Intervention de Valérie Pécresse

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 26 novembre 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur la gouvernance de la métropole du grand paris

Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France :

Merci. J'aimerais tout d'abord vous dire que l'Île-de-France est bien sûr un mille-feuille, qu'il existe évidemment une imbrication de compétences et de strates et, en même temps, je voudrais mentionner l'intelligence des personnes. Je souhaite remercier ici, devant vous tous, à la fois Patrick Ollier et Anne Hidalgo, car, lorsque la crise du Covid-19 a frappé l'Île-de-France - région ayant la compétence développement économique -, nous avons créé un fonds de résilience pour les « tout-petits » entrepreneurs (les indépendants, les très petites entreprises, les petites et moyennes entreprises, l'économie sociale et solidaire et les restaurateurs). Ce fonds « Résilience » est une aide de 3 000 à 100 000 euros. J'ai demandé à la maire de Paris et au président de la métropole de se joindre à la région pour co-financer ce fonds. Anne Hidalgo et Patrick Ollier ont tout de suite répondu positivement. Ce n'était pas une évidence pour moi en raison des rivalités et des convictions politiques différentes.

Nous sommes la seule région qui aura, en décembre, consommé 100 millions d'euros dans son fonds Résilience. Nous sommes la seule région qui aura réussi, grâce à nos acteurs de l'Économie sociale et solidaire (ESS), à apporter cette aide conjointe.

L'Île-de-France est un mille-feuille. Mais au-delà de la bureaucratie et de la complexité, il y a l'intelligence des personnes qui dirigent les collectivités et qui sont, au-delà de toutes les convictions partisanes, d'abord des serviteurs de l'intérêt général. Je tiens à remercier à la fois la métropole et la ville d'avoir participé à cette aventure si bénéfique. Nous dénombrons 6 000 entreprises qui auront bénéficié de ce fonds.

Ma focale est plus large. Il y a trois ans, nous avons connu le mouvement des Gilets jaunes. Ce mouvement est né en Île-de-France. Personne ne le sait : tout le monde pense que c'est un mouvement qui est d'abord né dans les territoires. Pourtant, le mouvement des Gilets jaunes est né en Seine-et-Marne, avec M. Drouet, souvent vu à la télévision, et Mme Ludowski, souvent vue à la télévision également. Ce mouvement est né à 45 kilomètres de Paris, car il n'y a pas de pire relégation que d'habiter à 20 kilomètres d'une métropole prospère, hyper-riche et de regarder de loin cette métropole en se disant que chez soi, on n'a pas de médecins, de services publics, de transports qui fonctionnent, etc.

Il me semble qu'aujourd'hui, le sujet est effectivement celui de l'aménagement du territoire. Vous avez peut-être vu que les extrêmes se sont saisis de cette question. Les extrêmes portent un projet de démétropolisation. Il faut donc que l'on soit très vigilants.

À mes yeux, le grand sujet politique que doit traiter le Sénat est celui de l'équilibre des territoires. Ce sujet est celui d'un équilibre territorial qui doit harmoniser à la fois cette dynamique exceptionnellement porteuse économiquement des centres-villes, des centres urbains et l'aménagement de ces territoires ruraux péri-urbains ou ruraux profonds, qui sont aux portes. Aujourd'hui, on vit mieux à Chartres, à Orléans ou à Amiens qu'on ne vit en Seine-et-Marne, en Île-de-France.

Dans la grande couronne de l'Île-de-France, on dénombre cinq millions d'habitants. Pour ces habitants, la métropole est un nouveau périphérique, une nouvelle fracture. Pour eux, il y a ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. Ces cinq millions de personnes pensent que la métropole les exclut et qu'elle complexifie.

Aujourd'hui, on parle beaucoup de la pollution et de la question écologique. L'Île-de-France est une région à la fois très urbaine et très rurale. Dans une vision d'un monde de demain, il faut que l'on recouse les fractures entre cet urbain et ce rural.

Nous allons installer la fibre sur l'ensemble de l'Île-de-France d'ici 2023. Tout le monde aura accès au très haut débit, il y aura du télétravail.

Avec la crise sanitaire, je vois des habitants quitter Paris, la petite couronne et la zone hyperdense pour chercher un pavillon et un peu d'espace vert. Aujourd'hui, il existe un petit exode à l'intérieur de la région vers ces zones rurales. Il y aura de plus en plus de lien entre cette ruralité péri-urbaine et ce centre hyperdense. Il y aura de plus en plus de gens qui travailleront dans l'un et qui habiteront dans l'autre.

J'en parlais avec Christian Jacob il y a quelques années. Il s'était dit que, puisque l'on avait fait la métropole du Grand Paris, Provins pouvait s'allier à Sens, Troyes et Amiens pour faire un petit territoire. Il avait interrogé à ses habitants, qui lui avaient répondu qu'il existait 20 trains pour Paris contre 4 trains pour Troyes aux heures de pointe. Cette interconnexion des habitants et des modes de vie est très puissante.

Je le dis, car, quand la métropole a été créée, j'ai compris son ambition. L'ambition de la métropole est d'être plus puissante que Londres. Paris et Londres sont les deux métropoles globales en Europe. Tous les autres pays sont fédéraux et ont des pôles de développement. Néanmoins, il existe seulement deux métropoles globales. La question est donc la « rivalité » entre la puissance de Paris et celle de Londres en termes d'attractivité. Quand on a créé la métropole, je l'ai vue comme un vrai outil au service de l'emploi, de l'attraction et du rayonnement de l'Île-de-France. Or il faut dire que cette métropole hyperdense n'a pas le bon périmètre, pas la bonne gouvernance et, à mon avis, pas les bonnes compétences.

Si l'on veut faire une métropole inclusive et écologique, le périmètre est aujourd'hui l'Île-de-France. En effet, la région doit nourrir Paris. Je vois que la mairie de Paris s'intéresse maintenant aux terres agricoles de la grande couronne. La mairie se dit qu'il serait bien que ces terres nourrissent Paris. Par ailleurs, si l'on veut de l'air pur, il faut cultiver et protéger les forêts, qui couvrent la moitié de l'Île-de-France et sont aujourd'hui essentiellement en grande couronne. Il faut préserver nos espaces agricoles. À mes yeux, la question de la métropole écologique est à la fois urbaine et rurale. Avec la région Île-de-France, vous avez la possibilité de créer une région métropolitaine, certes, mais aussi inclusive et écologique.

J'ajoute qu'en créant une métropole réduite à Paris et à sa petite couronne, on a tourné le dos à la vision de Delouvrier. Dans les années 1970, Paul Delouvrier, grand aménageur qui a pensé l'Île-de-France, s'était dit qu'il fallait une région polycentrique. En effet, une région polycentrique est une région offrant une qualité de vie, où l'on trouve de l'emploi près de chez soi et non forcément dans l'hypercentre. C'est pourquoi Delouvrier a créé Cergy-Pontoise, Évry, Marne-la-Vallée ou Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ces villes nouvelles permettent moins de transports, moins de pollution, moins de déplacements et une autre qualité de vie. Nous avons tourné le dos à cette vision, qui s'appuyait vraiment sur les forces de la grande couronne, pour dire que le développement métropolitain se concentrera sur Paris et la petite couronne. Qu'est-ce qu'une métropole qui n'inclut pas dans son périmètre Roissy (grand aéroport international), Saclay (premier centre de recherche technologique de France), Marne-la-Vallée (où se situe Disneyland Paris, premier hub touristique d'Europe) ou encore Versailles (qui accueille huit millions de touristes) ?

Le sujet est que, dans son périmètre actuel, la métropole est tronquée. Certains pourraient alors dire qu'il faut prendre tout l'urbain. Une telle idée « tuerait » complétement ces territoires. Le président de l'Essonne vous dira que si l'on inclut Saclay dans la métropole, il ne restera plus que « les pauvres », soit un million d'habitants qui ne vivent pas à Saclay, mais sont tirés par la dynamique de Saclay. Si vous dites au Val-d'Oise que l'on inclut Roissy dans la métropole, qu'allez-vous dire aux habitants de Garges-lès-Gonesse et de Sarcelles, qui sont aussi pauvres que les habitants des villes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis ? On a donc aujourd'hui une vraie cohérence régionale, qui est très difficile à fracturer. Et, pour cinq millions d'habitants de la grande couronne, la métropole fracture, exclut et complexifie.

Cette métropole complexifie donc. Ce n'est pas une critique de l'action de Patrick Ollier, qui est dans sa position institutionnelle. Patrick Ollier a des compétences de développement économique, comme la région, comme les villes. Il a des compétences urbanistiques, comme la région, comme les villes. Donc la vérité est que tout ça engendre des autorisations et des schémas de plus. Cela crée de la complexité.

Je propose évidemment un périmètre régional pour cette métropole. Je propose que la région devienne la métropole de façon à pouvoir vraiment être inclusive et écologique. Je propose que les compétences soient unifiées.

Je pense que la métropole trouverait toute sa légitimité à être une collectivité d'investissement. Sauf que la collectivité d'investissement est la région. Nous le constatons dans les propos de la maire de Paris qui dit qu'elle aimerait que la métropole fasse des transports, et qu'elle devienne donc collectivité d'investissements. Le problème est qu'il n'y a pas un RER dont le terminus est à Rueil-Malmaison. Le terminus du RER est au fin fond des Yvelines, du Val d'Oise, de l'Essonne ou de la Seine-et-Marne.

Il existe d'ailleurs une incongruité : on a donné à la métropole la compétence inondations. Pourtant, est-ce que quelqu'un pense que les inondations de Paris ne viennent pas de la grande couronne ?

Je souhaite donc dire qu'il existe une imbrication de ces territoires. Il est très difficile d'établir une frontière. Cette frontière est artificielle, administrative et légale entre la petite et la grande couronne en Île-de-France. Je pense que les habitants de la Celle-Saint-Cloud, qui jouxte Rueil-Malmaison, se sentent tout autant habitants de la zone dense que les habitants de Rueil-Malmaison. La compétence pourrait donc être une compétence d'investissements, sauf qu'aujourd'hui la collectivité d'investissements est la région.

Mon dernier sujet est la gouvernance. J'ai entendu ce plaidoyer pour une intercommunalité géante. La métropole est effectivement le lieu d'expression des maires. Patrick Ollier a raison sur le fait que cette expression des maires est très importante. À la présidence de la région, je considère que je suis à la tête d'un orchestre de maires, même si mon assemblée est une assemblée politique élue. Néanmoins, je considère que, si je veux faire une région belle, ce sont les maires que je dois aider. Je travaille maintenant avec des groupes WhatsApp de maires, au sein desquels certains me demandent directement ce qu'ils veulent. Nous avons donc un lien extrêmement direct avec les maires.

Ceci dit, une critique à cette assemblée de maires doit quand même être entendue. Lorsque les sujets fâchent vraiment, il est très difficile d'imposer des choses dans une intercommunalité. Tel est par exemple le cas pour les documents d'urbanisme, qui nécessitent de faire de vrais choix. Il est quasiment impossible aujourd'hui de faire voter un document d'urbanisme sans une légitimité élective politique pour le faire. La raison est très simple : chaque maire veut garder son propre pouvoir d'urbanisme.

À la région, nous disposons d'un schéma directeur qui s'appelle le SDRIF. Nous l'avons fait voter par une assemblée politique avec une majorité politique. D'ailleurs, en général, c'est relativement consensuel excepté certains points. La métropole a du mal à travailler sur ces sujets de logement, d'urbanisme, etc. En effet, chaque maire a une vision différente de ces sujets. La question de la légitimité politique de l'élection du président de la métropole se pose donc en Île-de-France, comme elle s'est posée dans les autres métropoles de France.

Je vous proposerais plutôt une métropole régionale avec deux collèges. Un premier collège serait l'assemblée élue, soit le collège des citoyens, l'expression démocratique avec, comme aujourd'hui, un vote à la proportionnelle départementalisé. Le second collège serait l'assemblée des maires. Je proposerais de donner un vrai pouvoir de décision à l'assemblée des maires, tel que le Sénat en dispose dans la République.

Cela nous permettrait d'avoir une région métropole qui soit l'émanation des citoyens. Aujourd'hui, les citoyens ne se sont pas du tout approprié la métropole. On ne s'approprie pas une collectivité élue à double niveau. On s'approprie très difficilement les intercommunalités. On s'approprie son maire, celui pour qui on vote au suffrage universel. Malheureusement, on s'approprie beaucoup moins facilement ceux qui sont élus au suffrage indirect, sauf les sénateurs bien évidemment, car ils sont omniprésents sur leur territoire. Donc, si l'on forme la métropole des citoyens, elle doit être élue au suffrage universel. Ce scrutin doit être proportionnel pour que toutes les sensibilités politiques y soient représentées. Il faudrait également un conseil des maires pour qu'ils puissent aussi faire entendre leur voix.

Si cette simplification par la fusion métropole-région est créée, on peut garder les territoires en dessous comme échelon de proximité avec une jauge de 400 000 habitants. On peut également garder les intercommunalités de grande couronne, mais ces dernières devront s'accroître. En effet, des intercommunalités en grande couronne sont trop petites. Il faudrait donc que l'on puisse avoir une jauge de 300 000 ou 400 000 habitants pour faire un territoire qui soit en lien avec la région. À ce moment-là, il me semble que l'on simplifie grandement l'architecture.

Madame la Présidente, si jamais vous n'alliez pas sur mon « big bang » territorial et si vous restiez en deçà de cette vision très simplificatrice et, à mon avis, très oecuménique, je vous demanderais seulement que le Sénat essaie de créer le principe d'associer à une compétence, une collectivité et un impôt. En effet, c'est cela qui marche bien. La vérité est que depuis que les compétences départementales et régionales ont été clarifiées, cela va mieux et on sait qui fait quoi. C'est ce qui est très paradoxal : la cohésion entre départements et régions fonctionne de façon plutôt satisfaisante.

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