Intervention de Jérôme Bascher

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 janvier 2021 à 10h30
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement de la république française et les gouvernements des états membres de l'union monétaire ouest-africaine — Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

Photo de Jérôme BascherJérôme Bascher, rapporteur :

Notre commission se penche de nouveau sur le sujet, très symbolique et parfois très polémique, du franc CFA. Je rappelle en effet qu'à la fin du mois de septembre dernier nos collègues Victorin Lurel et Nathalie Goulet ont réalisé un travail remarquable sur la Zone franc, qui a remis en cause les préjugés et les images d'Épinal sur le sujet. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation du nouvel accord de coopération monétaire entre la France et l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA).

Pour mémoire, le franc CFA est officiellement créé lors de la ratification par la France des accords de Bretton Woods, en 1945. La coopération monétaire entre la France et les quinze pays africains concernés a ensuite évolué au gré de trois accords signés dans les années 1970 : un premier avec les huit États membres de l'Union monétaire ouest-africaine, un deuxième avec les six États membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac), le dernier avec l'Union des Comores. Ces accords forment ce que l'on appelle la « Zone franc », même s'il s'agit bien de trois ensembles distincts disposant de leur propre monnaie.

Il est important de relever que la signature de ces accords montre qu'il s'agit d'un choix délibéré d'États souverains associés dans une union monétaire, et non de la « mainmise » de la France sur l'Afrique.

Pour ce qui concerne l'UMOA, l'accord de coopération date de décembre 1973, et ce n'est en définitive qu'en décembre 2019 que l'idée de réformer le franc CFA de l'Afrique de l'Ouest s'est brusquement concrétisée, à la suite des annonces du président Alassane Ouattara à Abidjan, en présence du président Emmanuel Macron.

Jusqu'à présent, cet accord de coopération monétaire s'était caractérisé par sa grande stabilité, aucune modification en quarante-six ans d'existence ! La parité entre le franc CFA et le franc n'a en effet pas été modifiée pendant des années, ce qui est remarquable quand on songe aux politiques monétaires des années 1970 et 1980. Il n'a ainsi été dévalué qu'à une seule reprise, en 1994. Par ailleurs, en plus de leur intégration monétaire, les États membres de l'UMOA font aussi partie d'une union économique, la Cédéao - Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest -, qui a un périmètre plus large, puisqu'elle se compose de quinze membres, dont des pays anglophones comme le Nigéria. Il ne faut pas confondre ces deux ensembles.

L'accord de coopération entre la France et l'Union monétaire ouest-africaine organise le fonctionnement du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest. Cette monnaie a fait l'objet de critiques symboliques, mais aussi économiques. Il est vrai que l'UMOA associe des pays dont le poids économique est très inégal - la Côte d'Ivoire et le Sénégal faisant figure de locomotives - dans une union qui doit encore être consolidée : les échanges intracommunautaires y sont faibles et l'intégration financière y est limitée.

Cela étant, le franc CFA et son régime de change fixe présentent des avantages indéniables : une très grande stabilité monétaire, une bonne maîtrise de l'inflation et, donc, une forte attractivité pour les investisseurs internationaux.

Je vais maintenant vous présenter les grands principes de fonctionnement du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest, ainsi que les évolutions prévues dans le nouvel accord de coopération monétaire.

Premier principe très important : la convertibilité illimitée en euros. La France apporte une garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle au franc CFA : elle s'est engagée à répondre à toute demande de conversion des banques centrales de la zone franc. Cette garantie prend formellement l'apparence d'un mécanisme de prêt et se traduit par un engagement budgétaire - et non monétaire, j'insiste sur ce point -, retracé dans le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux ». Dans le cadre du nouvel accord, ce principe fondamental est maintenu : il permettra de renforcer la crédibilité et la stabilité monétaires en Afrique de l'Ouest.

Deuxième principe tout aussi important : la parité fixe avec l'euro. Ce principe est également conservé dans le cadre du nouvel accord.

Troisième principe : la liberté des transactions courantes et des mouvements de capitaux à l'intérieur de l'UMOA. Ce principe n'est pas non plus modifié.

Quatrième principe, le plus contesté par les détracteurs du franc CFA, la centralisation des réserves de change : la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) devait obligatoirement déposer au moins 50 % de ses réserves en devises - ce pourcentage a varié selon les périodes - sur un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor français. Ces dépôts demeuraient librement accessibles, tout en étant sécurisés et rémunérés. La rémunération était fixée depuis quelques années au taux plancher de 0,75 %, soit un taux très favorable dans le contexte actuel de faiblesse durable des taux. L'obligation de centralisation prenant fin dans le nouvel accord de coopération monétaire, la France n'aura plus à verser cette rémunération et la BCEAO pourra déposer ses réserves sur d'autres comptes. Pour continuer à évaluer le risque encouru au titre de sa garantie, la BCEAO s'est engagée à envoyer un reporting au Trésor français. Concrètement, celle-ci devra transmettre à intervalles réguliers des informations techniques détaillées à la France.

Cinquième principe, la présence de représentants français dans les instances techniques de la BCEAO, que ce soit au conseil d'administration ou au conseil de politique monétaire, et de l'UMOA, au sein de la commission bancaire. Là encore, ce principe était très contesté, la France étant accusée d'ingérence dans les affaires intérieures de l'UMOA, alors même, je le rappelle, qu'elle ne siégeait pas dans ses instances politiques. Ce principe disparaît dans le nouvel accord. Toutefois, des mécanismes d'urgence sont prévus. Ainsi, aux termes de l'article 8, la France pourra, en cas de crise monétaire, nommer un représentant qui aura voix délibérative au conseil de politique monétaire de l'UMOA, et qui participera donc à la mise en oeuvre des décisions prises pour prévenir ou remédier à la crise. Je précise que le niveau de déclenchement de cette procédure a été volontairement fixé à un seuil de gravité exceptionnelle, soit un taux de couverture de la monnaie inférieur à 20 %. Pour information, ce taux de couverture s'élevait à près de 80 % à la fin du premier trimestre 2020.

Enfin, si cela ne fait pas l'objet d'une disposition « en dur », le préambule de l'accord de coopération monétaire prévoit le changement de nom du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest en « eco ».

S'agissant des autres dispositions du projet de loi, l'article 1er définit les parties à l'accord et les acronymes, tandis que l'article 7 précise les privilèges et immunités octroyés à la BCEAO pour ses établissements et ses opérations sur le territoire français. Les dispositions finales, c'est-à-dire les modalités de la transition entre les deux accords, sont prévues aux articles 9 et 10.

L'article 3 de l'accord dispose, quant à lui, que tout changement de la nature ou de la portée de la garantie nécessite une décision à l'unanimité des États parties à l'accord et doit se faire dans le respect des obligations européennes de la France.

Mes chers collègues, avec cet accord, nous allons mettre fin à un véritable « serpent de mer monétaire » africain, ce qui n'est pas rien !

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