engagement, de prendre des risques dans l'accomplissement de notre mission, autant il nous paraît insupportable d'être exposés simplement en raison de notre qualité et dans le cadre de notre vie privée. D'ailleurs, les policiers cherchent de moins en moins à habiter là où ils travaillent : ils vont vivre à 60 kilomètres dans une ville différente.
L'attente est donc forte ; le ministre de l'Iintérieur l'a bien perçue au travers des rencontres qu'il a pu faire avec les policiers. Ce n'est pas au directeur général de la police nationale de commenter la loi ou d'exprimer un point de vue ; je fais part des situations auxquelles sont confrontés les policiers.
Certains considèrent qu'une telle disposition serait juridiquement redondante avec d'autres mesures. Face au développement des mises en cause et des prises à partie sur les réseaux sociaux, nous ne voulons pas attenter aux libertés publiques ou nous en prendre à la liberté de la presse. Je le répète, nous sommes favorables à la transparence. Nous acceptons d'être filmés, mais pas que ces images soient le prétexte à exposer la sécurité des fonctionnaires.
J'admire les policiers qui supportent avec flegme d'être face à des personnes qui attendent, smartphone prêt à l'emploi, d'avoir une image à diffuser sur Iinternet pour récolter des milliers de vues. Finalement, le nombre de dérapages est très limité.
Il ne faudrait surtout pas que les policiers aient l'impression d'une forme d'abandon de la part de la représentation nationale si l'on renonçait à mettre en place une forme de protection à ce risque d'exposition.
Monsieur Pointereau, vous avez évoqué la force de proposition du Sénat sur la répartition des compétences territoriales entre la police nationale et la gendarmerie nationale.
Nous ne souhaitons pas organiser une réforme qui ne ferait que créer des tensions, avec un grand soir du redécoupage territorial entre la police et la gendarmerie. Les critères actuels sont des références intéressantes, mais ils ne doivent pas constituer l'alpha et l'oméga des initiatives que nous pourrions prendre. Il faut prendre en considération les problématiques de bassins de criminalité, de lignes de transport, d'habitats de vie et de travail... Nous devons examiner un ensemble d'éléments, territoire par territoire. Le DGPN peut avoir quelques idées, mais ce n'est pas à lui de décider. Je ne citerai pas d'exemple, pour éviter que la presse locale ne s'en empare ! Des commissariats de police sont implantés dans des communes où la densité de population n'est pas très importante et dans lesquelles les problématiques de sécurité pas très développées.
On devrait s'interroger sur la pertinence de maintenir un commissariat, avec les contraintes qui accompagnent une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si l'on procède à une fermeture, les élus locaux peuvent s'interroger sur l'intérêt de cette opération : il faut donc préparer cette fermeture, l'accompagner et expliquer comment nous pouvons continuer à proposer la même qualité de service public de sécurité.
Les phénomènes criminels et de délinquance changent très vite ; la répartition de la population sur le territoire se modifie en profondeur. Je n'ai pas des moyens extensibles : il faut que je fasse au mieux pour les utiliser là où l'on en a besoin. Tout cela doit être traité sujet par sujet, et expliqué avec beaucoup de pédagogie aux élus, à la population et aux policiers qui travaillent dans ces services qui vont fermer. Ceux-ci voient leur vie personnelle remise en question, et peuvent estimer que leur travail n'est pas suffisamment considéré. Ces fermetures doivent être faites avec une grande précaution, mais on ne doit pas pour autant se les interdire.
Vous m'avez interrogé sur les départements très ruraux et la compétence du chef--lieu. La police nationale est compétente sur l'ensemble du territoire national. Il est important de maintenir le principe de la présence de la sécurité publique dans chacun des départements de notre pays. Si l'on établit des critères, on les durcira demain, et on se retrouvera finalement avec 40 départements sans présence de la sécurité publique.
Il faut maintenir la position de principe de la présence de la sécurité publique dans l'ensemble des départements, sans s'interdire de donner de la cohérence à l'organisation de certains territoires. Dans des départements très ruraux, je ne sais pas s'il est absolument nécessaire d'avoir deux ou trois circonscriptions de sécurité publique.
J'en viens aux polices municipales. Le risque de transférer des compétences aux collectivités, avec le reproche souvent fait à l'État de l'absence de transfert des ressources correspondantes, est que celui-ci soit accusé de se débarrasser de ce qui l'ennuie. Ce serait une erreur considérable, je le dis en tant qu'ancien préfet et en tant que directeur général de la police nationale. Sur le sujet de la coproduction de sécurité, du continuum de sécurité, il faut une identification précise des missions que nous voulons confier à chacune des forces. Les élus et les policiers municipaux ne doivent pas avoir l'impression qu'ils sont le « réceptacle » de tout ce que ne veulent plus faire la police et la gendarmerie nationales.
Les policiers municipaux sont présents sur le terrain, ils constatent un certain nombre de choses : il faut leur donner la possibilité de le faire de telle sorte que la police ou la gendarmerie puissent conduire par la suite des investigations. Cette capacité de constatation me paraît absolument nécessaire dans de nombreux domaines, au-delà même parfois de la tranquillité publique. Mais cela doit s'arrêter là. Il ne faut pas imaginer que, demain, la police municipale pourra participer à des opérations de maintien de l'ordre : elle peut donner un coup de main pour détourner la circulation, organiser le trafic routier pendant de grandes manifestations, mais il ne faut pas envisager de lui confier des compétences les associant au coeur des opérations de maintien de l'ordre.
Les CLSPD présentent un point fort : ils constituent un lieu où tout le monde se réunit pour évoquer les questions de sécurité sur un territoire. Le maire peut avoir autour de lui l'ensemble des parties concernées, et pas seulement d'ailleurs au titre de la sécurité, ce qui inclut les bailleurs, les écoles, les associations... Si ce système ne fonctionnait pas, on l'aurait abandonné. Dans certains endroits, le CLSPD ne fonctionne pas bien, car il n'y a pas de réunions régulières, ou parce que certains participants ne sont pas très assidus ou n'apportent pas la contribution attendue à la mesure de ce qu'ils représentent sur le terrain. Il dépend de la manière dont il est conduit localement ; il ne présente pas de défauts structurels.
L'augmentation du nombre d'espaces de partage sur les problématiques de sécurité liées au territoire peut conduire à ce que l'on se perde entre les GPO, les CLSPD, les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD)... Soyons attentifs à ne pas multiplier les structures. Les CLSPD sont bien identifiés, et certains sont intercommunaux. Il faut réaffirmer leur importance et faire confiance aux maires pour les animer.