Intervention de François Carré

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 janvier 2021 à 9h35
Sport et santé — Audition de M. Laurent Fleury responsable du pôle expertise collective et du pr. françois carré spécialiste en cardiologie et maladies vasculaires de l'inserm

François Carré :

On sait que l'activité sportive est bénéfique en matière de lutte contre les addictions. Au sein de la maison sport-santé de Rennes, l'association Escale fait pratiquer une activité sportive à des SDF et à des personnes connaissant des problèmes d'addiction : ils partent, par exemple, faire du vélo pendant 8 à 15 jours. Les résultats sont très satisfaisants, particulièrement chez les jeunes. Environ un tiers des SDF nous demandent par la suite un certificat d'absence de contre-indication à la pratique du sport car ils veulent adhérer à un club ; nous les aidons en leur offrant la licence.

Sur la formation des médecins, je vais vous apporter une réponse claire : la prévention ne fait pas partie des études médicales. À la fin de mes dix années d'études de médecine, j'étais le roi de la nutrition : je savais qu'il fallait manger 5 fruits et légumes par jour ! En matière de prévention, l'investissement ne porte ses fruits que longtemps après... Or certains politiques me rétorquent qu'ils ne seront plus décisionnaires dans vingt ans. Le problème de l'inactivité physique, de la malbouffe et du tabac est que l'on n'est pas malade tout de suite. Les parents à qui j'explique les risques pour leurs enfants ne me croient pas et me répondent que ceux-ci sont en parfaite santé. Mais on meurt d'un infarctus non pas à 20 ans, mais à 40 ou 50 ans.

Néanmoins, les choses changent. Le président de la conférence des doyens a accepté d'insérer la prévention dans la formation. Trois questions sur l'activité physique figurent dans les questions pouvant tomber à l'examen classant national : la faculté doit donc former les étudiants à ce thème. Voilà le moyen détourné que nous avons trouvé pour intégrer la prévention à la formation.

À Rennes, le doyen m'a confié, depuis cinq ans, une formation sur le bénéfice de l'activité physique en médecine. Cet enseignement est optionnel puisqu'une faculté ne peut pas intervenir sur les cours obligatoires. Entre 140 et 180 étudiants, sur une promotion de 210, suivent cet enseignement : les jeunes s'intéressent à la prévention, comme à l'écologie.

S'agissant de la conviction des médecins, je leur dis souvent que pour être convaincant il faut d'abord être convaincu. Quand j'étais jeune, certains médecins fumaient en expliquant à leurs malades que le tabac n'était pas bon pour la santé... Difficile de les convaincre dans ces conditions !

Sur les certificats de complaisance, il y en a, me semble-t-il, moins. La plupart des médecins ont pris conscience que ce n'était pas une bonne solution, et plutôt une perte de chance. Un enfant malade peut même participer à un cours de gym s'il ne pratique pas lui-même : il peut aider l'enseignant, assister au cours...

En ce qui concerne l'école et le genre, les études montrent que les filles se dépensent comme les garçons jusqu'à 8-10 ans ; après, c'est terminé. Moins de 5 % des filles et environ 9 % des garçons respectent l'heure d'activité physique par jour. Les femmes font globalement moins d'activité physique que les hommes ; en revanche, la femme malade bouge plus que l'homme malade !

Pour répondre à Mme Imbert, les groupes d'étude comptent moins de femmes que d'hommes : les bienfaits de l'activité physique sont donc plutôt démontrés chez de grandes populations masculines que féminines, même si les choses changent. Pourquoi ces études sont-elles si difficiles à mener ? Tout simplement parce qu'il faut suivre des populations nombreuses - 30 000 ou 50 000 personnes - sur 10 ans pour relever des maladies et voir si des personnes décèdent. Ces études coûtent cher et, jusqu'à présent, aucun laboratoire pharmacologique n'a proposé de les réaliser ; nous accepterons donc avec plaisir l'aide des pouvoirs publics ! Chaque étude a son protocole d'activité physique : il est parfois difficile d'en tirer des conclusions en raison de la standardisation méthodologique.

J'en viens à la formation des enseignants. Lors d'une interview que j'ai donnée à la chaîne parlementaire de l'Assemblée nationale, j'ai demandé à un député pourquoi l'éducation nationale n'instaurait pas, chaque année scolaire, depuis la maternelle jusqu'au baccalauréat, une première heure de cours pendant laquelle il serait expliqué aux élèves qu'il faut se laver les mains et les dents, ne pas fumer, faire une activité physique et avoir une alimentation correcte. Bref, il faut leur apprendre à prendre soin de leur corps ! On pourrait y ajouter l'apprentissage des gestes qui sauvent, c'est-à-dire le massage cardiaque. Le député m'a répondu que le but était d'apprendre à nos enfants à lire, écrire et compter. Je lui ai rappelé que - toutes les études le montrent - les enfants faisant de l'activité physique avaient de meilleurs résultats scolaires. Le corps enseignant n'est pas au courant de ces études. Il faut arrêter en France de séparer le corps et l'esprit, car les deux marchent ensemble : lorsqu'on fait bouger un muscle, des hormones affluent vers le cerveau.

J'en viens aux mesures simples qui pourraient être mises en place. Une action très efficace a été mise en place par une professeure des écoles écossaise à qui une personne âgée de 85 ans accompagnant les enfants avec elle à la piscine avait fait remarquer la faible capacité physique de ces derniers, qui étaient plus essoufflés qu'elle à l'arrivée. Elle a donc décidé de les faire marcher 15 minutes chaque matin. À la fin de l'année, sa classe était la meilleure tant en termes de mesure du tour de taille que de résultats scolaires. Son initiative a essaimé : en France, 400 ou 500 écoles, me semble-t-il, font la même chose. Ce message est important, car il faut donner à l'enfant l'habitude de marcher, comme il a celle de se laver les dents, un geste qu'on ne cesse de lui rappeler. M. Blanquer a proposé 30 minutes d'activité physique : je m'en réjouis ! Mais, avant de généraliser cette mesure, 2 ou 3 études pilotes vont être menées : pourquoi ne pas laisser les professeurs des écoles tester leurs idées pour faire bouger les enfants 30 minutes chaque jour ?

Peut-on laisser tout le monde, y compris les personnes atteintes de maladies lourdes, faire de l'activité physique ? Oui ! Les laboratoires se sont rendu compte que leurs médicaments marchaient mieux quand le patient faisait une activité physique. Il existe une synergie activité physique-traitement, en particulier pour les cancers : une personne active supporte de plus fortes doses de chimiothérapie. D'après les cancérologues, le seul remède contre la fatigue des traitements anticancéreux est l'activité physique. Les résultats sont les mêmes en matière de préparation à la chirurgie. Une chirurgienne du CHU de Rennes fait marcher ses patients 15 minutes chaque jour durant les 15 jours précédant l'opération : ils sortent 3 jours après, contre 6 jours pour ceux qui ne font pas d'activité.

Le sport au travail est un grand problème : les seuls accidents du travail qui ne diminuent pas sont les troubles musculo-squelettiques, parce que les gens ne sont pas prêts à répéter les mêmes gestes. Certaines grandes sociétés ont mis en place une activité physique - encadrée au départ, puis libre - tous les matins : on note moins d'accidents durant la première heure parce que les gens sont plus vigilants, mais aussi moins d'accidents à long terme.

S'agissant du confinement, il est étonnant que certains se soient déchaînés contre les sportifs... Le seul moyen d'améliorer l'immunité, c'est l'activité physique. Les études sur la grippe de Hong Kong de 1968-1969 l'ont montré, plus on bouge moins on a de risques d'être touché ; et si l'on est touché, on a moins de risques de développer une forme grave. Pendant le premier confinement, la prise de poids a été majeure, de l'ordre de 6 kilos ; seulement 33 % des personnes concernées ont retrouvé leur poids initial. Dans notre équipe, nous avons remarqué que 60 % des malades chroniques ne sont jamais revenus faire de l'activité physique. Par ailleurs, Mme Duclos a montré que le confinement a diminué de 40 % les capacités cognitives des enfants en primaire.

Concernant les collectivités, les maisons sport-santé peuvent être des modèles pour aider les personnes en difficulté socio-économique, en permettant un maillage du territoire. S'agissant des équipements sportifs, il y en a déjà beaucoup qui ne sont pas tous pleinement utilisés : le surcoût ne devrait pas être trop important. Une des meilleures activités physiques à l'école, c'est la marelle, ce qui ne coûte pas très cher et est très facile à mettre en place.

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