Je suis présidente du Centre Hubertine Auclert et conseillère régionale de l'Île-de-France, membre de l'exécutif de la région et déléguée spéciale auprès de la présidente, en charge de l'égalité femmes-hommes.
Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat, dont je suis le travail sur les questions d'égalité femmes-hommes depuis des années et qui a déjà produit plusieurs documents et rapports sur les femmes et la ruralité.
Je me félicite par ailleurs de voir combien cette délégation compte une diversité des territoires issus de l'ensemble de la France.
J'habite dans le département de la Seine-et-Marne, territoire ô combien rural de l'Île-de-France. La région est souvent exclusivement associée aux territoires urbains et périurbains qui la composent. C'est pour cette raison qu'au Centre Hubertine Auclert, nous avons décidé en 2017 de produire un rapport sur les femmes et la ruralité. En effet, 55 % des communes d'Île-de-France sont classées comme rurales et occupent 64 % du territoire francilien. Il me semblait évident qu'il fallait s'occuper de ces territoires ruraux, trop souvent ignorés par le passé au profit de Paris et de sa proche couronne.
S'agissant des enjeux liés à l'éducation tout d'abord, il faut savoir que les jeunes des zones rurales sont moins nombreux à poursuivre des études supérieures que les jeunes urbains. Il existe sur ce plan dix points d'écart entre les zones rurales et le reste de l'Île-de-France. Les filles, quant à elles, sont plus nombreuses à ne détenir aucun diplôme dans les zones rurales : 29,1 % contre 25,9 % pour les garçons. Elles font donc face à de nombreux freins pour atteindre un premier niveau de diplôme. Les choix de formations restent, en outre, beaucoup moins diversifiés pour les filles. Elles sont très souvent orientées vers des filières de soin et d'accompagnement tandis que les garçons se destinent plutôt aux métiers du bâtiment et de la mécanique.
Des différences sont donc observées dès la formation initiale. Notre rapport préconise une diversification de l'offre de formations dans les zones rurales, en s'appuyant sur des diagnostics sexués (ce qui est peu fait). Notre rapport préconise également une communication non stéréotypée sur l'ensemble des filières de formations.
S'agissant ensuite des perspectives professionnelles, les taux d'emploi, entre les départements ruraux et le reste de l'Île-de-France, présentent jusqu'à onze points d'écart qui concernent plus particulièrement le sud de la Seine-et-Marne. En revanche, en Île-de-France, les femmes vivant en zone rurale sont un petit peu moins confrontées au chômage que les hommes. Néanmoins, elles sont moins « en emploi », c'est-à-dire qu'elles sont plus souvent exclues du marché du travail sans toucher d'allocations.
En grande couronne, les femmes sont plus touchées par des conditions d'emploi précaires. 39 % sont à temps partiel, ce qui représente un écart de 15,7 points avec les hommes.
Notre rapport préconise donc de favoriser l'accès à la formation continue pour les femmes qui sont très éloignées de l'emploi et d'encourager le développement de l'entreprenariat pour les femmes en promouvant les réseaux d'entreprenariat et en construisant des espaces particuliers de co-working accessibles à toutes et tous.
Les chiffres suivants méritent d'être connus : entre 5 000 et 6 000 Françaises travaillent dans l'exploitation agricole de leur conjoint sans aucun statut. J'entends ce leitmotiv depuis vingt ou trente ans. Nous voyons bien que les choses n'ont pas beaucoup évolué dans ce domaine. Seules 58 % des femmes agricultrices prennent leur congé de maternité. En outre, les retraites agricoles des femmes sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne. En 2010, les femmes dirigeaient des exploitations de 36 hectares en moyenne, contre 62 hectares pour les hommes.
Entre autres recommandations, nous avions pointé la nécessité de renforcer l'accès des agricultrices aux informations sur l'existence des différents statuts en agriculture et de suivre plus particulièrement leur recours au congé de maternité.
Parmi les bonnes pratiques identifiées et encouragées par ce rapport, je mentionnerai le pôle ABIOSOL, où lors de « cafés installation », des agriculteurs expérimentés viennent échanger avec des agriculteurs plus jeunes sur les implications d'un projet agricole.
En Île-de-France, l'accueil des jeunes enfants constitue un problème majeur dans les zones rurales où la situation est en effet défavorable. En 2010, nous comptions, par exemple, 12 places en accueil collectif pour 100 enfants de moins de trois ans en Seine-et-Marne contre 40 places pour 100 enfants à Paris.
Dans la communauté de communes où je me trouve (Communauté d'agglomération Coulommiers Pays de Brie), nous avons initié, pour les jeunes enfants, un accueil collectif itinérant qui se déplace dans tous les petits villages. Cet accueil permet aux mamans de se déplacer pour aller chercher un emploi ou de faire ce qu'elles ne peuvent pas faire lorsque leurs enfants ne sont pas gardés. Nous prenons en charge ces enfants, âgés de trois mois à quatre ans, par demi-journées. Nous avons organisé cet accueil il y a un certain temps déjà. Le succès de ce mode de garde est tel que nous le développons dans d'autres territoires ; nous avons régulièrement des demandes de précisions sur le fonctionnement de cet accueil. L'organisation de cette garde itinérante est une grande fierté pour notre territoire.
Après l'accueil des jeunes enfants, le deuxième grand problème des femmes dans la ruralité - qui n'est toutefois pas propre aux femmes - est celui de la mobilité.
Les femmes se déplacent moins souvent en voiture que les hommes. En Ile-de-France, 61 % des femmes se déplacent en transports collectifs ou à pied contre 50% des hommes, tandis que 37% des femmes et 45 % des hommes utilisent la voiture. Là encore, nous observons un écart significatif entre le nombre de déplacements des femmes par rapport à celui des hommes. La voiture est le mode de transport le plus utilisé dans les zones rurales : 55 % des déplacements se font en voiture, contre 10 % à Paris.
Les femmes ont également un moindre accès au permis de conduire. 76 % des femmes françaises sont détentrices du permis B contre 90 % des hommes français. En conséquence, les femmes peuvent moins facilement se déplacer que les hommes : très souvent, il n'y a qu'un véhicule par foyer et l'offre de transports collectifs est insuffisante. L'autonomie des femmes est donc entravée par ces difficultés.
Je suppose que la situation est la même dans d'autres départements que la Seine-et-Marne que je connais bien. Celui-ci a mis en place des transports privés à but social ainsi que des transports à la demande. Nous voyons bien que ce n'est pas suffisant, même si des efforts sont régulièrement déployés à l'attention des femmes.
Un autre problème rencontré par les femmes concerne la pratique d'une activité sportive. En 2013, le public féminin avait été ciblé par le plan de féminisation des fédérations élaboré par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports. Pourtant, les femmes des zones rurales n'ont été concernées que par 5,88 % des mesures issues de ce plan de féminisation.
Le manque de temps est la principale raison invoquée pour expliquer cet éloignement de la pratique sportive : 69 % des femmes interrogées dans le cadre du rapport de Manon Laporte sur les femmes dans les sports en Ile-de-France ont en effet répondu qu'elles avaient renoncé à pratiquer une activité sportive par manque de temps.
Le coût de la pratique du sport est la deuxième raison avancée par les femmes, à hauteur de 34 %, pour justifier l'absence de pratique sportive régulière.
À la région Île-de-France, nous avons fait très attention à promouvoir la pratique féminine dans les associations.
Dans les territoires ruraux d'Île-de-France, nous constatons un écart de pratique sportive significatif entre les femmes et les hommes. Dans le sud de la Seine-et-Marne, la mobilité constitue la principale raison pour laquelle les femmes ne pratiquent pas de sport. Face à l'insuffisance des installations sportives, la mobilité constitue un frein pour les femmes, dès lors qu'elles ne bénéficient pas d'un moyen de transport autonome pour se déplacer.
S'agissant du volet « lutte contre les violences faites aux femmes » du rapport, je rappelle que le Centre Hubertine Auclert, que je préside, héberge l'Observatoire régional des violences faites aux femmes qui, adossé à la région Île-de-France, exerce une influence certaine à l'échelle nationale, voire européenne et internationale. Nous sommes le seul exemple d'un tel organisme sur le territoire. Nous sommes donc très impliqués dans la préconisation de mesures de lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans le milieu rural, il existe un grand vide concernant la lutte contre les violences. Les femmes en milieu rural ne connaissaient pas toujours le numéro d'appel d'urgence 3919. Cette découverte a été sidérante pour nous.
En milieu rural, le premier point de chute des femmes victimes de violences est le médecin. Il est inutile de vous dire que quand ces violences arrivent à des moments où le cabinet est fermé, ces femmes n'ont que très peu de moyens de joindre quelqu'un qui pourrait les aider.
Seules 18 % des franciliennes rurales ont rencontré plus d'un service d'aide en matière de violences, contre 31 % des femmes en milieu urbain francilien. La différence est très importante. Nous sommes dans des territoires où ce sujet est encore tabou. Nous avons encore de grands progrès à faire en matière de communication et d'écoute. En effet, ces sujets ne sont pas abordés facilement dans nos départements ruraux.
Les femmes en milieu rural ne connaissent pas non plus les numéros des associations spécialisées contre les violences qui sont sur leur territoire. En outre, ces femmes sont très réticentes à entreprendre des démarches. C'est ce qui me fait dire qu'il s'agit d'un sujet encore tabou. Ces femmes ont le sentiment qu'elles ne seront pas crues par les professionnels qui connaissent l'auteur, celui-ci pouvant être impliqué dans la vie locale. Ces éléments sont liés.
Ce problème demande beaucoup d'humilité tant il est compliqué. Comment établir des lieux d'écoute pour ces femmes en milieu rural ? Ce sujet est extrêmement délicat car c'est souvent l'anonymat qui est recherché par les victimes. Or, dans des villages ou des petites villes, tout le monde se connaît ! Cette absence d'anonymat explique pourquoi les femmes ne portent pas plainte et pourquoi elles n'entreprennent aucune démarche. L'angoisse d'être reconnue et d'être considérée comme une victime est très culpabilisante, et constitue un véritable obstacle en milieu rural. Dans les zones urbaines, l'anonymat est mieux assuré pour les victimes de violences conjugales.
La lutte contre les violences constitue donc un sujet majeur sur lequel nous devons nous pencher. Si nous ne faisons pas attention et si nous ne prenons pas des mesures importantes pour permettre à ces femmes de sortir de ces violences, il en résultera un écart accru entre les milieux ruraux et les zones urbaines. En termes d'inégalités entre ces territoires, la lutte contre les violences faites aux femmes est un enjeu majeur !
Les violences conjugales entraînent aussi des violences intrafamiliales. Nous estimons qu'il y a plus d'enfants qui souffrent de ces violences en milieu rural que dans les zones urbaines. Il existe évidemment des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dans certains territoires. Les places disponibles sont toutefois peu nombreuses, au regard de ce qui existe dans les zones urbaines.
Concernant l'accès au droit et à l'information juridique, il n'existe que 9,7 % de points d'accès au droit dans les zones rurales. Nous voyons bien qu'il s'agit d'un problème majeur, bien qu'il soit souvent occulté, y compris par des élus des territoires ruraux. C'est extrêmement compliqué si vous ne disposez pas, dans votre collectivité, d'un ou d'une référente connaissant bien ces problématiques et soumis à la confidentialité.
S'agissant des déserts médicaux, vous avez sans doute déjà connaissance des mêmes chiffres que moi. Vous connaissez les difficultés que rencontrent dans ce domaine les territoires ruraux. On trouve 1,1 % des gynécologues en zone rurale contre 14,2 % en zone dense. 30 % des franciliennes restent à l'écart du dépistage du cancer du sein. La couverture contraceptive se ressent de ces difficultés. Les inégalités dans le domaine de la santé s'accroissent.
J'ai été élue à la région Île-de-France en 2010. Nous étions huit dans la délégation de Seine-et-Marne ; lorsque notre délégation est arrivée à la région Île-de-France en 2010, le regard de l'ensemble de l'assemblée régionale m'a donné l'impression que nous étions les paysans qui « débarquaient ». Ce sentiment, partagé par toute la délégation, correspondait à la réalité. Quand on est à Paris, la Seine-et-Marne semble « de l'autre côté » de la France. J'imagine ce qu'il en est pour les personnes qui habitent vers Souppes-sur-Loing lorsqu'elles arrivent à la région Île-de-France. La perception des territoires urbains et ruraux est très différente : tout au long de ces années au conseil régional, je l'ai constaté très concrètement. Nous avons encore du travail à faire !
En milieu rural, les femmes sont très engagées dans les associations, les clubs sportifs, etc. Mais l'engagement en politique reste un pas plus difficile à franchir pour les femmes. De ce point de vue, les mesures prises au cours des dernières années en faveur de la parité, avec des paliers successifs, ont été extrêmement bénéfiques.
Quand la parité a été rendue obligatoire dans les conseils municipaux pour la première fois, j'étais déjà très engagée pour l'égalité, et particulièrement pour la parité en politique, car j'avais mesuré combien la trop faible présence de femmes élues était un désastre, surtout dans mon territoire. J'étais présidente d'une association, « Parité 50/50 », qui faisait la promotion des femmes en politique sur tout le territoire français.
Quatre ou cinq ans après notre première élection paritaire au conseil municipal, j'ai organisé une grande réunion des différentes communautés de femmes dans une ville où ces communautés étaient très nombreuses : le maire de cette ville a dit publiquement devant 700 personnes qu'il n'avait pas imaginé l'intérêt d'avoir autant de femmes dans un conseil municipal...
Des progrès ont donc été réalisés. Néanmoins, en zone rurale, il faut aller chercher les femmes, surtout dans les petites communes en dessous de 3 500 habitants. Cela me hérisse lorsqu'une femme se demande si elle va être compétente. Les hommes se posent-ils la question de leurs compétences quand ils partent à la conquête d'une mairie ou d'un mandat ? Depuis quarante ans, je demande aux femmes d'arrêter de se poser cette question, car elles sont aussi compétentes que les hommes. Ce questionnement est de moins en moins vrai dans les zones urbaines mais, en milieu rural, j'ai encore entendu cette interrogation récemment, de la part de jeunes femmes, lorsque nous préparions les élections dans la petite commune où je suis élue. Je me bats pour les femmes depuis quarante ans ! Quand j'entends ces questionnements, je mesure le chemin qui reste encore à parcourir...
En même temps que ce rapport, nous avons mené une enquête inédite, qui a été effectuée par l'institut de sondage BVA auprès des femmes et des hommes élus dans les territoires ruraux franciliens. Une femme sur dix évoque les remarques sexistes qu'elle entend ou subit comme une difficulté de son mandat. C'est beaucoup, une femme sur dix ! 16 % des adjointes qui ne souhaitent pas se représenter expliquent ce choix par le sentiment de ne pas être utiles, contre 1 % des adjoints. Les femmes sont également plus nombreuses à affirmer que les relations conflictuelles avec les autres élus sont aussi une raison de ne pas se représenter.
Les éléments que je viens de vous exposer constituent les grandes lignes du rapport du centre Hubertine Auclert sur les femmes et la ruralité dans les territoires franciliens. J'espère qu'il vous permettra de nourrir le vôtre, sachant que le Sénat est très attaché à l'égalité des territoires et veille à ce que les inégalités ne grandissent pas avec le temps.
Je reste à votre disposition, avec Ambre Elhadad, pour répondre aux questions que vous auriez à nous poser.