Intervention de Sébastien Lecornu

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 14 janvier 2021 : 1ère réunion
Audition de M. Sébastien Lecornu ministre des outre-mer

Sébastien Lecornu, ministre :

La stratégie maritime est un sujet du plan de relance. Les situations sont très différenciées suivant les territoires.

On trouve à La Réunion une offre consolidée et tout à fait robuste d'acteurs de la mer, qui s'appuie autant sur les infrastructures que sur les métiers de la pêche. Les partenariats sont importants dans la recherche sur les fonds sous-marins. L'ancienne ministre des outre-mer, devenue ministre de la mer, est en train de travailler sur la stratégie de hub et sur les questions portuaires. C'est avec elle que vous pourrez avancer sur ces sujets.

De même, il y a des projets solides de filières de formation, en lien avec des sites normands ou bretons.

Je suis attentif à ce qu'il y ait un dialogue entre les trois océans. Je pense, par exemple, à la question des requins. La communauté scientifique est mobilisée sur ce sujet à La Réunion. Des chercheurs français en résidence en Polynésie française cherchent à pister les requins prédateurs. Il y a des initiatives dans chaque territoire, mais elles sont encore redoutablement cloisonnées. Nous devons engager le décloisonnement.

Pour ce faire, le meilleur moyen est encore de passer des commandes. Ainsi, sur le requin, j'ai demandé à ce qu'on réfléchisse à des réponses plus globales. Cependant, les enjeux maritimes sont très différents suivant les territoires.

Concernant les travailleurs indépendants, il faut, Madame Jasmin, nous faire remonter les cas. Nous avons veillé à ce qu'ils soient éligibles au prêt garanti par l'État (PGE), au fonds de soutien et, le cas échéant, au chômage partiel. Le compte y est en matière de solidarité et de gestion de l'urgence.

Il faut raisonner par secteur. Ce n'est pas la taille de l'entreprise qui est déterminante. J'ai choisi de faire particulièrement attention au secteur du BTP qui, en milieu insulaire, tient une large partie de l'économie et de l'emploi, avec le tourisme. Qui dit BTP, dit commande publique. Il faut que, dans les territoires, les acheteurs publics soient très vigilants sur la rédaction des cahiers des charges, sur l'attribution des marchés, sur la place accordée aux petites structures dans les commandes publiques.

Le décile exceptionnel est à la main des préfets dans un dialogue opérationnel avec les élus, quelle que soit la collectivité territoriale. Les gros chantiers profitent à un certain réseau d'entrepreneurs. Avec une stratégie de petits travaux, on peut intéresser directement un réseau économique de proximité. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le ministre qui peut choisir les entreprises qui vont travailler. Si le Gouvernement et le Parlement peuvent débloquer des sommes pour les différents territoires - pour le plan Séisme Antilles, pour les réseaux... -, c'est évidemment aux élus locaux de veiller à intéresser tout le monde. Les réseaux d'eau peuvent, par définition, être effectués par des regroupements d'entreprises.

S'agissant du fonds Barnier, des mesures d'assouplissement ont effectivement été prises dans les différentes lois de finances. Le sénateur Frédéric Marchand avait déjà déposé quelques amendements pour permettre à des particuliers d'utiliser plus facilement ce fonds.

Deux sujets sont devant nous.

Le premier est l'utilisation du fonds Barnier en tant que tel. Cette utilisation peut être préventive ou curative. Quand elle est curative, il faut une coordination entre le fonds Barnier, les assureurs et le fonds de secours pour l'outre-mer (FSOM), qui dépend de mon ministère. Je suis très attentif à la solidarité nationale. Je ne veux pas que l'on se substitue aux assureurs qui doivent faire leur travail. Il faut bien faire attention à qui fait quoi. Il faut aussi réorienter le fonds Barnier, qui est utile, populaire et efficace, sur ce qui est important. Nous aurons l'occasion de l'évoquer lorsque nous travaillerons sur les risques naturels outre-mer.

Je connais bien le sujet de l'eau en Guadeloupe. La loi n'est pas obligatoire pour créer une structure unique. En revanche, pour créer une structure unique, il faut que tout le monde soit d'accord, sans exception. L'interdépendance des réseaux d'eau est une évidence en milieu insulaire. L'unicité du syndicat est le meilleur moyen de mener les opérations d'investissement. Je peux comprendre qu'il y ait des doutes sur les reprises de dettes, mais la dissolution du syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (Siaeag) amènera un retour de la compétence aux EPCI, puisque l'assemblée délibérante qui est légitime pour traiter les questions d'eau est celle de l'EPCI.

Mon objectif est simple : que les Guadeloupéennes et les Guadeloupéens aient de l'eau. On a déjà laissé passer beaucoup de temps. Voilà trois ans et demi que je suis ministre et que j'entends parler de ce problème... Je sais que les échéances électorales auront lieu en juin, mais c'est un argument que je ne peux accepter. Je salue les efforts qui ont été faits par le passé, notamment par Victorin Lurel. La présidente du conseil départemental est elle aussi mobilisée.

Il y a urgence à avancer sur ces questions de l'eau. Je suis ouvert sur les moyens d'y arriver. La proposition de loi déposée par Dominique Théophile et Justine Benin mérite d'être discutée dans l'hémicycle, parce qu'elle permettra de répondre à des questions de nos concitoyens. N'en restons pas au statu quo.

On a consacré beaucoup d'argent au plan Eau DOM. On débloque de nouveaux crédits avec le plan de relance. Certains estiment que ce n'est pas assez. Je crois que nous sommes tous attachés ici au principe « l'eau paie l'eau ». Je n'ai jamais entendu un sénateur appeler à une recentralisation de l'eau. En Guadeloupe, l'usager la paie via sa facture et via les impôts.

Si l'État peut intervenir en cas d'urgence ou pour organiser un rattrapage, il ne saurait supporter tous les travaux de réseaux d'eau en Guadeloupe pendant des années. Je suis attentif à ne pas laisser ce dossier à mes successeurs, parce que la situation dure depuis trop longtemps.

En matière de logement, Monsieur Dennemont, le niveau de consommation sur l'année 2020 est tout à fait convenable, avec des reventilations de crédits et des projets qui se sont débloqués. Au reste, la crise sanitaire n'a pas entraîné les mêmes mesures de freinage en outre-mer, la gestion y ayant été différente.

Il faut continuer à avancer sur trois sujets, qui sont bien souvent les sources du retard de l'investissement, plus que le manque d'argent.

Le premier est l'ingénierie. Dans le cadre du plan de relance, 30 millions d'euros sont octroyés à l'Agence française de développement (AFD), ce qui permettra de renforcer les moyens des collectivités.

Le deuxième est la gouvernance : il y a parfois des problèmes d'alignement entre régions, départements, EPCI et bailleurs sociaux. Je le dis sans aucune critique.

Le troisième, que nous sommes en train de régler, notamment grâce aux suites données à la proposition de loi de Serge Letchimy, est celui du foncier. Les difficultés tiennent aux problèmes d'indivision, aux risques naturels, à la logique d'occupation des sols ou encore aux outils. Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, nous avons alloué de nouveaux moyens aux établissements publics fonciers et d'aménagement de Mayotte et de la Guyane.

J'ai bon espoir que ces trois chantiers produiront des effets, d'autant que, cette année, ce sont 18 millions d'euros supplémentaires qui ont été affectés à la ligne budgétaire unique (LBU), hors les crédits du plan de relance consacrés à un certain nombre de sujets. Nous devrions donc parvenir à des résultats pour l'année 2021.

Monsieur Dominique Théophile, nous avons des échanges réguliers avec la Commission européenne sur le sujet de l'octroi de mer. Cela peut également faire l'objet d'échanges ad hoc. Nous attendons une décision du Conseil avant la fin du mois de juin prochain. La Commission devrait prendre une position aux alentours de février et elle pourrait donner lieu à une transposition en droit français via le PLF pour 2022.

Dans le cas de l'octroi de mer, des propositions sont attendues, notamment sur les productions dites locales. Il est compliqué d'expliquer qu'on fait peser l'octroi de mer, qui est une barrière douanière de protection, sur des biens qui ont été produits sur les territoires concernés... Le Président de la République avait dit lors du Grand débat en 2019 que, s'il y avait une volonté des territoires d'avancer sur une réforme de l'octroi de mer, le Gouvernement serait à la disposition des élus qui voudront avancer sur ce sujet. J'ai toujours un succès limité quand je dis cela, et je le comprends, car cela pose des questions d'organisation du marché, de l'offre et la demande, et cela renvoie aux questions de vie chère, et à celle des recettes des collectivités territoriales, ce qui n'est pas un petit sujet. En tous cas, nous tiendrons au courant l'ensemble des parlementaires ultramarins des différents niveaux de discussion que nous avons avec la Commission européenne.

Le rapport qui avait été commandé sur l'avenir et les perspectives de la Faculté de médecine aux Antilles a été retardé, à cause de l'épidémie de covid-19. La mission sera lancée avant le mois de mai, et je tiendrai au courant les parlementaires de Martinique et de Guadeloupe, ainsi que de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. En tous cas, la commande n'a pas changé.

Les quatre questions de Georges Patient mériteraient chacune un long développement.

Sur la situation du covid en Guyane, le préfet s'exprimera dans les heures qui viennent. J'essaie de tenir l'équilibre entre activité économique et protection sanitaire de nos concitoyens. Appliquer les mêmes mesures de freinage dans Cayenne et à Papaichton, est-ce opportun ? Non. Mais nous allons être obligés de resserrer le couvre-feu, je vous le dis tout de suite. Le système actuel est différencié entre trois zones : une zone sans couvre-feu, une zone avec un couvre-feu qui démarre en première partie de soirée, et une zone où le couvre-feu démarre en nuit profonde. Je pense que nous devons simplifier en deux zones, avec un couvre-feu en fin d'après-midi et un couvre-feu en nuit profonde. Se pose aussi la question du dimanche, sur lequel nous allons devoir prendre des mesures de freinage. Les taux d'incidence ne sont pas bons, mais le système sanitaire tient, parce que nous ne sommes pas en situation de saturation. Mais n'attendons pas d'avoir des lits réanimation saturés pour prendre les mesures qui s'imposent ! Il faut agir dès que la courbe commence à monter.

Évidemment, nous allons renforcer les contrôles aux frontières. On pense souvent aux entrées irrégulières, mais il y a aussi des circulations régulières de nos concitoyens qui cherchent à échapper aux mesures de freinage sur notre territoire, et qui vont goûter le carnaval autorisé du Suriname ou du Brésil ! Et la question des autres variants va s'inviter... Je laisserai le préfet détailler les mesures, en lien avec l'ARS. Les mesures qu'il prendra sont frappées au coin du bon sens. Il nous faut contenir l'épidémie pour ne pas être en situation de reconfiner. Pour cela, il faut que tout le monde fasse des efforts. J'aimerais à cet égard remercier les restaurateurs. Dans tous les territoires où ils sont ouverts, ils se sont montrés responsables, et ont tenu les protocoles sanitaires. J'ai donné des instructions très claires aux préfets de procéder aux fermetures administratives de celles et ceux qui ne montrent pas l'exemple. Il semble en tous cas que la saison touristique n'aura pas eu d'impact sur le volet sanitaire : les taux d'incidence sont restés très bas - ils se tassent même en Martinique. C'est parce que les hôteliers, les restaurateurs et tous les professionnels du tourisme ont bien compris que le risque de reconfinement et de fermeture de leurs activités était majeur. Notre devoir collectif est de continuer à rappeler cet état de fait, pour éviter que de mauvaises habitudes ne s'installent, comme on l'a vu en Guyane, où l'on a pu croire que l'épidémie était derrière nous.

Vous évoquez la réforme du code minier. Si la ministre Barbara Pompili a dû annuler sa visite, c'est par rapport aux mesures qu'on va annoncer sur le terrain sanitaire. Elle ne l'a pas annulé pour un problème de fond, ou pour un problème lié au code minier. Les services de police et de gendarmerie sont largement mobilisés pour faire respecter les mesures que nous allons prendre. Devoir protéger en plus une visite ministérielle ne nous paraissait pas respectueux de leur travail, et la ministre a d'elle-même jugé bon non pas d'annuler sa visite, mais de la décaler. Sur les questions aurifères, je me suis exprimé de nombreuses fois. Nous tenons la ligne sur les grands projets non respectueux de l'environnement et sur lesquels les garanties ne semblent pas remplies. C'est le cas, désormais emblématique, de la Montagne d'or. Ce n'est pas pour autant qu'il n'y a pas une filière aurifère qui s'organise, pour développer des mines plus responsables que ce qu'on peut voir dans les pays de la zone, avec des structures minières à taille humaine, et une lutte contre le travail illégal.

Les Corom sont bien connus de l'ensemble des parlementaires. Nous devons réussir l'exercice en 2021, avant de les démultiplier. Je vous annonce que trente communes ont été présélectionnées sur la base de deux critères : une saisine de la chambre régionale des comptes, avec une expertise en cours, et un déficit structurel impossible à résorber en seulement deux exercices. Sur ces trente communes, douze sont en Guadeloupe, six en Martinique, neuf en Guyane, deux à Mayotte et une à La Réunion. J'ai saisi chacun des maires, et leur ai écrit qu'il n'y aurait rien d'obligatoire, que tout reposerait sur l'expérimentation et le volontariat. L'idée est de travailler sur dix communes, et de faire le maximum pour essayer de trouver le bon système.

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