Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rémi Cardon, qui propose d’étendre le bénéfice du RSA aux jeunes de 18 à 24 ans, est une réponse concrète et immédiate à l’urgence sociale qui s’annonce et qui risque d’affecter durement les jeunes majeurs, déjà largement frappés par la pauvreté et par la précarité de l’emploi.
La situation des jeunes s’est dégradée depuis le début des années 2000. Alors que, en 2018, quelque 14 % de la population vivaient au-dessous du seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du revenu médian, ce sont 19, 7 % des personnes âgées de 18 à 29 ans qui se trouvaient dans cette situation, soit près d’un jeune sur cinq.
Ce niveau de pauvreté n’est pas acceptable, sachant en outre que ces statistiques n’englobent pas tous les jeunes adultes en situation de précarité. Je pense aux étudiants, ainsi qu’aux jeunes qui sont contraints de rester chez leurs parents, car ils ne peuvent accéder à un logement autonome, faute de revenus suffisants.
Il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences économiques et sociales de l’épidémie de covid-19 sur les jeunes majeurs. Toutefois, il ne fait aucun doute que la crise sanitaire aggrave la précarité des jeunes de moins de 25 ans et la pauvreté d’une partie d’entre eux, en particulier du fait de la dégradation attendue du niveau du chômage.
Le soutien des familles, qui n’est pas toujours possible, risque de se fragiliser du fait de la crise qui affecte l’ensemble de la population.
Dans ce contexte, les jeunes majeurs en difficulté doivent pouvoir compter sur la solidarité nationale, et plusieurs aides permettent de les soutenir.
La plupart des prestations sociales non contributives ne comportent pas de conditions d’âge ou sont ouvertes avant l’âge de 25 ans. C’est notamment le cas de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, qui est ouverte dès l’âge de 20 ans, et de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, qui ne repose que sur une durée minimale d’activité.
La prime d’activité, ouverte dès l’âge de 18 ans aux personnes qui perçoivent des revenus tirés d’une activité professionnelle ne dépassant pas un plafond, et les aides au logement, qui sont versées sans condition d’âge, constituent les principales prestations non contributives bénéficiant aux jeunes adultes. Dans le paysage des aides sociales, le RSA, qui n’est ouvert qu’à partir de 25 ans, fait donc figure d’exception.
Alors que l’on peut voter et payer des impôts dès 18 ans, cette exception apparaît comme une anomalie. Rien ne semble justifier que les jeunes majeurs de moins de 25 ans ne puissent bénéficier de cette prestation en cas de difficulté, alors qu’ils contribuent à la solidarité nationale.
Pour rappel, le RSA, qui a succédé le 1er juin 2009 au revenu minimum d’insertion, est le premier minimum social en nombre d’allocataires. Versé à 2 millions de bénéficiaires en 2020, il prend la forme d’une allocation différentielle destinée à compléter les ressources initiales du foyer, afin que celles-ci atteignent le seuil d’un revenu garanti, dont le montant est fixé à 564 euros pour une personne seule sans enfant et à 847 euros pour une personne avec un enfant ou pour un couple sans enfant.
Si le RSA n’est ouvert qu’à partir de 25 ans, quelques exceptions permettent toutefois d’en bénéficier avant cet âge. La condition d’âge ne s’applique pas aux personnes assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants nés ou à naître. Par ailleurs, une majoration du RSA est accordée sans condition d’âge au parent isolé assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants ou à une femme enceinte isolée.
Le montant de ce RSA majoré s’élève, au 1er avril 2020, à 967 euros pour une personne isolée avec un enfant. Fin 2018, ses bénéficiaires étaient à 96 % des femmes. Environ un quart des 230 000 foyers bénéficiaires du RSA majoré au 31 décembre 2018 concernent des jeunes de moins de 25 ans, alors que seulement 2 % des bénéficiaires du RSA non majoré se trouvent dans cette tranche d’âge.
Enfin, depuis 2010, le RSA peut être versé aux personnes de moins de 25 ans justifiant de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années précédant la demande.
À la différence du RSA de droit commun, qui est à la charge des départements, ce RSA jeune actif est entièrement financé par l’État. Toutefois, du fait de la condition d’activité très restrictive, le nombre de bénéficiaires s’est effondré de plus de 9 000 en 2011 à 734 en 2019, ce qui montre bien que ce dispositif a manqué sa cible.
Au total, on peut estimer que seuls 91 000 allocataires du RSA sont âgés de moins de 25 ans, sur un total de 1, 9 million d’allocataires à la fin de l’année 2018. Du fait des conditions actuelles d’attribution de la prestation avant l’âge de 25 ans, il s’agit en grande majorité de jeunes femmes élevant seules leurs enfants, comme j’ai eu l’occasion de le constater dans mon département.
Il existe néanmoins d’autres aides ciblant les jeunes en situation de précarité. Ainsi, la garantie jeunes constitue selon moi l’un des meilleurs dispositifs d’accompagnement des jeunes vers l’emploi. Elle assure un accompagnement spécifique pour certains jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. On les appelle les « NEET ». On en dénombrait 960 000 en 2018, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares.
La garantie jeunes est une modalité renforcée du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, le Pacea, qui accorde une aide financière à son bénéficiaire, couplée à un accompagnement intensif vers l’emploi assuré par les missions locales, en principe pendant un an, cette durée pouvant atteindre dix-huit mois. Elle a bénéficié à 91 124 jeunes en 2020, et le Gouvernement prévoit sa montée en charge en 2021, dans le cadre du plan de relance, pour atteindre 200 000 bénéficiaires.
Par ailleurs, il faut saluer le déploiement en urgence par l’État d’aides exceptionnelles de solidarité versées aux ménages modestes en juin, puis en novembre 2020, ainsi que la création pour 2021 de nouvelles aides exceptionnelles, destinées, d’une part, aux chômeurs de moins de 26 ans bénéficiant d’un accompagnement individuel intensif par Pôle emploi ou par l’Association pour l’emploi des cadres, l’APEC, et, d’autre part, aux jeunes diplômés de moins de 30 ans inscrits comme demandeurs d’emploi et anciennement boursiers de l’enseignement supérieur.
Toutefois, bien qu’elles soient positives en elles-mêmes, l’ensemble de ces mesures ne constituent nullement une garantie jeunes « universelle », contrairement à la présentation qui en est faite par Mme la ministre du travail. Il s’agit en fait d’un ensemble de réponses ponctuelles, qui ne permettront pas de soutenir tous les jeunes majeurs dont la situation sociale aura été aggravée par la crise.
En outre, j’estime qu’il ne faut pas tout attendre de la garantie jeunes, qui cible un public bien particulier. En effet, un jeune peut aujourd’hui se retrouver temporairement sans ressources sans être NEET. De plus, je rappelle que le bénéfice de ce dispositif a une durée limitée.
Au demeurant, une véritable garantie jeunes universelle nécessiterait des moyens considérables pour conserver ce qui fait sa spécificité, sous peine de décrédibiliser un dispositif qui fonctionne et a une bonne image.
Il apparaît dès lors nécessaire de revoir les conditions d’attribution du RSA aux jeunes adultes. Tel est l’objet de la proposition de loi que nous examinons : elle prévoit, à l’article 1er, d’ouvrir le bénéfice du RSA dès l’âge de 18 ans et, à l’article 2, de supprimer en conséquence le RSA jeune actif, qui deviendrait sans objet.
Cette proposition a été inspirée par plusieurs mouvements de jeunesse et elle reprend notamment une recommandation de l’ancien député Christophe Sirugue, auteur d’un rapport en 2016 sur les minima sociaux. Elle est en outre soutenue par de nombreuses associations, que j’ai pu rencontrer pour préparer l’examen de ce texte.
Selon une estimation réalisée par la Drees en 2016, le dispositif proposé pourrait bénéficier à 1, 4 million de jeunes majeurs, pour un coût net estimé à 5, 8 milliards d’euros.
Alors que les dépenses sociales des conseils départementaux progressent fortement, mettant certains d’entre eux en difficulté financière, je considère que le coût d’une telle mesure ne devrait pas être à la charge de ces collectivités. Dans le prolongement de l’expérimentation du projet de recentralisation des dépenses du RSA, des travaux sont donc à engager sur ce terrain avec l’État.
Cette proposition de loi, circonscrite au bénéfice du RSA, constitue un premier pas pour soutenir les jeunes. C’est une réponse urgente face à la crise qui va les toucher durement.
À moyen terme, les dispositifs d’aide et d’accompagnement des jeunes adultes devraient, selon moi, être revus en profondeur.
D’une part, de nombreuses situations de fragilité sociale nécessitent un traitement spécifique. Il faut mieux accompagner les familles monoparentales ou encore les jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance.
Je pense également aux problèmes de précarité de l’emploi qui frappent les jeunes en contrat court, qui font des extras ou, de façon plus récente, qui travaillent pour les plateformes numériques de travail. Quant aux étudiants défavorisés, qui ne sont pas concernés par le RSA, ils mériteraient que le système de bourses soit réformé.
D’autre part, je considère que la lutte contre la pauvreté dans notre pays devrait passer par la mise en place d’un revenu de base versé automatiquement et sans contrepartie. Cette idée, promue par l’association des départements solidaires dont j’ai entendu plusieurs représentants, me paraît être la bonne solution, à terme, pour soutenir les plus pauvres, notamment les jeunes majeurs. Par son automaticité, cette allocation aurait en outre le mérite d’apporter une réponse au problème du non-recours aux droits.
Avant que ces évolutions, que j’appelle de mes vœux, ne puissent être engagées, la proposition de loi a le mérite de répondre à la détresse sociale des jeunes. Elle me paraît nécessaire dans le contexte actuel, alors que la mise en place d’un revenu universel d’activité, comme l’envisage le Gouvernement, a peu de chances de se concrétiser avant la fin du quinquennat.
Offrir aux jeunes majeurs un filet de sécurité, dans un contexte de crise, ne signifie pas qu’ils seront désincités à trouver un emploi. Il convient aujourd’hui de dépasser l’idée que les minima sociaux piègent leurs bénéficiaires dans une trappe à inactivité.